La Cité du Cinéma, à Saint-Denis en région parisienne, a accueilli en 2018 l’exposition événement Jurassic World dans le cadre de la sortie du second opus intitulé Fallen Kingdom. Ce parcours immersif jalonné de dinosaures mécaniques monumentaux proposait au visiteur de déambuler dans des décors inspirés de la mythique saga cinématographique, qui compte actuellement cinq opus divisés en deux « sous-séries », Jurassic Park et Jurassic World. L’une des particularités de cette exposition était de décliner un thème issu de l’industrie du divertissement mainstream mais avec une forte composante scientifique et l’objectif de transmettre des connaissances au public.

 

Peut-on alors considérer Jurassic World comme une exposition scientifique en dépit de son caractère hollywoodien ?

 

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Dinosaure mécanique et tunnel de passage vers une salle de médiation - © M.T.

 

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L’expo joue sur la ressemblance de concept entre Jurassic World et les parcs zoologiques - © M.T.

 

« En marketing, le mainstream (courant principal en anglais) désigne le marché grand public, la tendance majeure de consommation. Le mainstream recouvre la plus grande partie de la demande et s’adresse donc au plus grand nombre de consommateurs potentiels.

C’est un phénomène de masse, qui peut être amené par l’actualité, la mode, les médias, les relais d’influence (stars, journalistes, blogueurs, youtubeurs). »

(Source : www.journaldunet.fr)

 

La franchise regroupant les sagas Jurassic Park et Jurassic World constitue l’un des exemples les plus connus de cette culture de masse. Sorti en 1993, le premier opus réalisé par Steven Spielberg avait révolutionné la façon de montrer les dinosaures au cinéma, en s’appuyant sur des données scientifiques récentes qui contredisaient totalement l’image que le public se faisait en général de ces espèces disparues. La vision improbable d’un tyrannosaure à la stature verticale avec une queue traînant par terre laissait place à un animal beaucoup plus réaliste (et donc plus apte à effrayer des spectateurs moins facilement impressionnables qu’autrefois). Cette alliance réussie entre cinéma et science ne s’est néanmoins pas toujours vérifiée, et force est de constater que de nombreuses invraisemblances subsistent dans le scénario des différents films. Ces dernières ont notamment été analysées dans le cadre de la sortie du premier opus de Jurassic World (en 2015) par le magazine Sciences & Avenir1.

 

Faut-il pour autant reléguer le mainstream au rang de « sous-culture » tout juste bonne à offrir du divertissement sans proposer aucune médiation ? Utiliser des films, des romans, BD ou jeux-vidéos célèbres comme support de transmission de connaissances est certes un exercice délicat : cela nécessite de passer au crible leur contenu afin de repérer d’éventuelles erreurs et distinguer les détails relevant d’une réalité scientifique (ou historique) de ceux purement inventés pour les besoins de l’intrigue. Mais si ce travail de vérification est effectué avec rigueur et que l’exposition qui en découle établit des limites claires entre réalité et fiction, permettant ainsi au visiteur de faire la part des choses, alors le mainstream devient un formidable outil de médiation.

 

Il attire en effet un public plus large que les expositions purement scientifiques et constitue donc une « porte d’entrée » accessible pour des personnes n’ayant pas l’habitude de s’intéresser à ce type de sujet. Car la science, même vulgarisée, revêt pour beaucoup un aspect intimidant ou rebutant pouvant s’expliquer par un certain nombre de facteurs : mauvais souvenirs d’école, sentiment d’échec face à des notions incomprises, croyance selon laquelle cette discipline serait réservée à une élite d’intellos pas très glamour… Tandis qu’une saga telle que Jurassic Park (ou World) peut être appréciée par tous, sans distinction de rang social, d’âge ou de niveau d’études. C’est là l’un des principaux atouts du mainstream : il abolit l’effet de compartimentation que créent les expositions « spécialisées » et s’adresse à tous les publics – à l’exception peut-être des élites intellectuelles, qui ont parfois tendance à mépriser cette culture de masse car elle se permet de prendre des libertés avec la réalité et affiche sans fard ses objectifs lucratifs (quitte à ne pas faire dans la dentelle). Il n’est d’ailleurs pas besoin d’analyser longuement la question pour comprendre que Jurassic World avait pour principal objectif de faire la promotion du film Fallen Kingdom, sorti en France un mois après l’ouverture de l’exposition.

 

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Version anglophone de la salle InGen - © Encore Productions

 

Outre les enjeux marketing qui pèsent sur ce type d’événement et peuvent influencer la muséographie, des problèmes de confusion surviennent lorsque la frontière entre imaginaire et réalité n’est pas assez bien mise en évidence. Les visiteurs non-initiés peuvent alors retenir des informations erronées et se forger de fausses croyances. La question est particulièrement épineuse dans le cas de la science-fiction, où tout est fait pour rendre vraisemblable une histoire en vérité impossible. Ainsi, la reconstitution de la salle InGen nous laisserait presque croire que l’on peut véritablement ressusciter des dinosaures grâce à un moustique extrait d’un morceau d’ambre – technique dont rêveraient sans doute les paléontologues mais qui dans la pratique demeure tout à fait irréalisable. L’anatomie des espèces présentées pose également question : nous avons ici affaire à des animaux génétiquement modifiés dont l’apparence est parfois assez éloignée du « modèle initial », mais cette information n’est pas toujours clairement précisée ; certains dinosaures sont présentés comme fidèlement inspirés de la réalité même lorsque ce n’est pas le cas.

 

On notera néanmoins que malgré cette « zone de flou », Jurassic World propose des outils de médiation intéressants – voire ingénieux, tels les panneaux pédagogiques qui décomposent les noms à rallonge de certains dinosaures de manière à en faciliter la lecture et la prononciation. Le fait de pouvoir manipuler des moulages d’ossements fossilisés inclut par ailleurs une dimension tactile appréciable. Quant à la fameuse salle InGen, elle contient des informations pertinentes sur la géologie et la génétique. Ajoutons à cela une scénographie efficace grâce aux décors immersifs, aux nombreux effets sonores et visuels, et aux dinosaures mécaniques particulièrement bien réalisés.

 

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Exemple d’un panneau pédagogique et de moulages à manipuler - © M.T.

 

En conclusion, Jurassic World ne saurait être qualifiée d’exposition scientifique en raison d’un manque de clarté dans la distinction entre fiction et réalité (ce n’est d’ailleurs pas un hasard si elle fut présentée à la Cité du Cinéma, et non au Palais de la Découverte ou au Muséum d’Histoire Naturelle). Elle crée cependant une passerelle entre science et culture populaire – passerelle qui pourrait peut-être à terme contribuer à réconcilier une partie du public avec les musées.

 

M.T.

 

Pour aller plus loin : 

Le site officiel de l’exposition : https://www.jurassicworldexposition.fr/

 

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