En cette période de fête, entre réunions de familles, repas, convivialitude à tout va, viennent les dernières heures de l’année. Bref : c’est l’heure du fameux bilan à base de « Dieu, qu’avons-nous fait de nos vies durant cette année ? », « avons-nous été sages ? », « qu ‘avons-nous donc amélioré/empiré/ignoré dans un bel ensemble collectif ? » à grands coups de rétrospectives, retours en images s’achevant en envolées lyriques et autres bêtisiers sur fond de musique poumpoum-poin-pop-pouêt-pouêt.

La question du temps qui passe et la question de sa trace turlupine d’autant plus lorsque l’on se destine à travailler dans un musée. Oh oui, de biens grands maux, sur lesquels on pose des grands mots souvent bien maladroits pour en extraire une maxime nébuleuse pseudo-hautement philosophique sur le Sens de la Vie.

            « Diantre ! Cette scélérate a cru nous avoir avec sa cynique litanie ? La bougresse se terre derrière un style enlevé, digne d’un post aguicheur putaclic, et tergiverse avant de se lancer »

 Mettons ces atermoiements sur un probable trop grand gavage de proverbes en papillotes. Loin de moi l’idée d’être une reine de la prose qui va résoudre la Grande Question muséale en quelques XXXX caractères mais tant pis, je me lance.

            Les musées, ces temples du savoir, gardiens des reliques de l’Humanité, passeurs d’enseignements du passé, et à l’occasion de valeurs idéalistes.

Un musée, dans l’imaginaire collectif, c’est notamment la Conservation. Une accumulation de pièces de toutes sortes et de toutes valeurs, transformant le lieu en une caverne d’Ali Baba, un cabinet de curiosités emplis de mystères, d’objets rendus fabuleux. Mais au fond,

 

si Tout finit par se désagréger, puis par disparaître,
à quoi bon vouloir laisser une trace,
retranscrire, transmettre ?

 

artothèque Mons

 

Vue de l'Artothèque de Mons ©Bruynzeel.fr

 

La vie tient dans des boîtes

 

Tout est question de contenu dans des contenants.
Pourtant, il est étonnant de voir qu’un contenu
puisse être contenant
de tant de contenu.
Contenu qui, contient tant
de contenus détenu :

Récoltés, accumulés, collectés, collectionnés,
dépossédés de toutes fonctions ou identités,
Ces contenus, plus ou moins involontairement
sont oubliés.
Bien souvent aux dépens
d’une collection bien constituée,
d’une muséographie sélectionnée.

Caché, masqué, dissimulé,
ces contenus sont contenants de secrets sciemment gardés,
autant par leurs premiers possesseurs
que par leurs derniers acquéreurs.
Parfois trop difficiles à céder,
souvent trop difficiles à intégrer
à l’analyse gracile d’un programme bien ficelé.

 

bazars bozzini

 

Espace Bazars - Collection Bozzini ©Alain Germond / Musée d’ethnographie de Neuchâtel

 

Dans l’Histoire comme au musée
tout n’est qu’interprétation
de faits, d’objets éloignés.
Elle nous est simplement rédigée, présentée
Sans savoir si son orientation
est dirigée ou non.
En bon curieux, il faut toujours remettre en question
la valeur et la véracité d’une information.

Dans l’Histoire, comme au musée,
tout n’est que fragmentation
de ce qui fut un jour notre présent.
Un même sujet peut être traité à foison,
sans jamais l’épuiser,
tant il a de facettes encore non explorées.

Mais la sélection ne permet plus
le débordement du contenu.
Et l’inverse laisse totalement décontenancé
le curieux en quête d’une bribe du passé.

 

vue artothèque Mons

 

Vue de l’Artothèque de Mons ©L’art de Muser

 

À l’ère du numérique, où l’homme ne cesse plus
de créer en continu
des quantités de contenus,
traces, souvenirs et données
comme jamais il n’en avait eus ;
De tous ces maigres témoignages,
très bientôt hors d’usages,
d’un temps révolu,
Jamais, il n’en a autant perdu.

À l’ère du numérique, où tout est question
de bits, de place,
qu’en est-il de la conservation
de cette immatérielle trace ?
Que doit-on placer
dans les collections du musée ?
Le fichier originel ?
Une reproduction fidèle ?

 

Cette manie de la conservation,
de la pérennité, de l’immortalisation,
n’est-elle pas absurde, quand on sait que tout tend
- inévitablement -
vers la disparition ?
À quoi bon ?

 

Ozymandias

Le musée délivre aux objets une durée de vie plus longue que les personnes qui viennent les observer. La patrimonialisation confère une forme d’éternité ou du moins de pérennité.

Vouloir laisser une trace à travers les années qui passeront après nos morts revient à se battre contre le phénomène même qui est à l’origine du temps. Sans cette dispersion inéluctable de la matière, il n’y aurait aucun message à faire passer au futur, car il n’y aurait pas de nécessité à laisser un témoignage. Aucun objet, événement ou connaissance que l’on essaye de sauvegarder de la destruction n’existerait sans cette destruction. L’impermanence des choses est une propriété fondamentale de l’univers, que les musées auront toujours à apprivoiser.

 

Parce que tout passe, même le passé.

 

À quelques heures de la clôture de l’appel à la participation du projet Keo – satellite/time-capsule rassemblant des témoignages à destination du futur– peut-être qu’en transmettant une partie de ces questions, elles y trouveront un jour des réponses. Ou peut-être mieux : au contraire, elles paraîtront nébuleuses, fictionnelles, désuètes. Les musées auront-ils encore lieu d’être ? Seront-ils encore des lieux réels ou virtuels ? Chercherons nous à retourner au matériel, à un espace concret ? Nos écrits seront-ils les rares traces d’improbables reliques ?

 

JR

#impermanencedeschoses

 

Pour aller plus loin :

- L’impermanence des choses, la collection permanente du Musée Ethnographique de Neuchâtel : www.men.ch/fr/expositions/la-villa/

- Comment cette capitale s’est évaporée, par Léo Grasset sur DirtyBiology : www.youtube.com/watch?v=nEx2lQyfSlc&t=32s

- Quelle trace voulez-vous laisser ? Le projet Keo : www.keo.org