Tous ceux qui ont déjà écrit un mémoire de master dans leur vie savent bien que le stress peut vite prendre le dessus… On considère souvent qu’on aurait pu mieux s’organiser, on scrute ses camarades en essayant de leur soutirer des stratégies organisationnelles, qui en réalité, n’existent pas sur la planète Terre… On redoute les délais encore plus que le mauvais œil.

Des extraits du carnet de bord de mon mémoire éclairent des moments de ce parcours commun aux étudiants en master et démystifient – s’il eut été besoin –l’existence d’un parcours de mémoire standard à suivre, sans obstacles et au résultat certain.

Arras, juin 2014. Je suis arrivée à la fin de ma première année du Master Expographie-Muséographie et je  dois choisir un sujet de mémoire. Je suis italienne, j’ai dans ma poche un diplôme en ethnologie et je collabore avec un collectif photo. J’ai donc tout naturellement orienté mes recherches vers une analyse comparative de l'utilisation et du rôle joué par la photographie dans les expositions qui traitent des migrations entre la France et l'Italie.

NB : les recherches dédiées à l’écriture d’un mémoire en muséographie ne sont pas uniquement faites de consultations de livres à la bibliothèque, mais autant de visites et de rencontres, des interviews et de retranscriptions. Un agenda et un magnétophone constituent le kit de base du muséographe en visite. 

 

L'entrée au Musée National de l’émigration italienne au Vittoriano

 

Rome, Décembre 2014. Je rentre en Italie et je vais à Rome pour visiter le Musée national de l'émigration italienne. Carnet de bord à la main et appareil photo autour du cou je descends à l’arrêt du métro Colisée et, après un quart d'heure de marche, me voici devant le Vittoriano.[1] En son sein, dans une aile du rez-de-chaussée, a été ouvert en 2009 le musée en question. Promu par le Ministère des Affaires étrangères en collaboration avec celui des Biens et Activités culturels, ce musée fait le point sur l'émigration italienne dans le monde, à travers un parcours chronologique qui va du Moyen-Âge à nos jours.

AVERTISSEMENT : la pause de Noël se rapproche, pour moi c’est synonyme d’Italie, de retour chez moi. Dans le Master on « bosse » dur et le mot « vacances » ne fait pas partie du lexique de l’apprenti muséographe qui, au contraire, profite de ce que les autres appellent « vacances » pour avancer sur les différents projets, et pour ranger le tas de post-it qui envahissent son bureau.

Vittoriano, 10h30. J’avais préparé ma visite, je savais ce que je cherchais et avec quoi je voulais revenir. Tout d'abord, le catalogue de l'exposition[2]. J’en avais déjà consulté des extraits en ligne, et j’avais remarqué des articles susceptibles de m’être utiles dans l’écriture de mon mémoire. J’entre dans le musée, je le vois, m’en approche pour le feuilleter et demande s’il est possible de l’acheter. Giuseppe, le gentil gardien-médiateur à qui je m’adresse, m’informe que le catalogue n’est plus en vente, qu’il est épuisé, et qu’à son avis l'éditeur n’envisage pas de le réimprimer. Bien qu’un peu frustrée, je ne me suis pas découragée ! J’ai noté sur mon carnet de bord de me rappeler de le chercher d’occasion sur internet. Après cela je lui ai demandé si, parmi toutes les autres publications bien placées dans la bibliothèque derrière lui, il y en avait qui traitaient des sujets qui m’intéressaient. La réponse fut un « non » catégorique. Rien n’était à vendre, par contre j’aurais pu consulter les publications du centre de documentation, accessible via un escalier en colimaçon au milieu de l'exposition, vers lequel m’a guidé Giuseppe. J’étais tellement préoccupée par mes recherches théoriques que j’ai négligé l'exposition, y jetant un simple un coup d’œil en passant.

La consultation des publications dans le centre de documentation du musée

A NE PAS OUBLIER : c’est très utile de préparer les visites aussi bien que de programmer un calendrier pour rencontrer les personnes-ressource des institutions. Ceci dit, cela ne doit pas  empêcher de suivre les principes de l’ethnologue sur le terrain : il observe silencieux, il note discrètement, il photographie sans se faire voir, il se présente en faisant la connaissance d’autres figures professionnelles potentiellement intéressantes pour sa recherche et probablement intéressées par son sujet de mémoire.

