Cet été, j’ai eu l’occasion de mêler médiation des collections et présentation du travail de muséographe lors d’une visite guidée. Comment aider les publics à porter un œil critique sur les objets de musée et les manières dont l’institution les présente ?

 

Le musée d’art et d’histoire de Saint-Brieuc a mis en place pour l’été 2020 un programme de visites consistant à présenter un objet des collections du musée exposé dans les galeries permanentes et à faire suivre cette présentation d’une discussion pour ouvrir le débat avec les visiteur.se.s présent.e.s. L’angle d’approche est libre et se fait selon la sensibilité de l’intervenant.e qui anime la visite. Cet.te intervenant.e peut faire partie du personnel du musée, ou non, et a le champ libre pour aborder les collections à sa manière : une restauratrice du patrimoine a proposé une analyse matérielle d’un coffre de mariés tandis qu’un archéologue a organisé une visite gustative autour d’une bouteille en verre de la section archéologie sous-marine.

 

Intervenante d’un jour, j’ai choisi de présenter un objet exposé dans un parcours intitulé « clichés bretons ? » qui revient sur la création et l’évolution de l’image de la Bretagne et des Côtes d’Armor au fil du temps. Cet objet n’est pas au sens propre un objet de musée : il n’est pas inventorié dans les collections, n’a pas fait l’objet d’une commission d’acquisition, n’est pas protégé au titre des collections des musées de France. Il s’agit d’une affiche publicitaire. Elle a été collectée spécifiquement pour ce parcours de visite et pourra être conservée ou non par le musée au moment où ce parcours de visite sera remanié ou retiré.

 

Mon but, en prenant cet objet et en l’abordant sous l’angle du travail des muséographes, était de soulever des questions sur ce que l’on peut faire dans un musée lorsque l’on conçoit des expositions et sur la manière dont le public aborde les galeries de ces institutions prestigieuses.

 

La galerie « clichés bretons ? »

 

Un musée d’art et d’histoire n’est pas un musée des beaux-arts ; le musée de Saint-Brieuc peut ouvrir des questionnements d’autre nature que l’esthétique ou l’histoire de l’art car il se positionne comme musée de société. La galerie « clichés bretons ? » a vocation à soulever la question de l’iconographie actuelle qui entoure la Bretagne, en la replaçant dans un contexte historique et en permettant d’en identifier les acteurs et leurs intentions. À ce titre, l’affiche publicitaire que j’ai sélectionnée pour la visite a une valeur ethnographique. Elle nous parle de la société d’aujourd’hui, pour peu qu’on soit prêt.e à la percevoir comme un témoignage, une trace produite par des acteurs donnés à un moment donné, avec des intentions précises. Et c’est aux muséographes, concepteurs de l’exposition, que revient la tâche de rendre cette trace lisible et compréhensible comme telle par des visiteurs. Après tout, pourquoi approcherait-on cette publicité comme une preuve que la coiffe bigoudène a pris toute la place dans l’imaginaire de la Bretagne, plutôt que comme une œuvre photographique esthétique mettant en scène des jeunes femmes séduisantes ? Le visiteur, si tant est qu’il suive les intentions des concepteurs qui ont pensé le parcours et que le parcours produise sur lui l’effet escompté, est amené à voir l’image dans ces deux dimensions en même temps, à avoir lui-même une approche sémiologique. Mais est-ce toujours le cas ?

 

Une image au croisement des normes de beauté et du folklore breton

 

Lors de ma visite, j’ai présenté l’objet en déclinant la date et les conditions de sa création (le premier anniversaire du centre commercial Alma à Rennes), pour commencer par une mise en contexte factuelle. J’ai ensuite évoqué tout de suite le fait que cette image relève du marketing, puisqu’elle a pour rôle d’être attractive pour faire venir des consommateur.ice.s au centre commercial : il s’agissait de situer les intentions qui ont présidé sa production. Puis j’ai proposé une description de la publicité : les personnages photographiés sont deux jeunes femmes à l’image retouchée typiques des iconographies publicitaires, à ceci près qu’elles portent une coiffe bigoudène et une robe taillée dans la même dentelle que les coiffes. Peuvent ensuite naître des interrogations : pourquoi cette coiffe-ci ? Pourquoi les robes et les coiffes sont-elles faites de la même matière et sont-elles ainsi assimilées ? La dentelle des robes (même s’il s’agit en fait de robe en papier) renvoie-t-elle à l’imaginaire de la lingerie, ou des coiffes traditionnelles ? Pourquoi trouvons-nous cette image séduisante ? Mon interprétation : les normes de beauté féminine de notre époque croisent ici une mise en scène d’un folklore régional qui symbolise à lui seul toute la Bretagne, le centre commercial exploitant le folklore à seule fin de se singulariser dans le paysage marketing.

