Les années 2010 furent marquées par leur lot d’innovations technologique et numérique à l’instar du paiement sans contact, du développement des drones, de la voiture sans conducteur, des objets connectés, des casques de réalité virtuelle, de l’intelligence artificielle, etc.  Elles n’ont d’ailleurs pas tardé à entrer dans les musées à travers les tables numériques, les applications de visite, les casques de réalité virtuelle, etc. 

Dans ce contexte, rien d’étonnant à ce que les musées et autres structures culturelles s’en soient emparés tout en questionnant nos rapports avec ces dernières et leur impact sur le quotidien. En cette fin de décennie, on peut noter l’ouverture de structures dédiées aux arts et aux technologies comme la Gaîté Lyrique en 2011, ou des cycles de rencontre entre art, ingénierie et science du Forum Vertigo au Centre Pompidou depuis 2017, en passant par la création de Némo la Biennale des arts numériques en 2015. Comment ces évènements culturels et scientifiques interrogent-ils ce bouleversement technologique de nos modes de vie ? 

Créer une nouvelle expérience pour le visiteur 

Les nouvelles technologies contribuent d’abord à offrir une expérience  originale au musée soit par la mise à disposition de nouveaux outils de médiation et de visite soit par l’utilisation de technologies pour interroger le corps du visiteur dans l’espace. 

La réalité virtuelle (VR) grâce à des casques, permet de s’immerger complètement dans une œuvre, un environnement, une atmosphère. Ce dispositif assez contraignant oblige cependant le visiteur à s’isoler ce qui n’est pas convivial. Néanmoins les musées contournent cette contrainte grâce à des aménagements adéquates. En 2019, le Musée du Louvre a décidé de plonger ses visiteurs dans le plus célèbre tableau du monde La Joconde. Cependant cette expérience n’était accessible qu’à la fin du parcours et disponible uniquement sur réservation. Le Mons Memorial Musuem propose une expérience inédite de VR. Ce dernier a produit quatre courts-métrages relatant différents moments de la libération de 1944. Ce dispositif se veut immersif car les visiteurs sont isolés dans des cabines individuelles.

 

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En tête-à-tête avec la Joconde, Expérience de réalité virtuelle au Musée du Louvre. ©Emissive

 

La réalité augmentée permet de renouveler l’approche des œuvres et du patrimoine grâce à une ergonomie nouvelle. Cela donne aux visiteurs un accès à davantage d’informations de façon ludique. Cette technologie offre aussi la possibilité de reconstituer une ambiance disparue, c’est le cas avec le dispositif HistoPad disponible au Palais des Papes, au château de Chambord ou à la Conciergerie. Le visiteur est projeté dans une époque révolue mais au réalisme saisissant. 

La numérisation du patrimoine en 3D offre quant à elle de nouvelles possibilités aux musées et autres lieux de patrimoine. Elle donne accès à des lieux inaccessibles ou détruits. En 2018 l’exposition Cités Millénaires (voir l’article d’Armelle Girard) de l’Institut du Monde Arabe apportait la possibilité de ressusciter des cités mythiques du Moyen-Orient grâce à leur numérisation 3D. Cette technique est de plus en plus utilisée dans le cadre de la conservation préventive de sites soumis à des risques. En 2016, c’est l’institut culturel de Google qui propose aux internautes de visiter virtuellement les châteaux de la Loire depuis leur domicile. Pour ce faire, le géant du numérique s’appuie sur sa technologie de Street View qui permet de naviguer facilement d’espace en espace. En donnant accès à des détails ou pièces non accessibles en visite in situ, il s’agit d’une découverte originale pour les amateurs de monuments historiques.

