En France, à partir du 7 novembre à 16h34, les femmes ne sont plus payées. Plusieurs manifestations dénoncent les inégalités salariales entre hommes et femmes. Inégalités présentes dans de nombreux domaines dont celui de l’art et de la culture. L’occasion pour moi de revenir sur une exposition qui a eu lieu en 2016 et qui proposait de replacer à sa juste valeur le travail des femmes, resté dans l’ombre, dans la pratique photographique.

Qui a peur des femmes photographes ? propose d’éclairer le rôle joué par les femmes dans l’histoire et l’évolution du médium photographique. L’exposition suit un déroulement chronologique et thématique. Le travail des femmes photographes entre 1839 et 1919 est présenté au musée de l’Orangerie. La seconde partie, au musée d’Orsay, aborde la période comprise entre 1918 et 1945. L’exposition se réclame d’être l’une des premières à vouloir questionner et replacer la place de la femme dans l’histoire de la photographie. Comment l’exposition retrace-t-elle le travail des femmes photographes sur presque un siècle ? Quel est le parti pris des commissaires ? Et, que retient-on une fois sorti du musée ?

Alice Austen, Julia Martin, Julia Bredt and self dressed up as men, 1891 ©Alice Austen House

 

Les premières salles sont consacrées à la faune, à l’intime ou à l’enfance pour l’Orangerie et au portrait, à la mode et au nu pour le musée d’Orsay. Ces thèmes sont fondamentalement différents de ceux, plus engagés, des dernières salles sur la guerre, les suffragettes et tout ce qui se rapporte au photoreportage. Il s’agit d’une progression thématique axiologique visant à classer les photographies selon les valeurs qui leurs sont conférées.

Les photographies de sujets considérés comme mineurs sont placées dans les premières salles parmi lesquelles les œuvres intimes de Julia Margareth Cameron telles que Blessingand blessed de 1865 ou des portraits tels que celui de Madame Yevonde par Joan Maude. Les thèmes considérés comme sérieux et engagés sont traités à la fin des expositions. Parmi eux, les œuvres d’Olive Edis réalisées pendant la Première Guerre mondiale et la Vue clandestine de Joanna Szydlowska en 1944. Ce parcours permet aux commissaires d’évoquer une progression thématique dans le travail des femmes photographes.

Cette disposition de l’exposition laisserait supposer que leur singularité et leur émancipation tiendraient uniquement au fait qu’elles ont su se détacher du privé pour photographier l’actualité. Ce qui me pose problème est cette classification subjective et axiologique qui nous amène à considérer l’importance du rôle de la femme dans la photographie à partir du moment où celui-ci se rapproche des sujets photographiés par des hommes. C’est tout le paradoxe de l’exposition. Mettre en avant le travail photographique des femmes mais ne le considérer pleinement accompli que lorsqu’il s’apparente à celui des hommes.

À cela s’ajoute un manque de lisibilité des thématiques des salles. Dans certaines sections, les photographies présentent des sujets si variés qu’il est difficilede comprendre ce que les commissaires ont voulu montrer en les rassemblant. Certes, les textes donnent des éléments de contexte pour comprendre le thème général des salles mais ces derniers ne sont pas toujours accessibles. En effet, souvent placés dans des endroits peu lisibles, les textes explicatifs sont longs et fastidieux. Il est donc dommage de perdre du temps à essayer de trouver une information qui ne s’offre pas de manière spontanée au visiteur. C’est ici que le catalogue intervient pour remplir son rôle de complément scientifique de l’exposition. 

La première partie du catalogue rédigé par Guy Cogeval est celle qui me semble la plus pertinente pour comprendre les motivations de l’exposition. Qui a peur des femmes photographes ? serait le fruit d’un questionnement sur la politique culturelle et scientifique du musée d’Orsay au regard de la place occupée par les femmes artistes au sein de l’institution (catalogue, p.12). Le but serait alors d’évaluer et de replacer le travail des femmes dans la pratique photographique selon des critères liés au genre. Il y a donc une dissociation entre la pratique photographique masculine et féminine.

Seulement, l’exposition suit un parcours évolutif à travers le travail des femmes. Le point ultime de cette évolution est justement présenté comme le moment où la pratique féminine se rapproche le plus de celle masculine, à travers la conquête du photoreportage par exemple. C’est une fois de plus paradoxal puisque tout en séparant les genres, l’exposition ne peut s’empêcher d’indexer le travail des femmes sur celui des hommes. Il me semble que c’est, justement, en faisant dialoguer et se confronter les genres que l’on parvient à considérer l’ensemble du travail des femmes, au regard de celui des hommes, comme un ensemble cohérent et consubstantiel.

Mais ce n’est pas la première fois que le musée d’Orsay sépare les genres. Masculin/Masculin.L'homme nu dans l'art de 1800 à nos jours[1] fitpolémique en 2013 et, inéluctablement, attira de nombreux visiteurs. Il semblerait que ces expositions commerciales s’inscrivent dans une politique qui consiste à aborder des sujets de société, d’actualité, tels que le féminisme, l’homosexualité ou la prostitution[2]. Or, traiter des expositions sur l’homosexualité ou sur la prostitution en termes de genre me semble être lacunaire. 

Laure Albin-Guillot, Nu masculin 1935-1939 ©Laure Albin-Guillot / Roger-Viollet

 

Finalement, le but de l’exposition est partiellement atteint. L’esthétisme et la grâce de certaines photographies comme le magnifique Nu masculin de Laure AlbinGuillot (1935-1939) soulignent le talent de leurs auteurs. Il est impossible de nier la place importante que les femmes occupent dans l’histoire de la photographie. Cependant, l’exposition montre plus qu’elle ne questionne. L’accrochage en ligne est monotone et manque de rythme, ce qui ne sert pas le propos. L’exposition tombe dans une sorte de dichotomie de la masculinité et de la féminité, ce qui ne nous permet pas de replacer le travail des femmes dans un contexte plus général. C’est là tout le risque de considérer l’histoire de la photographie en termes de genre.

M.D

Commissariat général : Ulrich Pohlmann

Commissariat scientifique (Orsay) : Marie Robert 

Commissariat scientifique (Orangerie) : Thomas Galifot

#equalpay

#photographie

#musée d’Orsay

Qui a peur des femmesphotographes ? du14 octobre 2015 au 24 janvier 2016

1ère partie : 1839-1919 (Orangerie) : http://www.musee-orsay.fr/fr/evenements/expositions/archives/presentation-generale/article/qui-a-peur-des-femmes-photographes-42675.html?tx_ttnews%5BbackPid%5D=252&cHash=a73bf3d30a

2e partie : 1918 -1945(Orsay) : http://www.musee-orsay.fr/fr/evenements/expositions/archives/presentation-generale/article/qui-a-peur-des-femmes-photographes-42673.html?tx_ttnews%5BbackPid%5D=252&cHash=69a4cec919


[1] Masculin/Masculin. L'homme nu dans l'art de 1800 à nos jours, 24 septembre 2013 - 12 janvier 2014, Musée d’Orsay, Guy Cogeval, Ophélie Ferlier, Xavier Rey, Ulrich Pohlmann, Tobias G. Natter

[2] Splendeurs et misères. Images de la prostitution,1850-1910,  22 septembre 2015 - 17 janvier 2016,  Musée d’Orsay, Marie Robert, IsoldePludermacher, Richard Thomson, Nienke Bakker