Expositions semi-permanentes, expositions de références, expositions temporaires de longue durée, expositions temporaires dans l’espace permanent… La frontière entre les expositions permanentes et temporaires devient de plus en plus floue. Dans notre société où l’immuable n’a plus sa place, où il faut produire toujours plus vite pour consommer plus vite, est-il encore pertinent de vouloir à tout prix, ou juste par habitude, créer des parcours permanents figés ? Ou bien faut-il préserver la culture de l’engrenage de la consommation rapide ?
 
Aujourd’hui, et en réalité depuis l’influence de la nouvelle muséologie, les missions de la plupart des musées se sont réorientées. Le musée ne se positionne plus seulement comme le gardien d’un trésor patrimonial à conserver et à faire connaître, mais place de plus en plus le public au cœur de ses préoccupations. Pour ces musées, il ne s’agit plus simplement de lui transmettre des informations dont il dispose finalement en quelques clics sur Internet, mais d’être le vecteur d’émancipation, de questionnement, d’ouverture d’esprit et de mise en débat du public. Le musée se doit donc d’être au cœur de l’actualité pour pouvoir interagir avec le public dont les questionnements évoluent aussi vite que les changements sociétaux et environnementaux. La majorité des expositions permanentes n’assument cependant pas cette position. C’est pourquoi on cherche des alternatives comme la multiplication des expositions temporaires et l’enrichissement du programme des activités et évènements, qu’ils soient intra ou extra muros.
 

Entre le permanent et le temporaire

On constate en effet que les expositions permanentes le sont de moins en moins, on n’ose plus se projeter dans le futur pour 15 ou 20 ans. Il existe alors plusieurs formules de compromis.
 
Dès le début des années 70, le Musée dauphinois de Grenoble se distingue par sa politique d’expositions temporaires de longue durée pour reconquérir son public en modifiant régulièrement les collections exposées. Aujourd’hui, on emploi de plus en plus le terme d’exposition « semi-permanente » pour mettre en avant leur caractère évolutif. C’est par exemple le cas au fort Saint-Jean (MUCEUM) où l’accrochage est renouvelé tous les 3 à 5 ans et dont certaines pièces tous les 3 à 6 mois pour des raisons de conservation. On peut également parler d’expositions de référence. C’est notamment le cas au Musée d’ethnographie de Neuchâtel avec « L’impermanence des choses » où il est prévu de remplacer des modules entiers au fil des années. Si l’inauguration eut lieu en novembre 2017, il est déjà prévu d’apporter des changements dans le courant de l’année 2019.
 
Aujourd’hui, les expositions permanentes sont plutôt conçues sur un horizon de 10 ans, les expositions semi-permanentes visant les 3 à 5 ans et les temporaires 3 mois à 1 an. Certains musées jouent également sur le dialogue entre le permanent et le temporaire. Pour renouer ses relations avec la création contemporaine, le Petit Palais à Paris expose jusqu’au 13 janvier 2019 une série de photographies imprimées sur toile grand format au sein même de ses collections permanentes. Au MUba, on adapte régulièrement l’accrochage du permanent pour faire écho au temporaire.

 

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Valérie Jouve au Petit-Palais (Paris) © Laurence Louis

 

Les expositions temporaires : un atout dynamique considérable

Les expositions temporaires jouissent en effet de nombreux avantages et nouvelles possibilités. Si elles permettent de rester au cœur de l’actualité comme expliqué précédemment, elles sont également l’occasion d’approfondir un sujet en particulier. Et plus une institution organise des expositions, plus elle se lance dans de nombreuses recherches scientifiques variées, enrichissant ses bases de données, ses ressources et ses partenaires. D’ailleurs, cela permet un roulement plus régulier des objets exposés et ainsi la redécouverte de certains objets oubliés au fond des réserves. Un si grand nombre de trésors patrimoniaux se morfondent à l’ombre de leur réserve, privé du regard fasciné du public.
 
À l’instar du développement d’une meilleure connaissance de ses propres collections, une nouvelle exposition est également l’occasion d’engager des prêts auprès de multiples institutions, publiques ou privées, réunissant en un seul lieu des œuvres éparpillées que le public n’aurait peut-être jamais pu voir autrement. L’approfondissement ou l’élaboration de nouvelles thématiques sont ainsi possibles. Tout cela, ajouté à la succession régulière des expositions pousse à la créativité, à l’exploitation d’idées plus audacieuses ou bien encore la mise en valeur d’un commissaire qui apportera peut-être un regard différent. La communication portée autour d’une exposition temporaire est également bien plus importante. Elle est en effet le miroir d’un musée dynamique qui généralement développe de nouvelles activités et de nouveaux évènements pour l’occasion. Cela encourage au passage la fidélisation du public qui a désormais de plus nombreuses raisons de se rendre au musée.
 