 

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Vue de l'exposition Cité millénaires, Voyages virtuels de Palmyre à Mossoul à l'IMA. ©Naël Boustany

 

L’intelligence artificielle (I.A.), permet de créer des visites toujours plus inédites et personnalisables. D’abord entrée par les coulisses du musée, l’I.A. est utilisée lors de restauration d’œuvres d’art, voire de création d’œuvres inédites (The Next Rembrandt). Au contact des visiteurs, l’I.A. devient une sorte de médiateur.  La technologie du chatbot de la société Ask Mona, permet au visiteur de devenir acteur de la visite grâce à l’interaction avec une I.A. via l’application Messenger de Facebook. Quant au Smithsonian de Washington, il s’est doté en 2018 de Pepper le robot humanoïde de la société SoftBank Robotics qui interagi au quotidien avec les visiteurs. Sa mission est de donner envie de découvrir le musée et en partageant des informations avec le public intrigué par ce nouveau compagnon de visite.

L’approche technique et pragmatique : le rôle des musées de sciences face aux nouvelles technologies

Les nouveautés technologiques et numériques étant quasi quotidiennes, la programmation scientifique et culturelle des musées de sciences accompagne les visiteurs dans la compréhension pratique de ces changements et leurs conséquences sur le quotidien. 

Dès 2012 le musée des Arts et Métiers ouvrait une exposition temporaire intitulée Et l’Homme … créa le robot. Le visiteur était accompagné par deux animatronics Robbix et Robbixa qui performaient dans l’espace. L’exposition voulait revenir sur l’histoire de l’automatisation et de la robotisation en montrant le passage de la reproduction des gestes humains par les automates à l’apprentissage des robots rendu possible avec l’intelligence artificielle. Le parcours chronologique donnait un aperçu de l’évolution du rôle du robot de la sphère de l’industrie à la sphère domestique.

Dans cette lignée, la Cité des Sciences et de l’Industrie a ouvert en avril 2019 un espace d’exposition permanente s’intitulant Robots qui interroge la robotique contemporaine (qui a évolué depuis 2012) et les conséquences des robots et autres objets connectés dans notre vie quotidienne. Le parcours propose aux spectateurs, de rencontrer le robot humanoïde Pepper qui fait office de médiateur puisqu’il explique lui-même ses composants et son fonctionnement. Le choix de proposer cette thématique en exposition permanente montre bien l’importance de donner la possibilité à chacun d’apprivoiser et de comprendre ces nouvelles technologies.

 

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Le robot Pepper de l’exposition Robot à la Cité des sciences et industrie de Paris. ©Marie Briand-Locu.

 

En 2018, le Palais de la Découverte dédie une séquence de son parcours permanent à l’Informatique et Sciences du numérique. Le parcours aborde les fondamentaux de l’informatique tels que les données, les algorithmes et les langages informatiques. Puis évoque les recherches actuelles autour des méga données (Big Data), les robots et l’I.A. Pour terminer sur les technologies abouties qui sont ou pas encore entrées dans notre quotidien comme l’imagerie médicale de Fluid de la société Therapixel ou le Li-Fi de la société Lucibel. L’exposition permet de faire le point de façon pratique et technique sur les concepts informatiques en constante évolution et perfectionnement.  Une visite virtuelle de cet espace est disponible gratuitement depuis le site internet du Palais de la Découverte. 

En 2018 le Quai des Savoirs, en coproduction avec le Muséum d’histoire naturelle de Toulouse, propose la version itinérante d’une exposition autour de la question du transhumanisme. S’intitulant #HumainDemain, elle se propose de faire découvrir des progrès techniques et scientifiques dans le domaine du corps et de la santé : prothèses, implants, greffes qui peuvent améliorer nos performances, mais aussi notre rapport au quotidien grâce à l’I.A. et aux objets connectés. L’exposition se veut participative, elle propose au visiteur de désigner son innovation préférée, de s’interroger sur l’éthique de cette dernière et de devenir acteur de son futur développement.

 

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Vue de l’exposition #HumainDemain au Quai des Savoirs. ©Thierry Pons

 

La maîtrise et la compréhension des sciences du numérique et de l’informatique devient, dans notre société en mutation, aussi importantes que de comprendre les mathématiques et les sciences de la vie. Les musées de sciences sont des vecteurs de transmissions de ces connaissances nécessaires pour évoluer dans la société numérique de demain.

