L’ami sceptique : L’art contemporain, je n’y comprends pas grand-chose. Tu m’as dit que cet artiste a fait ce clip que j’ai vu. C’était étrange ce visage animé de David Bowie, disproportionné, posé comme cela au-dessus d’un petit corps figé.

L'ami enthousiaste : Director avec D. Bowie est finalement la sculpture-vidéo qui m'a le moins étonné. Peut-être est-ce en raison du visage connu. Elle me paraît moins intrigante, moins étrange. Je n'ai rien projeté en elle. Ce qui m'a surpris c'est le lieu d'exposition, ce tout petit espace près de la porte, avant dernière respiration dans les espaces occupés par l'artiste. Je ne connais pas assez bien le Mac's - les images et les souvenirs s'altèrent rapidement - pour comprendre s'il s'agit d'un espace façonné pour l'occasion ou si Oursler a pris plaisir à investir une sorte d’alcôve providentielle. Ce qui m'a amusé ici, c'est la composition de l'installation. D. Bowie, accroché dans le coin tel un Malevitch figuratif et bigarré, de relief et de son. Une véritable icône. 

L’ami sceptique : Elle est placée à la fin, oui, après des œuvres qui nous en mettent plein les yeux. La première œuvre, diffusée sur une télé, est aussi un peu dans un coin. J’ai préféré l’installation avec les yeux, je me suis senti plus libre, moins assigné à une place dans l’espace,moins guidé que dans l’installation de la longue pièce, la seule pour laquelle un texte nous guide aussi dans la compréhension de ses inspirations ?   

L'ami enthousiaste : J'ai également apprécié la vaste salle peuplée de grands et de petits yeux qui observent mais je me demande si le visiteur la parcourt vraiment ou s'il la traverse d'une traite sur son pan droit en cherchant la salle suivante. Il est agréable de dépasser l'orée, d'oser avancer vers le cœur de cette forêt, de déambuler à la rencontre de ce peuple sphérique et cillant. C'est impressionnant aussi. J'ai finalement eu l'impression d'éprouver un espace décuplé. Peut-être est-ce l'effet de la pénombre, du calme qui règne ici ?

La section qui précède l'installation créée pour le Mac's m'a également beaucoup plu. D'autres sculptures-vidéos. Tu sais, celles qui figurent de minuscules univers habités d'êtres hétéroclites, étranges et bavards. A ce stade de la visite, deux questions occupent mon esprit : comment les surveillants de salles vivent-ils cette expérience ? Comment tiennent-ils dans cette ambiance sonore « élevée », répétitive, aux accents parfois inquiétants ? 

Si je réfléchis bien, j'ai plus ressenti l'atmosphère « fantasmagorique » hors de l'installation clé de l'exposition : Phantasmogoria, œuvre qui semble porter discours, légitimité et enjeux. Son statut de commande, d'acquisition,conditionne le fait qu'elle soit explicitée. Avec, entre autres, les indications dictées par les deux voix féminines synchrones, à la toute fin de l'installation, elle contient intrinsèquement une volonté de guider précisément le visiteur dans son expérience. L'assurance que le visiteur a bien goûté un instant de pure fantasmagorie ?

 L’ami de moins en moins sceptique : L’œuvre à diables, fantômes et toile d’araignée, acquise parle Grand Hornu, a donc été pensée pour ou avec le lieu ? Entre d’une part le jeu vidéo de guerre, L’Exorciste, les dessins de « diables contemporains » demandés à des enfants, et d’autre part la descente au mausolée de la famille fondatrice du site, hommage au liégeois Étienne-Gaspard Robertson, qui inventa la fantasmagorie au18e siècle (je l’apprends !), le projet renvoie plutôt à une culture américaine, non ? 

Cela ne m’étonne pas que tu penses au gardien, à celui qui vit l’exposition autrement que nous. Il n’était pas dans la salle où le « ballon vidéo visage »coincé sous un matelas ne cesse de crier « Fuck you ». Oursler nous teste, combien de temps on supporte ? Dans la salle des yeux, si habituellement exposés à la blessure (Buñuel, Dali) ou exorbités, l’œil vit, tu as raison, on reste fasciné par le modèle de la caméra. C’est moins violent, à première vue… J’ai eu envie de photographier les reflets de ces yeux dans le regard du visiteur. Mais si l’œil vit ou cille, difficile d’y lire des émotions. Les yeux regardent à vide. 

