J’ai visité l’exposition « corps rebelles » au musée des confluences de Lyon. Afin de favoriser l’immersion du visiteur dans l’univers de la danse,le son prenait une place importante : dès l’entrée où se font entendre des bruissements de vêtements, des battements de cœurs, des mouvements de corps. Tout du long, l’ouïe est sollicitée par la musique sur laquelle se déplacent les danseurs, les paroles qu’ils prononcent sur leur pratique, ou les bruits qui émanent de leurs danses. Cette immersion est d’autant plus importante que chaque visiteur porte un casque.

Visuel de l'Exposition Corps rebelles © Jessy Bernier

 

Jouer sur les différents sens, offrir une nouvelle expérience au visiteur, mobilisant différentes sensations et émotions cela est à mon sens primordial dans l’exposition. La vue est le sens le plus monopolisé au musée. Le public voit les œuvres, lis les cartels, regarde les détails d’un objet, etc. Quelques musées proposent des expériences où l’on coupe ce sens afin d’utiliser les autres, mais cela est très rare, et le musée est avant tout un lieu visuel où le public vient pour « voir » des choses. La scénographie prend alors une place importante afin de mettre en valeur les objets, en les surélevant, les encadrant, les contextualisant, etc. Dans les musées de beaux-arts notamment l’expérience du beau est essentielle, un soin particulier est donc accordé à la mise en spectacle de l’objet. Mais aujourd’hui, le visuel n’est plus le principal sens sollicité au musée, ainsi d’autres éléments apparaissent dans la scénographie tel que la sonographie.

Le musée dans l’imaginaire commun est encore perçu comme un lieu de silence, dans lequel il faut rester calme et ne pas faire de bruit. Faire entrer l’ouïe au musée n’est donc pas chose commune. C’est d’ailleurs ce que précise Cécile Corbel dans son introduction à un article sur le son au musée : « Avant toute chose, je voudrais dire que j’ai trouvé « amusant » — certains diront décourageant — lorsque je faisais part de mon sujet à mes connaissances — dont des amis musiciens — de constater leur étonnement, voire leur incompréhension, quant au rapprochement des sons et de l’univers du musée »[1].

Cette démarche non évidente existe pourtant. Ainsi le son fait son apparition de manière individuelle avec les audio-guides, qui sonorisent le discours du musée. On peut aussi le trouver comme objet des collections avec par exemple la diffusion d’extraits de musique dans l’exposition. Au musée Dauphinois de Grenoble pour l’exposition Nunavik, un chant de gorge inuit était diffusé pour illustrer la pratique de ce peuple, ce chant créait aussi une ambiance sonore puisqu’il s’entendait avant d’apprendre à quoi il correspondait. L’utilisation du son comme créateur d’ambiance est un autre usage.  L’ouïe est beaucoup utilisée dans les musées, bien que sa sollicitation ne soit pas évidente, le brouillage entre pistes sonores étant à éviter. Les dispositifs travaillant ce sens sont trèsintéressant car ils posent plusieurs questions. Lorsque l’on déclenche un dispositif manuellement que d’autres visiteurs peuvent entendre, ne va--ton pas les gêner ? Le son peut être invasif. Il est certes possible d’utiliser des dispositifs individuels, à ce moment-là la coupure avec les autres est plus nette. Les dispositifs avec casques ferment aux autres, ils recentrent sur lemusée, permettent l’immersion dans l’exposition mais plus l’interaction avec les autres visiteurs, ce que je trouvais dommage dans l’exposition « corps rebelle ». Il y a alors la solution des douches sonores qui ne transmettent pas le bruit à tout le monde mais qui permettent d’avoir des dispositifs individuels sans se couper des autres.

Le toucher est sûrement le 3ème sens le plus utilisé, surtout aujourd’hui avec l’apparition des écrans tactiles qui permettent plus de médiation active. A une époque le visiteur pouvait toucher à sa guise les objets des cabinets de curiosité et musée, mais les dernières années on fait des objets muséographies des objets saints, alors « prière de ne pas toucher ». De nouvelles médiations proposent de faire d’objets de collection des objets de médiation. Et de plus en plus de reproductions sont tendues aux mains des publics dans les visites. Certains musées font même pied de nez à toutes les autres institutions comme au musée de Tinguely qui propose l’exposition PRIÈRE DE TOUCHER.

