Girl with Balloon, œuvre renommée de Banksy © Nelly J.

Peut-on réaliser une exposition sur un artiste sans son accord ? C’est ce que propose « The World of Banksy », une rétrospective visible du 13 juin 2019 au 31 décembre 2020 à l’Espace Lafayette-Drouot à Paris. Développée sur un espace de 1 200m2, la manifestation présente des reproductions d’œuvres de Banksy par un collectif de street artistes souhaitant rester anonyme, ainsi que des lithographies originales issues de collections privées. Elle n’est pas à l’initiative de l’artiste et ne s’en cache pas. Un comble pour un artiste qui rejette la commercialisation de ses œuvres par le marché de l’art, dont il dénonce les excès. En effet, Banksy a choisi de n’être représenté par aucune galerie. Il gère lui-même le business de ses pochoirs, livres et films, et produit ses œuvres dans la rue afin de les rendre accessibles à tous. 

Un artiste victime de son succès

Banksy, un street artiste renommé mondialement dont l’identité est entourée d’un véritable mystère. La légende raconte qu’il serait d’origine britannique, né à Bristol. Il aurait fait ses premiers pas dans le street art pendant les années 1990 en Angleterre. En utilisant la technique du pochoir, il caricature la société de consommation, le système capitaliste, la politique, l’armée, critique les injustices et s’engage également dans des causes humanitaires. Il est aujourd’hui le street artiste anonyme le plus médiatisé.

Le Royaume-Uni compte environ 80% des collections de l’artiste. On retrouve également sa trace dans les rues des villes américaines dès les années 2 000. En France, il est connu depuis 2015 pour avoir réalisé des pochoirs dans des quartiers parisiens. En hommage aux victimes de l’attentat de 2015, il réalise Bataclan en 2018. Comme d’autres œuvres, elle est dérobée en 2019. Retrouvée en Italie, elle a été officiellement rendue à la France le 14 juillet 2020. 

 

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Bataclan, un hommage aux victime de l’attentat de 2015, 2018
© Nelly J.

 

Banksy est contre les mécanismes du commerce de l’art. Paradoxalement, ses œuvres sont cotées à plusieurs millions d’euros sur le marché. En 2018, l’un de ses pochoirs sur toile encadré, Girl with Balloon, est adjugé vendu pour 1,2 millions d’euros. Toutefois, au moment où le commissaire des enchères valide la vente, l’œuvre s’autodétruit devant les yeux ébahis du public. Cet acte fort de Banksy marque son engagement contre la marchandisation de ses œuvres.

 

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Une idéologie de Banksy
© Nelly J.

 

Pourtant, les villes du monde entier continuent à proposer des expositions sans son consentement ni sa participation. Banksy dénonce ainsi sur son site web les expositions au Portugal, Pays-Bas, Canada, Amérique, Arabie Saoudite, Russie, Hongrie, Roumanie, Turquie, Espagne, Italie, Allemagne, Grèce, Israël, Belgique, Suède, et en France dont celle de Paris. Au nombre de vingt-sept, elles sont affichées avec leurs prix d’entrée respectifs sous le mot « FAKE ». « Les membres du public doivent savoir qu’il y a eu une récente vague d’expositions sur Banksy mais qu’aucune n’est consentie. Elles ont été organisées sans connaissance ou implication de l’artiste. Veuillez les traiter en conséquence. », précise-t-il également sur sa page internet. La prolifération de ces expositions à but commercial peut-elle être apparentée à du vol ?

Une exposition faussement « immersive »

Malgré mes réticences envers ce commerce non éthique visant principalement à enrichir les galeries d’art, je suis allée visiter l’exposition « The World of Banksy », curieuse de la promesse d’une « expérience immersive ». 

Le public est au rendez-vous. J’entre dans l’exposition par un couloir en suivant les traces de pattes de rats sur le sol, elles indiquent les sens de circulation. Banksy aime particulièrement représenter les rats dans ses œuvres. Des phrases originales de l’artiste sont apposées avec leur traduction sur les murs afin de plonger le visiteur dans son univers. « Si vous êtes sale, insignifiant et mal aimé, les rats seront votre seul modèle de référence. », peut-on ainsi lire à l’entrée de l’événement. 

La visite continue par une descente au sous-sol. La scénographie met en scène des espaces citadins bétonnés. La muséographie propose des lithographies et reproductions d’œuvres grandeur nature réalisées en Amérique avec une statue de la liberté masquée. Une mise en scène qui semble rappeler les dernières actions de Banksy dans le métro londonien avec ses rats masqués ainsi que l’œuvre Cinquante ans depuis le soulèvement de 1968 à Paris exposée en face, mais sans aucun autre lien apparent puisque l’artiste n’a jamais réalisé de statue de la liberté masquée.

 

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Cinquante ans depuis le soulèvement de 1968 à Paris, un pochoir réalisé à côté du Centre Pompidou en 2018, volé en septembre 2019.
© Nelly J.

 

Dans la même salle se trouvent également des pochoirs exécutés en France avec une boîte aux lettres et un poteau parisien pour marquer la distinction. Les bouches d’égouts dessinées sur le sol font également la différence entre la partie française et américaine, mais celle-ci est mince et donne l’impression de franchir l’Océan Atlantique en quelques pas. Néanmoins, je ressens plutôt un côté « galerie d’art » avec des œuvres n’utilisant que les espaces muraux de la pièce et de grands espaces pour circuler. Je ne plonge pas dans celui de la rue que la scénographie prétend donner, et qui serait à mon sens plus étriqué avec de nombreux autres accessoires. Les sols et murs trop propres ne symbolisent pas ceux du quotidien citadin. Aussi, il faut savoir que Banksy travaille sur du mobilier. Cinquante ans depuis le soulèvement de 1968 à Paris a été graffé sur un panneau autoportant. Pourquoi est-il sur un mur ? Des installations au milieu de la pièce auraient permis de mieux rendre compte de la complexité des rues citadines et de donner plus de visibilité au séquençage des espaces. De plus, les œuvres possèdent des cartels, placardés comme dans un musée Beaux-Arts, qui ne permettent pas de s’immerger dans le street art de Banksy.