 

Toutes ces questions relèvent de l’analyse des images, de la sémiologie. Il s’agit de percevoir la composition, les couleurs, les figures de style en somme, d’une image, et d’en tirer des informations sur ce qu’un centre commercial du XXIe siècle fait au folklore breton et à l’image des femmes en produisant cette publicité.

 

Le travail muséographique : orienter l’analyse des visiteurs

 

Mais pour aborder cet objet sous un angle muséographique, il ne suffit pas de produire un discours critique sur l’image. Il faut mettre en lumière de quelle manière cette publicité est positionnée dans un musée pour véhiculer du sens. Cette image n’est pas isolée, elle est incluse dans une vitrine, elle-même incluse dans une galerie qui regroupe des vitrines thématiques.

 

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La vitrine « Iconographie contemporaine »
dans laquelle est incluse la publicité du centre Alma (invisible sur cette photo car affichée plus haut sur le mur), photographie : Dominique Morin

 

Le rôle des concepteurs d’exposition est de faire en sorte que l’organisation des espaces muséographiques les uns par rapport aux autres, leur contenu, leur disposition, leur taille, leur organisation interne, tout cela fasse sens de manière à ce que les visiteurs puissent percevoir les objets de la manière dont on a voulu les mettre en place. Peut-on aujourd’hui, au musée de Saint-Brieuc, voir l’affiche publicitaire du centre Alma comme une production qui joue sur une iconographie stéréotypée et limitée de la Bretagne ?

Passé le temps de l’analyse de l’image, j’ai donc mis l’accent sur la manière de la présenter dans un contexte spécifique : une vitrine intitulée « iconographie contemporaine » qui fait face à celle qui regroupe des coiffes traditionnelles briochines et s’intitule « coiffes d’hier, musées d’aujourd’hui ? ». Cette vitrine-ci montre des coiffes locales, a contrario de la coiffe bigoudène (dans le Finistère) présente systématiquement dans l’imagerie bretonne : la muséographie est pensée pour que les visiteur.se.s s’interrogent alors sur l’usage récurrent de la coiffe bigoudène pour symboliser la Bretagne toute entière, au détriment de la diversité réelle des costumes.

 

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La vitrine « coiffes d’hier, musées d’aujourd’hui ? », photographie : Dominique Morin

 

Il faut noter aussi que ces deux vitrines se situent à la fin du parcours « clichés bretons ? » et que le visiteur a présent à l’esprit aussi les sections précédentes : la Bretagne rurale, la Bretagne touristique, la Bretagne habitée. Toutes ces sections montrent des ensembles iconographiques contextualisés : la ruralité bretonne fantasmée par les peintres d’ailleurs depuis le 18e siècle, les revues, affiches et cartes postales qui encouragent le tourisme, ou encore la production des portraitistes locaux qui ont photographié la société de Saint-Brieuc dans la première moitié du 20e siècle. C’est en ayant déjà vu tout cela que les visiteur.se.s abordent les dernières vitrines, comme j’ai pu leur rappeler.

 

En reprenant les thématiques abordées dans le parcours de visite, j’ai souhaité attirer l’attention sur la manière dont le propos est construit et véhiculé par les objets, peintures, photographies et textes qui composent l’exposition. De cette manière, il ne s’agit pas d’éveiller un regard critique sur l’iconographie seulement, mais aussi sur la muséographie elle-même : le discours tenu par un musée n’est qu’un discours parmi d’autres, lui-même situé dans le temps et produit par des acteurs, et qui s’appuie sur des dispositifs que l’on peut apprendre à décrypter.

 

Marie Hubert

 

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