Ce n'est plus un secret : l'explosion des réseaux sociaux sur le net, Facebook et Twitter en tête, a offert aux musées de nouvelles clés en matière de communication. Dans certains cas, par exemple en lorgnant du côté de la très active vie numérique du Muséum de Toulouse, nous pourrions même parler de formes de médiation inédites. Il y a déjà de cela quelques années, en pleine découverte du jeu en ligne Second Life, certains musées un peu avant-gardistes ont fait le choix plus radical de se forger un « double » dans ce monde virtuel. Petite revue de troupe de ces « cyber museum »...

Le musée de l'Holocauste
©Second Life

 

Second Life, c'est un peu le monde où vous et moi, incarnés par des ympathiques avatars, sommes libres de faire ce que l'on veut : se téléporter à l'autre bout de la carte en un clin d'œil, se déplacer en marchant, courant ou volant, et même marcher sous l'eau sans risquer la noyade, bref, le lieu de tous les possibles. S'il est avant tout présenté comme un jeu vidéo, il sert également de réseau social, puisqu'il est possible d'échanger avec tous les autres avatars rencontrés sur notre route en temps réel, et de créer nos propres évènements dans le jeu à tout moment.

Pour ceux qui seraient prêts à vivre l'expérience de manière un peu plus approfondie (c'est-à-dire pécuniaire) on peut alors s'acheter une petite île et construire ensuite sur son terrain tout ce que l'on y souhaite. Les habitants de Second Life ne manquent généralement pas d'imagination : beaucoup ont créé de toutes pièces de nouvelles villes aux architectures expérimentales, souvent impraticables dans la réalité. C'est notamment sur cette idée de pouvoir tester l'intérêt et la faisabilité decertaines initiatives avant de les lancer dans la réalité que Second Life aconnu un réel engouement à la fin des années 2000.

The Exploratorium, le musée des sciences de San Francisco, a été le premier musée à s'être lancé dans l'aventure en 2006. Comme d'autres qui ont suivi ce modèle, l'idée était de reconstruire le bâtiment du musée dans le monde virtuel, et d'en montrer une partie des collections. Dans la plupart des cas, les musées se reconstruisent en tout ou pour partie à l'identique ; la logique de la reconstruction très fidèle a été poussée à son paroxysme par le Staaliche Kunstsammlungen de Dresde, dont la visite virtuelle du musée est entièrement recréée dans un graphisme qui reste tout à fait convaincant, malgré le fait qu'il ne faille pas non plus vous attendre à une qualité de l'image digne d'un vrai jeu vidéo sur Second Life.

De vraies ambitions pédagogiques ont été révélées sur les différentes îles de ce monde et il est même possible pour notre avatar de prendre des cours dans des écoles virtuelles : les musées ne sont pas en reste dans ce domaine, et délivrent peu à peu des informations sur leurs collections, leurs expositions, proposent des démonstrations... Ainsi le réseau des musées municipaux de Rome, Musei in Comune, est-il très présent sur Second Life, après avoir fait le choix d'acheter des terrains virtuels en vue d'y présenter leurs expositions temporaires, moyen ingénieux d'en conserver la trace et de faire vivre / revivreà un public ces manifestations trop éphémères.

Autre lieu, autre choix : le musée de l'Holocauste de Washington nous propose, comme dans un jeu d'aventure traditionnel, de cliquer sur différents documents éparpillés dans ses salles d'expositions afin de reconstituer au fur et à mesure la Nuit de Cristal du 9 au 10 novembre 1938, nous immergeant peu à peu dans un décor et une ambiance propres à nous faire ressentir au plus près l'horreur du pogrom juif.

Façade de la Dresden Gallery
© Second Life

 

Beaucoup d'autres initiatives seraient à signaler, et notamment le fait que beaucoup de musées virtuels, véritables créations d'utilisateurs de SecondLife, se sont multipliés, preuve de la dynamique artistique engrangée par ceux-ci. Petit inconvénient : en lançant une recherche dans la grande base de données du site, au mot « musée », sans précision particulière, vous netrouverez guère que toutes ces créations, ne sachant d'ailleurs plus trop discerner qui pourrait être issu d'un musée « réel ».

Il faudra vraiment préciser votre recherche pour espérer obtenir des résultats probants, et encore ! Si vous recherchez le musée de Dresde, inutile de recopier son intitulé allemand à rallonge, vous ne le trouverez pas : un modeste Dresden Gallery fera l'affaire. L'interface n'est pas non plus très simple, on peut facilement se lasser d'évoluer avec son avatar dans ce monde où l'image met du temps à se charger. Pour les moins patients, beaucoup de vidéos de visites ont été postées sur Youtube, et je ne peux que vous conseiller de regarder celles du musée de Dresde, vraiment très complètes.

A vous présenter tout cela, on est tout de même en droit de se demander ce que cette présence virtuelle peut vraiment apporter, tant au visiteur qu'au musée. Peut-on considérer cela comme un vrai outil de médiation ? Second Life met en exergue la démarche de musées faisant à l'origine un choix fort de visibilité : être présent sur Second Life demande du temps et de l'investissement, est aussi révélateur de mode d'expérimentations original, avec parfois une vraie adaptation du discours au virtuel.

Avoir la possibilité de visiter le cybermusée avant de se déplacer concrètement dans le lieu, avec la chance de n'avoir aucun autre visiteur dans la salle, de pouvoir s'approcher des tableaux, font que les utilisateurs de Second Life peuvent assez bien préparer leur visite, en repérant les lieux de manière inhabituelle. Ceci dit, la qualité des informations délivrées y est le plus souvent minime. Lorsque des visites guidées virtuelles sont proposées, comme sur la reconstitution de la Rome Antique ou un chantier de fouilles non loin d'une pyramide de Kheops pixellisée, la pertinence du contenu peut alors rivaliser avec le simple plaisir visuel du « repérage des lieux ». 

Mais quant au reste, il me semble que le chemin est encore long avant d'aboutir à une réelle médiation dans ce domaine des musées sur Second Life, et qui ne sera peut-être pas parcouru avant longtemps. En effet, si la plateforme du jeu a connu un âge d'or en 2006/2007, au point qu'une bonne partie de la campagne présidentielle française virtuelle de 2007 se soit jouée sur SecondLife, les activités et la dynamique du site semble aujourd'hui en constante perte de vitesse et les musées présents sur SecondLife ne le précisent même pas sur leur site internet. Que faire quand la communication entre notre monde réel et sa recréation virtuelle semble coupée ?

 

Lucie Rochette