L'ami ravi : Oui, moins violent à première vue... le visiteur doit pourtant avoir à l'esprit que ces yeux sont déconnectés d'un tout, d'un visage. Ce sont des fragments perdus ; cet état fragmentaire est très présent dans l’œuvre de Tony Oursler. Immergé dans l'installation, il est assez difficile d'échapper au réflexe de reconstituer un ensemble autour de l’œil, un visage ; même de façon inconsciente... 

Phantasmagoria a été créée pour et avec le lieu ! Le Mac's en a fait l'acquisition. L'installation insitu est le fruit d'une collaboration entre l'artiste, ses assistants et l'équipe du Mac's. Une grande part du travail s'est effectuée à distance et a nécessité la mise en place d'une organisation subtile afin de mener à bien la production de l'exposition en général et de l’œuvre en particulier. Jérôme André, responsable de la conservation, a endossé pour l'occasion le rôle d'assistant de production et géré aspect financier et négociations ; tandis que Denis Gielen, commissaire d'exposition, est resté l'interlocuteur privilégié de Tony Oursler pour le volet artistique. Une telle répartition des rôles a permis de conserver intacte l'entente sans nuage entre l'artiste et celui qui a, ici, longtemps œuvré à la réalisation du projet d'exposition, loin des contraintes techniques et des crispations inhérentes aux négociations budgétaires.

Jérôme André n'évoque pas cette facette du travail sans un sourire entendu. Une autre dimension dans la collaboration et le travail en équipe s'ajoute ici : l'artiste a confié la réalisation des dessins des grands visages sur panneaux de bois à de jeunes artistes issus d'écoles d'art de la région et a invité, tu l'as mentionné, des enfants d'écoles environnantes à exprimer et représenter leur peur. Une sélection des dessins issus de l'exercice constitue une séquence de l'installation.

L’œuvre installée au sein du mausolée dela famille fondatrice du site industriel du Grand Hornu est également une œuvre in situ. Constituée d'une simple ampoule suspendue au plafond localisée en un point du mausolée circulaire et dont la lumière faible et vacillante éclaire un périmètre réduit du caveau ; elle génère,chez moi, une impression plus vive, franche évocation d'un monde inquiétant.

C'est ce dispositif minimaliste ainsi que les sculptures-vidéos qui m'ont le plus interpellé si l'on considère la thématique de l'exposition : il active certainement des peurs profondément ancrées ; elles évoquent un monde étrange et assez poétique - ce que n'a pas produit la pièce maîtresse de l'exposition – j'y associe donc plus volontiers l'idée de fantasmagorie.

Si Tony Oursler est américain, les référents imaginaires sont loin d'être des référents à une culture exclusivement américaine et comme tu le dis, c'est un hommage à un belge. Étienne-Gaspard Robertson est une figure emblématique pour l'artiste, une figure au fondement même de son travail, de sa rencontre avec Denis Gielen et de l'aventure au Grand Hornu. Ce personnage a en effet été le « prétexte », le lien idéal pour faire venir l'artiste en Belgique. 

L’ami qui reviendra au Grand Hornu : On vient de parler d’œuvres, mais aussi fortes soient-elles, on ne vient pas voir que des œuvres, si poétiques ou provocatrices,on vient appréhender une proposition d’ensemble dans un lieu précis. J’ai compris que, pour une monographie sur un artiste,l’exposition évitait le parcours chronologique, si souvent adopté. 

L'ami ravi : Oui, l'exposition n'est pas chrono-didactique, elle propose une divagation au cœur de l’œuvre de l'artiste sans cadre chronologique, sans schéma apparent ; cette errance, ce cheminement est pourtant structuré autour de l’œuvre éponyme, pièce maîtresse de l'exposition. De part et d'autre de celle-ci, les poupées et sculptures-vidéos seraient les accents toniques de la grande composition tandis que les pièces présentant le motif de l’œil représenteraient les silences, les respirations ; la dernière pièce nous éjecte de cette étrange partition, un retour brutal à la réalité.

 

Pour aller plus loin :

L'exposition : Tony Oursler -- Phantasmagoria

Video de l'exposition

# Tony Oursler

# fantasmagorie

# sculpture-vidéo

 # Grand Hornu

Crédits : marin

 Crédits : marin

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