« Dans les musées de guerre,on passe du vécu au récit, alors que la question de la transmission entre les générations est très importante » a déclaré Dominiek Dendooven, le directeur du musée In Flanders Fields, en introduction des deux journées d'études où nous avons eu le plaisir d'être reçus. Organisées par le master MEM conjointement entre son équipe et le département du Nord, il s'agissait de dresser un panorama d'expériences menées avec les techniques participatives pour les musées des deux guerres mondiales.

C'est Sébastien Magro, le chargé de projet pour les nouveaux médias au Musée du Quai Branly, qui a ouvert le bal, avec le travail de recensement des logiques participatives qu'il a effectué ces dernières années. Il nous a montré, à travers l'histoire fictive d'une visiteuse nommée Sophie, toutes les interactions qu'il est possible pour un musée  d'avoir avec son public aujourd'hui, grâce aux réseaux sociaux. Avec les réseaux et les nouvelles technologies, on assiste maintenant au passage vers le « transmédia », où une interaction est possible avec le média, contrairement à ce que le propose par exemple la télévision où l'on ne peut que recevoir et non échanger. Il a alors cité le projet « le défi des bâtisseurs », mené par l'équipe de la cathédrale de Strasbourg, où avec un webdoc, une application mobile et un blog, il est à chaque fois possible de partager son expérience.

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DSC 0881Ad Pollé et Alun Edwards ont ensuite palés du vaste projet d'Européana qui recense 22 millions d'objets sur internet grâce à la participation de 2200 musées. Cela fonctionne par agrégateurs. Ils nous ont dit que les réseaux sociaux pouvait être un excellent moyen d'obtenir des informations complémentaires sur un document. Cela a apparemment très bien marché pour une photo de Marilyn Monroe visitant les marines durant la seconde guerre mondiale. De plus, cela peut être financièrement avantageux : l'Université d'Oxford aurait calculé que l'information revient à environ 50 dollars dans une institution alors qu'elle lui reviendrait à 1,30 dollar lorsque l'on fait appel au crowdsourcing (la recherche collective).

Le musée était en train de préparer le centenaire de la grande guerre, qui commencera l'année prochaine en 2014, et une collecte avait justement lieu au musée In Flanders Fields pendant les journée d'études. Nous avons eu l'occasion de participer et c'était impressionnant : des dizaines de personnes viennent avec un objet leur appartenant datant du premier conflit pour le recenser dans la banque de données européenne.

James Whitman a ensuite expliqué le rapport à internet du Musée canadien de la guerre (le War Museum) dont il est le vice-président à Ottawa. Le point de départ était d'offrir un survol pour les étudiants de la guerre 14-18, afin d'apporter des informations certifiées et lisibles. Il y a aussi de nombreux cours préparés pour les enseignants, et de nombreux liens vers d'autres sites. Ainsi, le musée répond à sa mission de divulgation des connaissances, en se trouvant là sur internet, là où se formulent les premières demandes de renseignements.

Patrick Pecatte  a ensuite raconté l'évolution du projet Photo Normandie, où un groupe d'une soixantaine de contributeurs bénévoles font de la « redocumentarisation » des photos de la bataille de Normandie sur Flikr. Ils ne sont jamais rencontrés dans la vraie vie, mais forment sur le netune communauté de passionnés. Il nous explique que pour un bon fonctionnement, il est nécessaire d'animer cette communauté, de relancer pour avoir toutes les informations, et chercher la vérification des sources. Ils arrivent généralement à une validation collective au bout d'un temps. Diverses institutions ont parfois parlé de projet commun, mais sans que cela n'aboutisse à chaque fois. Alors, dit-il « on fait notre travail sans savoir si ça plaît ou si plaît pas ».

Après la pause de midi, PaulinaBrault nous a parlé du Musée virtuel de la résistance, où elle est chargée de projet. Créé par l'Association d’Études sur la Résistance Intérieure (AERI), cela avait commencé par la diffusion de CD-rom sur les réseaux de la résistance de France pendant la guerre 39-45. Depuis, c'est sur une base de donnée internet que l'on peut retrouver toutes ces informations, qui continuent d'être complétées peu à peu. Un musée virtuel permet notamment de montrer des sites fermés au public, comme c'est le cas d'Eysses.