L’approche esthétique et artistique : entre entertainment et propos convaincant 

Les structures et musées exposant des collections type beaux-arts se sont aussi emparés des nouvelles technologies, soit dans la manière d’exposer les œuvres soit en les questionnant à travers des expositions. 

Dans le premier cas il s’agit d’expositions immersives qui répondent de plus en plus à une demande croissante de ce genre d’évènement ou entertainement. L’Atelier des Lumières (voir l’article de Laurence Louis) ouvert en avril 2018 surf sur cette vague du numérique en proposant un spectacle multimédia à partir d’œuvres d’artistes iconiques. Pour cela, la société Culturespaces qui gère l’espace s’appuie sur une technologie spécifique AMIEX® (Art & Music Immersive Experience). Cette dernière permet de coordonner à grande échelle des milliers d’images et de sons de haute qualité en utilisant des projecteurs laser connectés par fibre optique. Les avancées technologiques contribuent  la découverte d’œuvres souvent trop difficiles à déplacer. Démocratisation culturelle ou simple spectacularisation des œuvres, telles sont les visions qui s’opposent autour de ces évènements. Par la manipulation et l’animation des images, le visiteur est davantage un spectateur devant un show immersif qui s’offre à lui.

 

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Vue de l’exposition Van Gogh, la nuit étoilée à l’Atelier des Lumière. ©Culturespaces-E.Spiller.

 

Toujours dans cet esprit d’exposition immersive, l’évènement teamLab à la Grande Halle de la Villette en 2018 présentait aux visiteurs une création originale Au-delà des limites, avec laquelle ces derniers pouvaient interagir. Les créations numériques projetées, grâce à la même technologie de projecteurs surpuissants, sont autonomes et se modifient en présence des visiteurs et de leur interaction avec cet environnement. 

 

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Vue de l’exposition TeamLab Au-delà des limites à la Grande Halle de la Villette. ©Eric Valdenaire.

 

Dans le second cas, il s’agit d’aborder les thèmes de société liés aux nouvelles technologies et à leur esthétique à travers des expositions artistiques. Les Rencontres photographiques d’Arles en 2018 ont invité le photographe Matthieu Gafsou a présenté son travail. L’exposition s’intitulait H+, elle explore l’esthétique déroutante du transhumanisme. Ici aucune explication n’est donnée sur les technologies transhumanistes, c’est l’esthétique qui vient questionner le visiteur sur des sujets comme la fugacité de l’existence humaine. 

En 2018, l’exposition Artistes et Robots au Grand Palais a connu une importante fréquentation. L’institution s’est voulue moderne en exposant pour la première fois de sa programmation les arts de « l’imagination artificielle » c’est-à-dire l’art robotique, génératif et algorithmique. Son parti-pris était d’interroger l’influence des nouvelles technologies sur la création artistique. Avant tout l’exposition pose la question controversée de savoir si les robots et autres intelligences artificielles peuvent remplacer les humains et donc les artistes. Or, ces dernières sont davantage examinées comme des nouveaux outils pour les artistes qui leur donnent la possibilité d’aller plus loin dans leur travail artistique. Par ce biais, il est expliqué que les machines à l’aube des années 2020, ne sont pas encore capables de créer seuls des œuvres. La créativité humaine est toujours nécessaires pour imaginer des œuvres dotées de sensibilités et de subjectivités.

 

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Stelarc, red Re-Mixed : Event for Dismembered Body, de l’exposition Artistes et Robots au Grand Palais. ©RWRM

 

A travers le prisme de l’art, les expositions et évènements évoqués plus haut, enrichissent le débat autour de l’entrée des nouvelles technologies dans notre quotidien. Ils offrent la possibilité aux visiteurs de s’éveiller à ces sujets de société. En attendant de nouvelles inventions, les artistes et les musées ont encore de belles années devant eux et de quoi nous surprendre encore. 

 

Axelle Gallego-Ryckaert

 

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