Giuseppe me rassure : il est sûr que parmi toutes les publications il y a ce qui m’intéresse mais me demande combien de temps je dispose pour les trouver car il n’y a pas de répertoire pour procéder rapidement aux recherches des publications. Enfin, il m’informe que les livres sont uniquement consultables sur place et qu’il n’y a aucune photocopieuse à disposition des chercheurs. C’est alors que je perds tout espoir ! Giuseppe l’a bien remarqué, sur mon visage s’affiche une expression d'impuissance. Compréhensif et complice il s’approche de moi en me demandant si j’avais un portable qui prenait des bonnes photos… À bon entendeur...

Ah, il allait oublier, il revient vers moi pour m’informer que depuis deux jours il n’y a pas de connexion internet au musée. Par conséquent, les dispositifs généralement utilisés pour l’accès aux dossiers informatisés des Italiens émigrés sont hors d’usage. Visiblement désolé il m’avoue qu'il a prévenu les techniciens mais que personne n’est jamais arrivé.

Je m’assieds face à une bibliothèque qui me défie de toute sa hauteur. Penseuse je me demande pourquoi tout est si compliqué et pourquoi, après une demi-heure dans le musée, le seul aspect positif a été ma rencontre avec Giuseppe, à l'écoute du visiteur et grand connaisseur du sujet.

Vue d'ensemble de la dernière partie du parcours d'exposition. Sur la gauche, l'escalier qui monte à la bibliothèque
© Comunicare Organizzando – Rome

 

RAPPELEZ-VOUS : nous pouvons adopter différentes stratégies pour essayer d’être efficaces, mais le terrain est semé de surprises et d’inattendus à gérer avant de se trouver sur le terrain. Les rencontres professionnelles sont à alimenter au fil du temps, elles pourront nous être bénéfiques encore, une fois diplômés.

Vittoriano, 15h30. Je descends l'escalier en colimaçon et je me rends compte très vite que le défi posé par la bibliothèque n’avait rien à voir avec ce qui m’attendait en bas : un parcours chrono-thématique en cinq sections et vingt-trois sous-parties pas du tout interactif et à la scénographie datée. Je me sens submergée par une proposition muséographique trop riche : les textes, les documents d’archive et iconographiques, les chants des migrants qui accompagnent une grande partie du parcours de visite, tout cela proposé sans différencier plusieurs niveaux de lecture. Il en résulte donc un parcours trop dense qui démotive la plupart des visiteurs préférant ne pas le terminer.

Gare de Roma Ostiense, 00h15. J’attends mon train de nuit pour remonter jusqu’à Gênes et j’en profite pour faire un bilan de ma journée. Pendant que je vois Rome disparaître par la fenêtre de ma voiture je pense que mes attentes n’ont pas toutes été satisfaites. Mise à part la rencontre avec Giuseppe et mon avancée dans les recherches bibliographiques, le parcours d’exposition du seul musée national dédié à l’émigration italienne m’a déçu. Je m’attendais à une proposition moins standard, à une scénographie plus récente dans ses choix, aussi bien des matériaux que des supports d’exposition et à un parcours immersif dont je n’ai pas trouvé trace.

ETRE REALISTES : je prévoyais de mettre au propre mes notes et de commencer à lire des articles dans le train du retour mais, après une journée sur le terrain, je me suis endormie juste après avoir allumé mon ordinateur. Qu’est ce que voulez que je vous dise, j’assume, je suis encore une apprentie muséographe.  

 

La Berta Viola


[1] IlVittoriano est un ensemble monumental érigé il y a un siècle dans le centre de Rome, à l'honneur du premier roi italien, Victor-Emmanuel II de Savoie.

[2] Le musée se compose d’une seule exposition permanente et ne prévoit pas la possibilité d’en présenter des temporaires. C’est pour cette raison que dans le texte d’ouverture de l’exposition le commissaire d’exposition en parle comme d’un « musée-exposition ».