Dans le cadre des recherches menées pour l'ouvrage “L'Hôtel des Troupes de montagne. Un Hôtel de commandement du Second Empire. 160 ans d’histoire militaire à Grenoble.” ,je me suis rendue aux archives de la ville de Grenoble avec la conservatrice du musée des Troupes de montagnes. La lecture des échanges épistolaires entre la Ville de Grenoble et le Ministère de la Guerre à permis de retracer l’histoire de la statue équestre de Napoléon Ier ainsi que le rôle des militaires lors de l’inauguration de la statue à la gloire impériale. Voici son parcours qui nous permet de savoir comment, malgré son malmenage, elle peut encore, elle aussi faire vivre le mythe Napoléonien de nos jours.

Bibliothèque d'étude Grenoble

La statue équestre de l’Empereur Napoléon Ier La Rencontre, bronze, dépôt en 1920 du Centre National des Arts plastiques, Ministère de la Culture et de la Communication, département de l’Isère, hiver 2020 © Musée des Troupes de montagne

Connaissez-vous la remarquable statue de l’Empereur Napoléon Ier trônant dans les alpages de l’Isère ? 

La statue de Napoléon Ier, qui se dresse aujourd'hui à Laffrey, n’a pas toujours eu comme beau panorama les montagnes de la Matheysine et la vue sur le lac. Plusieurs questions se posent légitimement sur les raisons et sa date d’arrivée en ce lieu, sur ses origines, son auteur et son commanditaire. Dans le cadre de la rédaction de l’ouvrage de l’Hôtel des Troupes de montagne : un Hôtel de commandement du Second Empire, 160 ans d'histoire militaire à Grenoble, la découverte de correspondances dans les Archives municipales nous révèle l’envers du décor de son inauguration. C’est grâce aux échanges de lettres écrites entre les autorités militaires et la Ville de Grenoble que nous pouvons savoir aujourd’hui comment et combien cet événement n'aurait jamais pu avoir lieu sans les moyens de l’Armée. Son incroyable périple a pu ainsi être retracé : du projet de sa commande à son exposition actuelle en passant par la mise en place d’envergure qui fut nécessaire à l’événement de son inauguration. 

Les origines de la commande de cette statue prestigieuse

La statue actuelle à Laffrey est l'œuvre du sculpteur Emmanuel Frémiet (1824-1910). Célèbre pour ses sculptures équestres, telle que l’iconique Jeanne d’Arc Place des Pyramides à Paris, il fut l’élève de François Rude. La statue de l’Empereur Napoléon Ier fut commandée sous le Second Empire et réalisée en 1867. Son commanditaire, Napoléon III, neveu du Premier empereur des Français, décida de payer cette statue monumentale avec sa propre cassette personnelle. D’un poids de près de quatre tonnes, en bronze, coulée par le fondeur Charnod, elle fut érigée au centre de la Place de Verdun actuelle, nommée jadis Place d’Armes. Impériale, administrative et prestigieuse, cette nouvelle place n’est pas choisie uniquement pour sa bonne taille (160 m X 140 m), mais surtout pour ce qui est alors, durant le Second Empire, un haut lieu de concentration des pouvoirs. Cette place appelée aussi “Place Napoléon” est bordée au nord par l’Hôtel de commandement des Troupes de montagne actuel, ancien Hôtel de commandement de la 22e division. 

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Maquette de la statue de Napoléon Ier par Emmanuel Frémiet, cartes postales, ed. Martinotto frères, XIXe siècle, Pd.4.206.1 & Pd.4.206.2 © Bibliothèque Municipale de Grenoble

Une statue au service du souvenir impérial

Cette statue de Frémiet commémore la journée décisive qui permit à Napoléon, en route vers Paris, de reprendre le pouvoir. Elle représente la scène de “la Rencontre” du 7 mars 1815, où Napoléon Ier au retour de l'Île d’Elbe, rencontre les troupes royales chargées de l’arrêter aux abords de Grenoble. La scène fait suite au débarquement de l’Empereur, au Golfe-Juan le 1er mars 1815. Napoléon prit alors la route des Alpes, l’actuelle Route Napoléon afin de gagner Paris. La route est jugée plus favorable que celle empruntée par les royalistes de la vallée du Rhône. Il passe par le plateau Matheysin, le 6 mars par Corps, puis La Mure et se dirige vers Grenoble. Le 7 mars, à l’entrée de Laffrey, sur la plaine, un bataillon du 5e de Ligne envoyé par Louis XVIII l’attend pour l'arrêter. Napoléon Ier s’avance, seul sur sa monture caparaçonnée, au-devant des troupes, dans cette plaine désormais nommée la Prairie de la Rencontre. Il prend alors la parole : “Soldats du 5e de Ligne, je suis votre empereur, reconnaissez-moi !”, s’approche à portée de fusil des soldats indécis, entrouvre sa redingote et dit “S’il est parmi vous un soldat qui veuille tuer son empereur me voici.” Le 5e de Ligne abaisse les armes. Plus tard Napoléon affirme au général Cambronne “C’est fini. Dans huit jours nous serons à Paris.” Le 20 mars, depuis le Palais des Tuileries, il met en place un Empire doté de deux chambres législatives. 