 

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Un espace franco-américain de l’exposition, « The World of Banksy »
© Nelly J.

 

La scénographie change ensuite pour nous transporter en Israël  près du mur de Bethléem dans un paysage extérieur de guerre et de destruction. Cet espace est mieux réussi en raison de sa disposition qui permet d’être au cœur des réalisations, renforcé par la présence de sable et de débris. Néanmoins, les œuvres reproduites côte à côte ne font plus sens.  Dans ce fourre-tout, seules les plus grandes attirent réellement le regard du visiteur. Pour donner une impression plus réelle, peut-être aurait-il fallu reproduire des photographies des constructions bétonnées afin de trancher avec le dessin des pochoirs ?

 

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Reconstitution du mur de Bethléem qui sépare l’Israël et la Palestine, 2005
© Nelly J.

 

J’entre ensuite dans la reconstitution de la chambre du Walled off Hotel. Ce bâtiment entièrement aménagé par Banksy à quelques mètres du mur de Bethléem est une installation politique. Il ouvre officiellement ses portes au public en 2017. La reconstitution est à mon sens l’immersion la plus réussie de l’exposition. En effet, la charge modérée de contenus muséographiques s’accorde parfaitement avec le mobilier disposé, et le souci du détail ancre le visiteur dans l’espace. En outre, certains cartels sont plus discrètement installés sur des meubles.

 

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Reconstitution d’une chambre du Walled off Hotel de Banksy,
Bataille de polochon entre un Israélien et un Palestinien, 2005
© Nelly J.

 

Le parcours de visite remonte ensuite à l’étage afin de découvrir les œuvres de Banksy en Angleterre, particulièrement à Londres. Une petite cabine téléphonique rouge symbolise les rues londoniennes avec des œuvres phares comme Kissing Cooper ou Pissing Gard. Toutefois, si j’admire les œuvres originales de Banksy dans le couloir adjacent, je suis encore une fois perturbée par la mise en scène plus proche d’une galerie d’art que de l’esprit street art. 

 

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Un espace d’exposition, « The World of Banksy »
© Nelly J.

 

En outre, certains cartels de l’exposition me paraissent douteux. Nombreuses sont les spéculations en Histoire de l’Art, et dans cette rétrospective certaines interprétations m’interpellent. Par exemple, pour l’œuvre Love Rat, on peut lire « Le rat tient le pinceau comme une demoiselle prête à être embrassée. » Je ne pense pas que l’artiste ait voulu présenter son œuvre ainsi. Il ne s’agit pas de sa signification mais d’un fantasme grotesque du rédacteur. Pourquoi une demoiselle ? Ce rat ne pourrait-il pas être de sexe masculin ? Comme d’autres dans cette exposition, cette œuvre perd son sens premier au profit de ceux qui s’en emparent. Si le street art se passe de cartels, pourquoi ne pas en faire de même au lieu d’émettre des interprétations douteuses ?  

 

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Love Rat, 2004
© Nelly J.

Une rétrospective qui ne rend pas justice à l’œuvre de Banksy

A la sortie de la manifestation parisienne, je me questionne : qu’est-ce qui peut justifier un tarif d’entrée à 14 euros ? Payer les artistes qui ont effectué les reproductions ? Les charges de la galerie, de gestion de l’événement et du personnel ?

Vous l’aurez compris. Sous ses airs de rétrospective, se cache en réalité une machine commerciale qui vise à faire des bénéfices sur le dos d’un artiste renommé susceptible d’attirer les foules. Bien entendu, la chose est plutôt aisée car l’activité de Banksy est illégale et que l’artiste anonyme ne peut porter plainte. Toutefois, il réplique en exprimant son indignation sur son site web et en taguant le mot « FAKE » sur certains bâtiments où il est exposé. 

Si cette manifestation permet aux visiteurs de découvrir le street art de Banksy sans devoir se déplacer dans le monde entier, elle met en exergue une décontextualisation des œuvres. On ne saisit plus l’esprit du street art, qui s’inscrit dans un paysage particulier, enraciné dans un lieu où il fait sens. Reproduites à la suite, disposées côte à côte, les œuvres ressemblent plus à l’espace muséal d’une galerie aménagé pour satisfaire une clientèle plutôt que des contestataires comme Banksy. L’effort scénographique n’a pas été poussé à son paroxysme et n’évoque pas la réalité du street art. 

Il n’y a pas de réelle reconnaissance de l’artiste. Le gérant du lieu considère que « seul le résultat final est important », non la personne qui tient la bombe ou le pochoir. Dans ce cadre, faire une exposition en utilisant le nom de l’artiste pour attirer les foules est-il honnête ? En suivant les conseils de Banksy, je traite cette rétrospective en tant que telle : une pâle copie des œuvres originales, éloignée de l’esprit rebelle du street art. En effet, je suis loin de retrouver certaines idéologies notamment la démocratisation de l’art. Sous couvert de valoriser l’artiste, les lieux cultuels s’approprient les œuvres, détournent parfois les messages originaux et font ce que Banksy réfute de faire lui-même : une commercialisation du street art.

 

Nelly Jacquemart

 

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« Si les graffitis changeaient quoi que ce soit, ils seraient illégaux. »
© Nelly J.

 

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