L’exposition que je vais vous conter allie subtilement les travaux des chefs cuisiniers et ceux des artistes. Que pensez-vous de l’esthétique d’un plat raffiné ? Plaisir des yeux, plaisir en bouche ? La cuisine est un domaine qui fait appel à la créativité et où l’esthétique a finalement son importance. Quiconque peut jouer s’il le souhaite avec les couleurs, les textures et les formes, créer des visuels tel un dessinateur et un sculpteur. C’est ce que l’exposition Cookbook’19 de 2019 aux Musée des Beaux-arts de Paris a voulu transmettre, explorant les traits communs entre cuisine et art. Des cuisiniers ont été invités à produire des œuvres et des artistes à utiliser la gastronomie pour s’exprimer, créer et s’amuser.

Pour rendre la lecture plus poétique, j’ai décidé de m’initier mentalement au sein de l’exposition passée, en tant que commissaire d’exposition fictif. Vous verrez que je me suis fondue dans le décor que j’ai conçu, observant finement et tournant autour des œuvres. Je me suis fortement inspirée du livre de Lydie Salvaye Marcher jusqu’au soir, qui devant la fragilité des œuvres de Giacometti, ces êtres vivants, s’est perdu dans ses pensées, son passé torturé.

C’est parti, me voici toute une nuit, perdue entre ces créations et mes pensées les plus intimes. Le but n’est pas de vous faire un écrit détaillé sur l’exposition, vous trouverez de nombreux articles déjà présents sur le sujet, mais de vous emmener dans l’univers de mes ressentis, entre émotion et poésie. 

Sur les vers de mon intérieur

Toujours la volonté d’en voir plus, d’en boire plus, plus et encore, 

Me voici devant une infinie ivresse livrée avec délicatesse.

Qui vient donc réveiller le loup qui sommeille en moi ? 

La bête qui boit verre après hiver et verre d’hier comme un délice sans fin. 

L’œuvre que je viens de lire, me tient éveiller de la pire facette que j’essaie de camoufler.  

Il s’agit de la peinture tridimensionnelle de l’artiste Mélanie Villemot, composée de 36 cocktails Sunset, placés de manière régulière et systématique, formant un motif et une répétition de forme. Un piquant mélange de jus d’orange, de jus de mangue, de tequila, de liqueur de fraise, de sirop de cassis et de grenadine. Les visiteurs sont invités à les déguster lors du vernissage provoquant une implication physique des spectateurs, initiant le ton de l’exposition. Lorsque j’ai rencontré cette jeune femme, je l’ai trouvée étonnante, pleine d’envies, d’idées et de désirs et j’ai eu envie de lui faire confiance, de la laisser me présenter son projet. Et aujourd’hui, je ne suis pas déçue, quand je vois l’engouement et le plaisir des visiteurs savourer une des premières œuvres comestibles.  

Osez, osez, venir déguster des goûts empruntés à des éléments inexplorés !

J’ai l’audace de dénouer les goûts consommés, clichés et gourmands.

Venez, venez découvrir des goûts inquiétants, mais tout autant excitants.

Davide Balule, a lui aussi proposé pendant le vernissage des glaces aux goûts surprenants : poussière, peinture et bois brûlé étaient à la carte, ce jours là. Ni une, ni deux, j’ai à nouveau goûté ces parfums empruntés à notre quotidien. Des créations qui se mangent pour une exposition sur le thème de la nourriture étaient primordiales. C’est un sacré coup de pub ! Cependant il a fallu être vigilant quant aux normes sanitaires liées aux allergies diverses des visiteurs. De ce fait, David et moi avons décrit sur une feuille les ingrédients présents dans ses créations. De même pour l’œuvre de Mélanie. Et pour la petite anecdote, il était programmé que Fanny Maugey, à la fois de formation pâtisserie-chocolaterie et aux Beaux-arts, puisse-t-elle aussi participer en réalisant un parquet en chocolat, tel Charlie visitant la chocolaterie. Malheureusement, le chauffage à même le sol a rendu ce projet impossible. Mais des œuvres en chocolat ont été placées en avril, peut-être en faisant écho au lièvre ou aux cloches de Pâques. 

Telle une marelle, j’y saute les deux pieds joins,

Curieuse sensation du pied retrouvant les dures sensations d’un sol imaginé.

Avivez tous vos sens ;

Le chef cuisinier s’est amusé à retrouver, 

Les saveurs liées au palais.

Cette fois, le chef brésilien a voulu nous emmener dans son univers en proposant d’entrer physiquement dans l’esprit de ses plats. Il a disposé au sol cinq modules, destinés à marcher dedans et à procurer les mêmes impressions que celles d’un de ses fameux plats. Qui n’a jamais voulu remarcher pied nu, et surtout dans des espaces d’exposition ? Retrouvant des sensations liées à l’enfance. Sa proposition m’a séduite car moi-même une grand enfant, je me suis dit que les adultes, parents ou non, seraient ravis de jouer.

Inspire, respire les couleurs, 

Couleurs endiablées d’une odeur de fruits. C’est exquis !

N’oublions pas les légumes, une place d’honneur dans nos cœurs.

Le chef Esben Holmboe Bang s’est amusé à créer des sérigraphies parfumées à partir de légumes et de fruits. Les visiteurs sont alors invités à s’approcher de l’œuvre et de la humer. Encore un sens invité dans cette exposition. 

J’ai toujours eu l’habitude de créer

Même avec des petits riens

Des restes, des bouts et tout ce que j’avais sous la main.

Malgré le temps qui marche à petits pas,

J’ai découvert la joie d’être un chef,

Enfermé, mais libre de mes ingéniosités,

De manger et d’assoir mes recettes sur du nouveau papier.

Grâce à ces photographies, Nicolas Daubanes dévoile les méthodes et les processus des détenus afin de créer de nouvelles recettes au sein de leurs quatre murs. La nourriture est récupérée et le matériel qu’ils disposent, est réinventé. Parmi, ces créations, le radiateur sert désormais de grille-pain et des FigoluTM deviennent des makrouts. Le travail de Nicolas était judicieux, mettant en parallèle un univers auquel peu de gens ont accès. Cette idée d’être ingénieux malgré l’enfermement, de choisir la lumière malgré l’obscurité est une forme de résistance à mon goût ! 

                Héloïse Putaud 

#artculinaire #oeuvresdégustées #sensrévélés

http://www.artnet.fr/artistes/daniel-spoerri/ 

https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2012-2-page-71.htm

Image de couverture : © Zoe Williams, Ceremony of the Void, 2017