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DSC 0863Julien Goetz  a ensuite relaté son expérience d'OWNI, qui a mis en ligne des informations de Wikileaks sur la guerre d'Algérie. Constatant que les archives étaient disponibles mais qu'il était difficile d'y accéder, ils ont alors décidé en petit groupe de créer un site internet pour partager ces informations publiques. Comme un média en Algérie faisait un appel à témoignages sur le conflit au même moment, un partenariat s'est engagé pour que le site rassemble les prises de paroles. Les document militaires ont été anonymes et il témoigne qu'il était difficile de trancher parfois entre ce que l'on cache et ce que l'on diffuse. Deux historiennes ont été associées au projet, pour qu'une expertise existe. Il avait été mis en garde contre un danger possible, des réactions négatives, mais il n'y en a eu aucune. Au contraire, il y a une réaction positive très forte, en Algérie comme en France, et le site enregistre des temps de visite très longs. Il recense aujourd'hui 1500 visites par jour.

Pour conclure cette première journée, Martine Aubry, ingénieur de recherche à l'Université Lille 3,  a retracé l' histoire de son travail sur la base de données des monuments aux morts dont elle est en charge. Un partenariat a été proposé aux mairies de France pour documenter la premièreguerre mondiale en s'appuyant sur les stèles commémoratives qui proposent une liste de toutes les personnes tombées au front dans chaque commune. Ils font aussi des collectes de cartes postales auprès d'amateurs éclairés, car ce n'est qu'en croisant les sources qu'une information se complète.

Anne Labourdette, conservatrice du Musée de la Chartreuse de Douai, a ouvert la deuxième journée avec le projet des conservateurs du Nord-Pas-de-Calais « Guerres & Paix ». Il va s'agir d'une grande numérisation de collections en lien avec ces thématiques, et d'un cycle d'exposition que va concerner 25 musées pour le centenaire de la Grande Guerre. L'idée serait de faire une indexation participative, car les conservateurs sont plutôt des spécialistes d'art que d'histoire. Le projet est en préparation, affaire à suivre...

Héléne Blanc  a présenté les apports du logiciel d'inventaire Transmusite 14-45, acquit dans le cadre d'un projet transfrontalier. Les musées ont ainsi l'occasion de se rencontrer et d'échanger autour de leurs collections et de leurs méthodes d'indexation.

Michèle Gellereau et Alain Lamboux-Durand ont poursuivi avec le projet Témuse. Ce projet de recherche sur trois ans du Laboratoire GERIICO de l'Université de Lille 3 avait pour objectif de rassembler les informations des collectionneurs d'objets de guerre, et de réfléchir à leur transmission et leur capitalisation. Pour beaucoup de collectionneurs, « tout est dans la tête », mais il est nécessaire de les faire partager car ils possèdent de nombreuses connaissances. 17 entretiens ont ainsi été menés à deux caméras pour faire raconter l'histoire de ces objets, souvent étonnante. La réflexion sur la mise en partage est en cours.

En guise de conclusion, avant que nous allions visiter le musée In Flanders Fields, Dominiek Dendooven  a raconté comment s'est déroulée la rédaction du cahier des charges ayant abouti à la nouvelle muséographie en 2011. Il y a ainsi quatre parcours qui s'entrecroisent, un chronologique, un thématique, un personnel, et un réflectif. L'article que nous avons écrit sur ce musée pourra vous en dire davantage. Il est intéressant de noter que le musée est considéré à Ypres comme un centre de ressources : au moins une fois par jour des personnes viennent demander des informations sur leur aïeul. La Grande Guerre de 14-18 semble ne pas avoir fini d’intéresser, et gageons que tous les projets dont nous avons entendu parler trouveront bien leurs publics.

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