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Maquette de la statue de Napoléon Ier par Emmanuel Frémiet, bronze et plâtre, avant 1868, 30x34x13 cm, MG 1204 © Musée de Grenoble

Une inauguration hautement symbolique : 

Si le choix du thème de la sculpture est hautement symbolique, le choix de la date de son inauguration ne l’est pas moins. Le Maire de la Ville de Grenoble, Jean-Thomas Vendre, la fait ériger autour de trois jours de festivité. La foule est considérable pour l’admirer le 17 août 1868, soit deux jours après une fête religieuse importante, celle de l’Assomption le 15 août, mais surtout le jour de la fête de Napoléon. La cérémonie d’inauguration de la statue du 17 août marque l’apothéose de trois jours de fête nationale débutée à la mi-août. Les festivités sont officiellement lancées par Monsieur le Président le 10 août à midi précise. 

Le rôle des Troupes en garnison à Grenoble : 

Un mois avant l’événement, le Maire de Grenoble demande au général de la 22e division de pouvoir loger les étrangers pour le concours musical de l’inauguration de la statue. Pour cela, 280 à 300 tentes d’officier doivent être mises à disposition de l’Autorité municipale. Ces tentes doivent être rendues à Grenoble dans les magasins de l’État le 19 au plus tard, soit à peine deux jours après la fin des festivités. Les bons rapports entre l’Armée et la ville, contribuant aux bonnes conditions du rayonnement des arts à l’international, sont rendus possibles par des engagements précis. En effet, le maire se porte entièrement caution pour toutes les éventuelles dégradations pouvant survenir au matériel auprès de l’administration militaire. 

La charge de Corvée de mise en place et de désinstallation revient à 150 à 200 militaires moyennant contribution. Le Maire considère qu’il est “préférable de faire faire ce travail par des militaires ayant fait campagne que par des ouvriers civils qui n’en auraient nullement l’expérience”. À la demande du Maire de Grenoble, ce sont les militaires, sous ordre du colonel de Bouxeuille, directeur de l’École d’artillerie, qui ôtent les arbres de la Place d’Armes gênants selon les indications du jardinier en chef. Quelques jours avant l’événement, la ville met en place des orangers en acceptant la suggestion de verdure du colonel. Elle orne la partie du quai Napoléon sur laquelle doivent se placer les autorités et les invités pour assister au feu d’artifice. Ce ne sont pas moins de 450 places qui sont mises à disposition à cet endroit. Le 12 août, deux jours avant l’événement, le Maire s’assure de faire vérifier l’estrade et sa solidité désirable par l’architecte, il serait désastreux que l’estrade n’ait pas une structure assurée.

De pair avec la sécurité, l'enivrement est pensé : le maire, soucieux de l’éclat de la solennité de l’inauguration, fait distribuer par la ville, aux troupes en garnison à Grenoble, des rations supplémentaires d’un litre de vin. Afin de réserver les provisions pour les festivités, les hommes de corvée et leur maréchal-des-logis, pourront se présenter pour prendre livraison chez le marchand local, à cinq heures du matin, Place des Tilleuls, le 17 août. Ces rations extraordinaires de vin sont prévues en comptant l’effectif de corps d’élite de la gendarmerie. Pour le dîner du 17 août, dressé sur la terrasse, le nombre de couverts est fixé à 210. Le restaurateur de la Ville de Grenoble dispose de cinq jours afin de prendre ses dispositions. 


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La statue équestre de l’Empereur Napoléon Ier, sur la Place de la Constitution ou Place d’Armes, faisant face à l’Hôtel de la Division, 1868, Pd.4 (613)  © Bibliothèque Municipale de Grenoble 

Qui est invité ? 

