Palmyre est sûrement l’un des exemples les plus emblématiques et médiatisés des destructions de sites antiques par l’Etat islamique. C’est à travers des recherches sur ce sujet qui m’intriguait autant qu’il m’attristait, que j’ai été amenée à comprendre les enjeux géopolitiques et la complexité de la situation en Syrie.

 

Pour vous remettre rapidement en tête les évènements qui ont eu lieu, voici un court récapitulatif de la situation depuis 2015.

Le site antique de Palmyre et sa ville moderne, Tadmor, sont devenus depuis mai 2015 le décor d’une bataille impliquant le régime syrien de Bachar El-Assad, Daech et l’Occident.

La première bataille entre le régime syrien de Bachar El-Assad et les djihadistes de Daech prend fin lorsque l’Etat islamique prend le contrôle de Palmyre, le 21 mai 2015. Dès lors, plusieurs éléments du site sont détruits au cours des mois : deux mausolées antiques, la statue du Lion d’Athéna… Des vidéos de ces destructions sont mises en ligne sur Internet. En parallèle, le site entier a été miné par les djihadistes.

Fin août 2015 marque une périodede destructions massives avec la destruction du temple de Baalshamin, du temple de Bel, ainsi que de sept tours funéraires. Puis c’est le tour de l’Arctriomphal et de quelques colonnes, vestiges qui, au contraire des temples, n’avaient aucune connotation religieuse. Mais lors de cette première bataille de Palmyre, il n’y a pas que le patrimoine qui est détruit : 25 soldats syriens sont exécutés dans l'amphithéâtre de la cité antique et Khaled Assad, ancien directeur des antiquités et des musées de Palmyre, est décapité. Le site reste aux mains des djihadistes près de dix mois jusqu’au 27 mars, lorsqu’après 20 jours de combat Palmyre est reprise par le régime de Bachar El-Assad. On croyait le site de Palmyre « sauvé » mais Tadmor et le site sont repris par Daesh le 11 décembre 2016.

11 décembre 2016 – soit trois jours avant l’ouverture de l’exposition « Sites éternels - de Bâmiyân à Palmyre » auGrand Palais à Paris. Je me suis donc précipitée pour voir cette exposition, qui n’a duré qu’un mois (du 14 décembre 2016 au 9 janvier 2017).

Rendre compte de la situation de péril de ces sites est essentiel. C’est un sujet actuel, un sujet sensible et il est importantque ce patrimoine de l’humanité soit accessible à tous. J’en profite d’ailleurs pour souligner et approuver la gratuité de cette exposition, bien que celle-ci soit d’une durée très limitée, ainsi que sa mise en place grâce à la collaboration entre le Louvre et le Grand Palais et avec l’aide de Iconem, start-up française qui numérise le patrimoine grâce à des drones.

On ne peut faire abstraction de ce qui se passe au Moyen-Orient. Ce fut cependant le cas dans l’exposition Mésopotamie du Louvre-Lens, où n’est évoquée à aucun moment la situation actuelle du Proche Orient, bien que le musée soit réquisitionné pour accueillir les œuvres en péril provenant de cette partie du monde….


Carte 1 : les sites du Patrimoine mondial culturelde l’UNESCO (814 sites récences en 2016)  

Carte 2 : parmi ces sites, 37 sont actuellementen péril mondial selon l' Article 11(4) de la Convention[1]

 

L’exposition commence par un sas sombre avec une première projection qui indique les emplacements des sites du patrimoine mondial culturel puis plus particulièrement des sites en périls dans le monde.  Puis sont présentés les quatre sites de l’exposition : Khorsabad, Palmyre, la Grande Mosquée des Omeyyades de Damas et le Krak des Chevaliers. Sur le mur de droite, est expliqué très simplement et rapidement la situation actuelle de ces sites, l’engagement de la France et de l’UNESCO dans la sauvegarde de ce patrimoine. C’est ici, que l’on trouve la seule allusion aux êtres humains avec une évocation des djihadistes et leurs destructions, appuyer par une vidéo d’explosion et de destruction diffusées par Daesh.

Si cette exposition a déjà le mérite d’exister, je trouve néanmoins que l’accent n’a pas assez été mis sur les conditions géopolitiques actuelles en Irak et en Syrie. Penser au patrimoine, c’est une chose, essentielle certes, mais n’oublions pas les humains. Pourquoi l’Etat islamique détruit ces sites ? Comment ces sites sont-ils instrumentalisés aussi bien par Daech que par les régimes en place ? Ne doit-on pas au minimum évoquer aussi les civils qui souffrent et meurent dans cette partie du monde ?

 

Quel intérêt pour l’Etat islamique de détruire ces sites ?

