L’exposition Divas a fait de l'œil à Elise et Marco qui l’ont vu de concert sans le savoir. L’occasion était trop belle pour ne pas comparer leur point de vue. Écrits entre quatres yeux, ces deux articles montrent que malgré deux visites différentes, leurs impressions sont au diapason. Au regard de nos compte-rendus, vous pouvez aller voir cette exposition les yeux fermés … et les oreilles grandes ouvertes ! 

 

Image de vignette : Shirin Neshat, Ask My Heart, Looking for Oum Kulthum, 2018 @Marco Zanni
Image d’en-tête : Entrée de l’exposition sous le regard des divas @Marco Zanni

 

“Diva” : ce mot vous évoque-t-il une grande cantatrice à la vie tumultueuse et indépendante ? Maria Callas, la Castafiore ou Mariah Carey ? C’est pour découvrir un autre type de divas que j’ai bravé la foule du premier week-end de réouverture des musées à l’Institut du Monde Arabe (IMA). L’exposition Divas, de Oum Kalthoum à Dalida présente ces icônes de la musique et du cinéma du monde arabe, en grande partie méconnue du public occidental. Retour sur une (re)découverte musicale et visuelle.

Une rencontre avec les divas

L’exposition plonge le.la visteur.euse dans l’intimité de ces icônes comme pourrait le faire la presse “people”, relatant leurs amours, divorces et remariage. Il est également question d'exil et de retour en terre natale. Les modules ou salles dédiées aux divas expliquent les moments clés de la carrière de chacune. Le module mettant à l’honneur Dalida permet par exemple de découvrir un pan de sa carrière en Égypte moins connu par le grand public français. L’exposition documente aussi la vie de ces artistes arabes grâce à des interviews inédites, des extraits de presse, des disques, des costumes et parures de scène mais aussi des objets plus personnels leur ayant appartenu. Par exemple, au niveau 2, une vitrine consacrée à Warda expose ses vêtements, son oud, sa valise, ses passeports, son poudrier, son parfum, son livre de chevet ou encore son pilulier. Ces objets personnels sont  attendus par les admirateur.rice.s de l’artiste. Par cette mise en vitrine, un statut presque reliquaire est conféré à ces objets du quotidien, créant une rencontre entre le.la visiteur.euse et cette artiste emblématiqVitrine dédiée aux objets personnel de Warda, exposition “Divas, de d’Oum Kalthoum à Dalida” à l’Institut du Monde Arabe © EF

 

Le parcours : “un voyage en quatre actes” 

Le parcours est divisé en quatre sections, déployées sur deux niveaux. Les trois premières parties sont chronologiques.

1920 : l’époque des pionnières. Au rez-de-chaussée, le public est accueilli par une introduction sur le Caire au début du XXème siècle. Dans cette capitale cosmopolite, la musique se popularise avec l’apparition des salles de concerts et des disques 78 tours. Les premières chanteuses participent à la naissance d’une industrie musicale et du cinéma. Elles s’appellent Mounira al-Mahdiyya, Badia Massabni, Bahiga Hafez, Assia Dagher. La transformation est aussi sociale, les développements du féminisme dans la bourgeoisie cairote accompagnent la présence nouvelle des femmes seules sur scène.

 

1930-1970 : l’âge des grandes voix. Cette deuxième section, introduite par un panneau au rez-de-chaussée, débute à l’étage. Dans les années 1930, l’essor du cinéma parlant et de la radio contribue à la starification des interprètes. Elles sont quatre “voix d’or” ‒ Oum Kalthoum, Warda, Asmhahan et Fayrouz ‒ adulées dans le monde arabe pour leur performances scéniques et leur vie.

1940-1970 : le temps des stars de Nilwood. Dans l’après-guerre, le cinéma égyptien domine avec ses comédies musicales ou ses mélodrames. Les intrigues simples laissent toute la place aux nouvelles égéries du grand écran : danseuses (Samia Gamal), chanteuses (Laila Mourab, Sabah) ou actrices (Faten Hamama, Souad Hosni). Le couloir les présentant une à une s’achève sur Dalida, qui débute sa carrière en Egypte en 1954. Cet âge d’or de l’industrie culturelle égyptienne s’éteint dans les années 1970, marquées par plusieurs crises diplomatiques, économiques et politiques.

 

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Les différentes ambiances des trois sections chronologiques  @Marco Zanni

 

La dernière section évoque l’héritage de ces divas des années 1930 à 1970. Ces femmes ont créé un patrimoine culturel populaire et ont traversé de grands changements sociaux ou politiques. La section contemporaine vient justement questionner leur place et leur héritage au regard du monde arabe contemporain. La réutilisation de ces figures indépendantes en fait des personnalités d’actualité, symbole d'émancipation ou d’une recherche identitaire. Elles peuvent devenir au contraire l’exemple critique de l’instrumentalisation du corps des femmes dans les industries du divertissement.

 

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Nabil Boutros, Futur Antérieur : Par ses photomontages utilisants des extraits de films égyptiens des années 1960, l’artiste interroge les promesses sociales d’une époqueavec un regard critique et nostalgique @Marco Zanni

 

Ce parcours chronologique, principalement sur l’Egypte et le Levant, est classique mais clair. Les sections s’enchaînent avec la même structure, malgré quelques dissonances : introduction, présentation individuelle des divas, un focus culturel ou social. L’affluence m’a fait remarquer les espaces contraints et sinueux. L’abondance du multimédia et des textes, marqués par la succession des divas, donne une certaine redondance et longueur à la visite. Heureusement, l’exposition reste dynamique par sa muséographie centrée sur la notion de “spectacle”. 