   

Visuel de l'exposition Prière de toucher © Musée de Tinguely

 

Par convention le visiteur est éduqué à ne pas toucher dans le musée, même si l’envie de transgression est forte, il faut souvent indiquer la possibilité de le faire pour que le visiteur se permette d’apposer sa main sur les objets exposés. On notera qu’en dehors des dispositifs de médiation pour des publics particuliers : handicap visuel, enfant, etc., le musée a tendance à être un lieu où il faut mieux garder ses mains dans ses poches.

Enfin l’odorat et le goût sont des sens peu mobilisées dans le musée. Pourtant il existe des médiations gustatives et olfactives, mais très rare. Ces sens peuvent être au cœur de l’exposition comme lors de l’exposition Gourmandises ! – Histoire de la gastronomie à Lyon, sans pour autant être mobilisés. Des dispositifs permanents faisant appel à ces sens sont trop contraignants, et ils sont surtout une histoire de médiation ponctuelle, par exemple au musée portuaire de Dunkerque pour l’exposition Banane, un atelier de confection de cake avec ce fruit était proposé en médiation pour les enfants. 

Bananes suscitant le goût pour l’exposition Banane © Musée portuaire de Dunkerque

Ces médiations peuvent être nommée visite sensorielle, comme au musée de La Piscine à Roubaix[2].   

Les 5 sens sont donc beaucoup sollicités en médiation, peu de collections font appel à l’odorat et le goût, bien certains objets liés à ces sens soient inscrits dans notre patrimoine, comme le patrimoine gastronomique français. Il est déjà difficile de mettre en place des dispositifs faisant appel aux autres sens. Les enceintes des dispositif audio finissent par grésiller, les objets donnés au toucher s’abiment, les odeurs s’évanouissent et les aliments sont périssables. Cela nécessite donc beaucoup de contraintes, et de maintenance, mais cela n’est-il pas plus intéressant de favoriser le multi sensoriel pour que le visiteur bénéficie d’une expérience de visite optimale ?

C’est un sujet large que les 5 sens au musée, pour satisfaire au mieux la soif de connaissance sur ce qui a pu être fait, les articles du magazine de L’art de muser ont de quoi vous nourrir :

Quenelles, grattons, bugnes et autres spécialités des bouchons à l'honneur : médiation gustative

La Maison-Musée Hector-Berlioz: à voir et à entendre  : médiation auditive 

L'alimentarium de Vevey, un musée vivant pour explorer notre alimentationL'alimentarium de Vevey, un musée vivant pour explorer notre alimentation : médiation gustative

Un audio-guide au cœur des oeuvres

Mmmmmmmh! : médiation gustative

Au musée de Flandre de Cassel, "cette oeuvre est à toucher"

Touchez la musique!" Lancez vous dans le parcours du musée de la musique.: médiation auditive 

Au musée j'ai touché...!Au musée j'ai touché...! : médiation tactile

La Nuit met nos sens en éveil!  : multisensoriel 

Faire l'expérience de la conservation-restauration à l'Ashmolean Museum d'Oxford : médiation tactile

La Piscine, championne de médiation : médiation olfactive 

  

 Océane De Souza

Le Musée de Tinguely propose des expositions basées sur les 5 sens.

Les médiations gustatives ou l’art de la mise en bouche. Emmanuelle Lambert : complément sur la médiation gustative

#5sens

#Médiation

#Rétrospective


[1] Cécile Corbel, « L’intégration du sonore au musée », Cahiers d’ethnomusicologie [Enligne], 16 | 2003, mis en ligne le 16 janvier 2012, consulté le 03 janvier 2017. URL : http://ethnomusicologie.revues.org/571 

[2] A ce propos : http://lartdemuser.blogspot.fr/2012/10/la-piscine-championne-de-mediation.html?q=la+piscine