Pour Daech, seul le présent compte et cequi est antique et surtout tout ce qui est antérieur aux fondements de leur idéologie religieuse exclusive est considéré comme impur et donc doit être détruit. L’Etat Islamique dispose même d’une unité spéciale, appelée Kata’ibTaswiyya, qui a pour mission cette destruction du patrimoine culturel. Ils connaissent la valeur de ce patrimoine : la revente d’œuvres archéologiques sur le marché noir est la principale source de financement des terroristes, après le pétrole.[2]

De plus, en faisant des ruines de Palmyre un usage politique, Daech augmente encore sa présence médiatique et son audience auprès de la communauté internationale et occidentale et ainsi cherche à provoquer afin internationaliser le conflit.

Daech n’est pas seul à utiliser Palmyre comme atout politique et symbolique. Il en va de même pour le régime de Bachar El-Assad qui utilise la reprise de Palmyre du 27 mars 2016 pour améliorer son image sur la scène internationale, se montrant comme allié de l’occident dans la lutte contre le terrorisme. Il ne faut cependant pas oublier que Bachar El-Assad est le leader d’un régime autoritaire, responsable de la mort et de l’emprisonnement de milliers de personnes en Syrie.

Bachar El-Assad utilise également la reprise de Palmyre afin de montrer son implication dans la sauvegarde du patrimoine syrien et de l’humanité, auprès de l’Occident. Cependant, une fois encore, le régime de El-Assad n’est pas irrépréhensible dans la destruction de Palmyre. En effet certaines parties du site, telle que la partie sud-est de la nécropole, auraient été pillées par le régime syrien, en 2014, soit avant l’arrivée de Daech sur le site, lorsque Bachar El-Assad a repris Palmyre aux rebelles[3].

Je comprends que ce soit diplomatiquement compliqué à assumer pour un musée national mais tout de même, ne pas expliquer le pourquoi du comment de la situation qui amène à la destruction de ces sites est pour moi une erreur. Comment sensibiliser le grand public à la sauvegarde du patrimoine mondial si on omet les causes ?

N’est-ce pas le rôle du musée du XXIème de s’engager ?

Si je critique ce « manque d’humains » dans l’exposition, c’est parce que ce sujet me tient très à cœur et j’attendais de cette exposition de me donner de nouveaux éléments de compréhension de la situation. Malheureusement, ce ne fut pas le cas.


Projection des vestiges détruits de Palmyre, l’Arc triomphal
©Méline Sannicolo

 

Cependant pour terminer, j’ai tout de même trouvé admirable la prouesse technologique et la scénographie de la salle principale de l’exposition, crée par Sylvain Roc et Nicolas Groult. La salle est composée de deux rangés de colonnes. Quatre fausses colonnes antiques à tambours ont été montées et sur chacune est racontée l’histoire d’un des sites. Quatre autres colonnes, incomplètes moins hautes présentent des objets. Au sol les ronds beiges incrustés dans la moquette rendent compte des colonnes manquantes. Les scénographes ont ainsi souhaité reconstituer un temple et nous plonger dans le cœur des sites antiques.

La technologie immersive est captivante : avec ses projections sur les quatre murs nous entourant. Chaque site est présenté en image, combinant dessins ; plans d’architecture ; photographies d’archives, images de synthèse et pour finir lesmodélisations 3D qui transportent un instant au Moyen Orient. Les images des sites actuels montrent à la fois l’état des sites avant et après les destructions qu’elles ont pu subir. Ces images sont si imposantes, si hautes, que nous sommes comme écrasés par le poids du patrimoine de l’humanité, face auquel nous sommes bien peu de chose. L’immersion est complétée par la diffusion de musique orientale.


Projection des vestiges détruits dePalmyre
©Méline Sannicolo

 

Cette exposition est une belle opportunitépour voir ces sites en « grandeur nature », c’est très impressionnantet bien réalisé. Le patrimoine y est bien présenté et permet de rendre compte de l’importance de ces vestiges, cependant un peu d’explication sur la situation géopolitique et les hommes acteurs de la destruction aurait été la bienvenue.

 

Méline Sannicolo  

  


[1] « Biens du patrimoine culturel et naturel qui sont menacés de dangers graves et précis, tels que la menace de disparition due à une dégradation accélérée, […]; l'abandon pour des raisons quelconques ; un conflit armé venant ou menaçant d'éclater ; les calamités et cataclysmes […]. Le Comité peut, à tout moment, en cas d'urgence, procéder à une nouvelle inscription sur la Liste du patrimoine mondial en péril et donner à cette inscription une diffusion immédiate. ».

[2] Eugènie Bastié. D'Hatra à Palmyre, les destructionsdes sites antiques par Daech continuent [en ligne]. Le Figaro, publié le31/08/2015.

[3]  Maurice Sartredans l’émission de Jean Lebrun. Palmyre, Venise des sables sur France Inter, le5 avril 2015.