L’excès du temporaire contre la sécurité du permanent

Si tous ces arguments accablent la vétusté des expositions permanentes, il ne faut pas mettre de côté le revers de la réalité. Le rythme effréné de l’enchaînement des expositions coûte très cher, mobilise énormément de temps et de personnel, abrège l’approfondissement des recherches documentaires et supprime parfois tout simplement le temps de post-évaluation et de remise en question. En France, bien des institutions ont d’ailleurs ralenti ce rythme.

 

Lors d’une conférence en décembre 20181, Wout de Vuyst (responsable du Département recherches et collections du STAM à Gand) ajoute d’autres constats : le public scolaire vient généralement visiter le parcours permanent qui s’inscrit dans leur programme scolaire. Et puis il y a des chefs d’œuvres incontournables préalablement attendus que le visiteur ne veut pas manquer. Il ajoute également que bien souvent, un très gros pourcentage des collections n’est pas inventorié, freinant le roulement des objets dans le parcours. Le risque de la multiplication intensive des expositions temporaires pourrait également entrainer une mise en concurrence des institutions culturelles. Mais à l’inverse, cela pourrait devenir un stimulus général dans la vie culturelle d’une ville, incitant le touriste d’un jour à y rester plutôt deux…

 

La nécessité d’anticiper le changement

Il ne serait donc pas raisonnable de condamner les expositions permanentes, bien qu’elles soient généralement un frein à l’ouverture au monde de certains musées restés figés dans leurs présentations visuelles et leurs thématiques. Il existe des solutions pour redynamiser un parcours permanent comme l’installation de dispositifs numériques dont l’obsolescence impose un renouvellement régulier, la mise en place de médiations animées par les acteurs du musée qui peuvent facilement s’adapter aux nouvelles envies ou encore un accrochage modulable sans devoir nécessairement remettre l’entièreté du parcours en question.
 
Nous l’avons vu, les expositions permanentes imposent de nombreuses contraintes. Est-il donc encore pertinent d’en concevoir de nouvelles ? Le rythme de l’évolution de notre société nous le permet difficilement. Pourtant, elles ont aussi un rôle à jouer dans un musée. Leur sort est alors discutable mais dans le cas où l’on envisage de mettre sur pied une nouvelle exposition permanente, il est essentiel d’anticiper le changement dès le départ. Et si l’on opte pour des expositions temporaires, cela n’impose pas nécessairement l’adoption d’un rythme excessivement rapide de l’une à l’autre. Différents compromis sont ainsi possibles pour démystifier l’image poussiéreuse des musées. Cela permet en effet de fidéliser le public mais aussi de se renouveler et rester en accord avec les préoccupations contemporaines.

 

Laurence Louis

#ExpositionPermanente
#ExpositionTemporaire

 

À lire :

CHAUMIER Serge, « Évolutions des expositions et transformation des rapports entre l’institution et ses publics », La Lettre de l’OCIM [En ligne], 150 | 2013, mis en ligne le 29 novembre 2015, disponible sur http://journals.openedition.org/ocim/1297 ; DOI : 10.4000/ocim.1297, consulté le 12 décembre 2018.

 

DROUGUET Noémie, « Parcours permanent ou parcours de référence : un nouveau rapport entre le permanent et le temporaire », journée de réflexion « Exposition permanente : entre continuité et renouvellement », Musée de la Vie wallonne, le 27 octobre 2011, disponible sur https://orbi.uliege.be/handle/2268/190923, consulté le 12 décembre 2018.

JACOBI Daniel, « Exposition temporaire et accélération : la fin d’un paradigme ? », La Lettre de l’OCIM [En ligne], 150 | 2013, mis en ligne le 29 novembre 2015, disponible sur http://journals.openedition.org/ocim/1295 ; DOI : 10.4000/ocim.1295, consulté le 12 décembre 2018.

 

1 « Quelle relation au territoire pour un musée qui se dédie à l’histoire et à la vie d’une ville ou d’une région aujourd’hui ? », journée d’échanges interprofessionnels, Artothèque de Mons, Co-organisé par le master MEM et le Pôle muséal de Mons, le 4 décembre 2018.