De la salle de spectacle ...  

La scénographie propose une ambiance proche de celle des salles de concert. Le parcours est plongé dans la pénombre, les spots lumineux éclairant les vitrines comme des projecteurs. Des chansons sont diffusées en quasi-continuité, sans que les haut-parleurs n'interfèrent entre eux (fait assez rare pour être souligné !). 
Les dispositifs multimédia abondent pour nous placer dans une posture de spectacteur•ice. L’exemple le plus marquant se trouve à la fin de la deuxième section, avec l’évocation d’une salle de concert où sont diffusées des prestations de chanteuses. Warda, Oum Kalthoum ou Fayrouz sont reconnues pour leurs interprétations, capables de provoquer le tarab sur leur public. Le tarab est une émotion musicale intense, propre aux arts musicaux arabes. Elle est provoquée par la virtuosité ou la puissance d’interprétation de l'interprète et se vit comme une communion entre celle-ci et le public. Assis•es sur des gradins, face à un écran géant, visiteurs•euses peuvent constater les manifestations du tarab dans les concerts de ces divas (voire l’expérimenter !). Par l’immersion, la muséographie propose une communion d’expérience permettant d’approcher ce qui faisait la popularité et la célébrité de ces chanteuses.

 

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Photo de la salle, avec Fayrouz sur scène @Marco Zanni

 

Autre exemple, les œuvres contemporaines de la dernière partie mènent en fin d’exposition à l’installation Dernière Danse, de Randa Mirza et Waël Kodeih. Conçue spécialement pour l’exposition, elle combine hologrammes de danseuses avec une bande-son électronique remixant des musiques traditionnelles. Ces dispositifs répondent à la problématique d’exposer les arts de la scène, par définition vivants et en mouvement.  
L’immersion ne concerne pas que les salles de concerts. Dans la première section, un salon littéraire du Caire est reproduit pour présenter les mouvements féministes de la première moitié du XXème siècle. Différents groupes militent pour l’égalité civique ou la liberté des femmes dans l’espace public, accompagnant l’émergence des premières divas. A la fenêtre, un film d’archive est diffusé, suggérant l’illusion d’une vie urbaine extérieure. Dans l’armoire, des numéros de revues culturelles ou politiques tenues par des femmes tandis que des extraits sonores sont diffusés auprès d’un canapé. A travers des détails du mobilier d’un intérieur cousu, le public peut s’immerger dans les coulisses d’une révolution sociale féministe. 

 

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Randa Mirsa & Waël Kodeih, Dernière Danse, 2020  @Marco Zanni

 

La diversité des dispositifs multimédias ou immersifs va de pair avec leur nombre. A noter que la multitude de sollicitations visuelles peut gêner les personnes sensibles aux bruits, aux stimulations visuelles ou aux espaces confinés

 

… aux vedettes.

Le spectaculaire de l’exposition est également assuré par l’omniprésence de la figure de la vedette, de la diva, de la star. 

Les différentes tenues de scène sont ainsi centrales dans l’exposition, en ce qu’elles incarnent la silhouette de la diva autrement que par l’image ou le son. La retenue reste de mise sur le strass et les paillettes : l’ambiance est plutôt celle d’une visite privilégiée en coulisses qu’une débauche de luxe et de sequins. Les robes de scène sont accompagnées de bijoux, coiffes, effets personnels … représentant l’apparence publique et flamboyante des interprètes. 

 

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Tenues de Dalida. Le musée a consacré un mini-reportage à leur arrivée dans l’exposition @Marco Zanni

 

L’emphase est particulièrement mise sur les visages des divas. Elles apparaissent dès l’entrée de l’exposition, projetées sur un grand rideau de fils. Sur chaque panneau leur étant dédié, ces visages apparaissent comme sur des affiches de cinéma. L’en-tête des panneaux, en relief, peut également rappeler les affiches de cinéma. La chanteuse libanaise Fairouz n’est elle pas exposée via ses tenues mais par des affiches placardées sur toute la hauteur du mur. 

Des supports plus originaux contribuent à la théâtralisation de la vie des chanteuses et actrices. Celle de la chanteuse syrienne Asmahan est illustrée par une vitrine scénarisée, alternant extraits de films sur plusieurs écrans et des dialogues fictifs diffusés en regard d’objets éclairés.

 

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Vitrine sur la chanteuse Asmahan, chanteuse syrienne divorcée, libre, espionne qui illustre parfaitement l’idée de diva au destin exceptionnel @Marco Zanni

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Une exposition qui se poursuit ... 

Je ressors de l’IMA avec l’impression d’avoir assisté à une représentation d’anthologie. J’ai surpris plusieurs personnes chantonner leur chanson favorite ou s’émouvoir à la vue d’une vidéo de concert. Difficile de sortir de l’exposition sans avoir des chansons plein la tête, et l’envie d’en découvrir plus. L’IMA a justement mis en place plusieurs dispositifs autour de l’exposition, parfois anecdotiques  (un ensemble de filtres Instragram) ou plus documentaires. Une série de mini-vidéos permet d’en découvrir plus sur certaines figures, et une programmation culturelle viendra mettre l’accent sur la place des femmes dans les sociétés arabes. Une playlist donne enfin l’occasion de se replonger dans l’exposition et de continuer de se familiariser avec les grandes voix des divas.

  

Marco Zanni

Le point de vue d'Elise est à lire ICI !

 

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