Cela n’a échappé à personne, notre vie a radicalement changé depuis plus d’un an. Le virus a bousculé nos habitudes et, pour nous professionnel·les de la culture et des musées, notre manière d’inventer une future réouverture des lieux culturels, et de penser la préhension de l’espace et des outils de médiation par les visiteur·euses.
Déjà pendant le premier confinement en France (mars - avril 2020) la profession s’interrogeait sur l’avenir de la médiation interactive, de la manipulation, du participatif. Comment les CCSTI, adeptes de l’expérimentation et de la manipulation, du “faire”, pourraient se réinventer dans un monde dirigé par les gestes barrières ? 
Les musées vont-ils devenir des lieux sans contact, obsédés par la désinfection et la décontamination ? Les panneaux “ne pas toucher” habituellement réservés aux musées de Beaux-Arts vont-ils se généraliser à tout type de lieu culturel ? Beaucoup de questionnements, peu de réponses précises et des solutions à inventer. 
Puis est venue l’heure de la réouverture et ses conditions. Le 8 mai 2020, le ministère de la Culture et de la Direction générale des patrimoines publiait son aide à la reprise d’activité et à la réouverture au public des musées et monuments. 
“Mettre en place un nettoyage renforcé des espaces d’accueil, des boutiques, des sanitaires, des ateliers, avec traçage, des supports de médiation susceptibles d’être touchés, des audioguides s’ils sont maintenus par le passage d’un spray adapté avec un papier type essuie-tout ou des lingettes qui permettent de détruire les bactéries et les virus; limiter au maximum les supports de médiations (numériques et papier) et audioguides susceptibles de passer de mains en mains ou, si leur maintien est prévu, prévoir de les désinfecter après chaque utilisation. “
C’est à la charge de chaque institution d’adapter son espace et son expérience de visite aux mesures barrières, qui s’avèrent être un réel casse-tête quand (entre autre), les espaces  pensés avant la pandémie donnent la part belle à l’expérimentation, au multimédia et au “visitacteur”, dans un monde où l'interaction sociale doit être restreint. 

S’adapter au moment de la réouverture, les projets déjà construits : 

Comme bon nombre de professionnel·les, il a fallu trouver des solutions rapides et réalistes. Au moment de livrer le nouveau centre d’interprétation du château de Bussy Rabutin pour le Centre des Monuments Nationaux, pensé bien avant l’arrivée du virus et des protocoles sanitaires, l’équipe muséo-scéno s’est rendu compte le jour de l’inauguration (malheur !) que les doigts des visiteurs devaient entrer en contact avec l’exposition. Des systèmes d’écoute, aux tablettes, cartels à prendre en main et maquettes tactiles, il a fallu dégainer le sacro-saint gel hydroalcoolique comme touche finale à la scénographie (par ailleurs camouflé pour les photographies).  
Autre scène : arrivée dans l’exposition “Animaux disparus: enquête à l’âge de glace”, au musée départemental de Préhistoire de Solutré,  une visioconférence se déclenche sur un des ordinateurs face au visiteur . La scène est plutôt drôle. Un archéologue se retrouve seul au bureau et dépassé par les évènements, nous appelle à l’aide en plaçant au passage quelques blagues sur le télétravail et nous invite à récupérer un stylet pour toucher les écrans dans la suite du parcours. Dans ce décor de laboratoire, la bouteille de solution hydroalcoolique ne fait même plus figure de verrue, elle s'intègre parfaitement à l’ensemble. Le directeur du musée, Pierre Guillaume Denis, qui est à l’origine du projet explique lors de notre entretien “ L’écriture de ce dispositif n’était pas terminée au début du confinement, ce qui nous a permis d’inclure le protocole sanitaire directement dans la vidéo, quelques semaines avant l’ouverture de l’exposition. Et puis le format visioconférence n’était plus quelque chose d'anecdotique pour le public, l'intégrer était évident." 

 

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Exposition “Animaux disparus: enquête à l’âge de glace” - Musée départemental de Préhistoire de Solutré ©Juliette Dorn 

 

Le nouvel accessoire indispensable ? 

 

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Illustration ©Juliette Dorn

 

Distribuer des stylets est le choix qu’on fait de nombreux musées qui ont misé sur le tout numérique : à la Cité des sciences, pour l’exposition Espion ou encore à la Cité de l'Économie, il a fallu trouver une alternative au gel qui altère les multimédias au fil des usages et le stylet s’avère être une solution privilégiée. 
La mondialisation a non seulement propagé le virus à la vitesse de l’éclair mais elle a aussi permis l’importation du stylet made in china, nouvel outil magique adopté par les musées pour tenir compte des protocoles sanitaires. Pour les institutions ayant fait le choix d’une muséographie entièrement numérique, c’est le bon outil afin de ne pas rendre le parcours inutilisable et incompréhensible. Et il se peut que le stylet soit pérennisé à l’avenir, pour son aspect hygiénique, son utilisation individuelle et son prix attractif et dégressif d'environ 0,99€ le stylet pour un achat en lot de 30.  
C’est aussi un accessoire marketing : si pour des raisons économiques, il est préférable de récupérer ces stylets en fin d’exposition pour les désinfecter, certains musées comme celui de la Libération de Paris ont fait le choix d’offrir ces stylets brandés “Paris-musées”. Un gain covid-compatible.  

Hors service 

Lorsque le casse-tête est devenu insolvable, il a fallu mettre hors-service les manips et multimédias trop compliqués à adapter aux mesures d’hygiène barrière. Ainsi ont fleuri de beaux pictogrammes et signalétiques “ne pas toucher”. Voir à condamner certains espaces comme des lieux de projection, haut lieu d’attroupement du public, quitte à retirer le peu d’information à notre disposition ( par exemple, la Conciergerie, dépouillé de son contenu si le visiteur ne veut pas utiliser l’Histopad). 

 

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Pour des économies de stylet , ce pictogramme “toucher avec le coude” du plus bel effet à Citéco. Un exemple de dispositif sonore à Confluence et son étiquette “ne pas toucher”. photos ©Juliette Dorn 

 

Plus créatif, le Vaisseau de Strasbourg a rendu inaccessible certains espaces et manips à l’aide d’un personnage fictif, faisant partie intégrante de la narration. Pour l’exposition “Tous super”, sous forme d’exposition dont vous êtes le héros, l'Horrible Ted le Robot (méchant de l’histoire ) a fait office de pancarte “ne pas toucher”. 

 

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Panneaux de l’exposition “Tous super” ©Jérémy Antonio et Elodie Martini 

 

D’autres lieux encore n’ont malheureusement pas pu ouvrir leur porte, comme l’Historial Charles de Gaulle, qui a fait le choix d’un parcours entièrement interactif avec un audioguide à détection infrarouge  et de nombreux dispositifs tactiles. En travaux de rénovations depuis 2019, il devait rouvrir en septembre 2020, le temps de réfléchir à une adaptabilité au protocole sanitaire. Finalement, la date de réouverture est repoussée au 10 novembre 2020, soit 2 semaines après l’annonce du deuxième confinement en France. 

Préparer une future réouverture : quel avenir pour les manips de contact?

Maintenant, se pose la question : pour les projets à venir, peut-on imaginer des dispositifs muséographiques ou non ? peut-on s’amuser à penser à du contenu manipulable ? 
Des solutions précédentes, on ressent une certaine frilosité (voir une réelle peur) du dispositif muséographique manipulable. Les contraintes sanitaires vont-elles signer la mort des dispositifs muséographiques ? 
Dans de récentes réunions avec des institutions, couplet à l’incertitude d’une réouverture prochaine et les conditions dans laquelle cela se produira, le choix du dispositif manipulable est une utopie, parfois au profit du numérique et de ses solutions qui éliminent "99.9% des bactéries".
Faut-il privilégier le numérique et des solutions anti bactériennes, supprimer tout type de manipulation ou penser à un futur sans protocole sanitaire ? 
Deux sons de cloches : pour le moment, les projets muséographiques/scénographiques semblent ne pas trop s’en inquiéter, et continuent à penser des dispositifs manipulables, tandis que certaines institutions comme la Cité des sciences, pense les futures expositions en limitant la manipulation, en vue d’une ouverture prochaine, voir en réfléchissant à des solutions entièrement dématérialisées. 
Avant cette fermeture interminable post-second confinement en France, les musées ont fait preuve d’inventivité pour adapter leurs parcours aux protocoles sanitaires. Mais quand le casse-tête devenait insolvable, il a fallu déployer les grands moyens : mettre hors service, accrocher la rubalise et poser une étiquette “Ne pas toucher” jusqu’au jour où l'on fera sauter les (gestes) barrières. En attendant, lorsque les musées rouvriront, il est temps de collecter les différentes solutions mises en place, voire de réaliser une banque d’image des plus beaux pictogrammes “interdiction de toucher”. Une initiative de récolte de ce genre existe depuis 2012, mise en place par Omer Pesquer. Sous le #Nepas, il collecte les interdictions, les pictogrammes et les affiches, des plus singulières aux plus absurdes. N’hésitez-pas à partager vos trouvailles sur les réseaux sociaux en utilisant le #Nepas. 
 

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Pictogramme de mise hors service au Vaisseau ©Margot Coïc 
Panneau dans les musées du département de l’Isère ©Charlène Paris 
Affiches du protocole sanitaire du Muséum d’Histoire Naturelle de Lille ©Anaïs Verdoux

 

Juliette Dorn
 

Pour aller plus loin : 

#nepastoucher #pictogramme#covid