Le 12 août, les invitations aux personnes importantes de la ville sont annoncées. Le secrétaire en chef de la Mairie, le receveur municipal, l’architecte, le chef d’octroi, le commandant des pompiers, le receveur de l’hospice, le jardinier en chef, le régisseur de l’usine à gaz, le conservateur du Musée, le conservateur du Muséum, le conservateur de la Bibliothèque, le directeur de l’École professionnelle avec M. l'Aumônier, le directeur du Degré Supérieur, le directeur de l’École chrétienne, le directeur de l’École de sculpture, directeur de l’École de Dessin sont conviés. Les membres du conseil municipal sont invités à la cérémonie solennelle du 15 août. Pour le dîner du 17 août à l’Hôtel de Ville, le Colonel de la 3e de ligne, les membres de la Cour et ses Tribunaux sont conviés. Malheureusement, au grand dam du Maire, le commandant du 13e BCA (bataillon de chasseurs alpins), ne peut assister au banquet offert par la Ville. 

Un cortège au rythme des feux d’artifice ...

Le feu d’artifice de l’année 1867, avait été reporté par le Ministre de la Guerre. Pour ce tir grandiose du 17 août 1868, la ville de Grenoble concourt à la dépense engendrée. Mais ce sont les plus experts en matière de feu, les artilleurs de la 22e division, qui s’occupent des tirs de canons. Afin de convenir d’un endroit approprié, les autorités avec le colonel de Bouxeuille, directeur de l’École d’artillerie, décident des lieux de départ de tirs appropriés pour que l’événement se passe en toute sécurité. Les reflets dans l’eau de l’Isère des tirs depuis le pont suspendu et le pont de pierre, nouveau à l'époque, sont parfaitement spectaculaires. Mais, ces deux endroits ne suffisent pas. On installe d’autres pièces de canon sur les quais de l'Île Verte pour encore plus de tirs ! L’Île Verte, particulièrement illuminée par un entrepreneur spécifique pour l’occasion, nécessitera même 50 hommes de corvée, en plus des ouvriers pour la manutention. L’éclat de cette cérémonie est assuré par un déroulé bien réglé autour des tirs de canons. Ainsi, il est prévu que les troupes de garnison doivent passer dès onze heures et demie du matin sur la Place d’Armes avec les sapeurs-pompiers de la ville et ceux des communes voisines, qui se rendent à Grenoble, à cette occasion.  

Après les discours officiels, ces troupes opèrent un défilé au-devant de l’estrade occupée par les autorités, c’est-à-dire entre cette estrade et la statue. La cérémonie est annoncée, en grande pompe, par une salve de 101 coups de canon tirés du Fort de la Bastille et les principales portes de la ville. Le soir, un feu d’artifice est tiré sur le pont suspendu par les soins de l’École d’artillerie avec le concours de la ville. Ce feu est tiré à huit heures et demie précises. Il faut deux divisions afin de prendre position avec le matériel ! L’une encadre la rue de Lionne, l’autre se positionne sur la Place de la Simaise. De nouvelles salves sont tirées sur le quai de l’Île verte. Dans les intervalles du feu d’artifice, un détachement de 300 hommes est disséminé sur les hauteurs du fort. Et comme rien n’est assez grandiose à la gloire de l’Empereur, ses hommes simulent une petite guerre et tirent des fusées à étoile de couleur ! 

 
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Monument élevé à la mémoire de l'empereur Napoléon Ier, 1868, Pd.4 (283)  © Bibliothèque Municipale de Grenoble

et, surtout, de la musique ! 

La musique a un rôle central dans l'événement. Qu’elle soit, militaire, religieuse ou artistique, sa diversité donne le ton à chaque moment de la cérémonie. Le 15 août, à dix heures trois quart, le corps de sapeurs-pompiers forme une haie d’honneur, adossé au péristyle de l’Hôtel de ville, à droite sur la Place Saint-André. Pendant ce temps, Messieurs les Officiers, non pourvu de commandement, se rendent au salon de réception. À dix heures et demie le corps municipal et ces fonctionnaires prennent place en rangs et se dirigent vers l'Hôtel de la préfecture pour y prendre monsieur le Préfet et les autres fonctionnaires municipaux. Le cortège se rend ensuite à l’Hôtel de la Division, le lieu de pouvoir, des militaires par excellence. Puis, les militaires continuent de donner la marche à suivre au cortège en musique. 

À quatre heures du soir, le corps de sapeurs-pompiers forme une haie sur le passage du cortège tout en accompagnant en musique les membres du jury du concours musical jusqu’à la Place Grenette. Le 11 août, le Maire de Grenoble demande à ce que les cours des casernes soient disposées pour les différents concours d’instrumentaux. Pour cela des escaliers sont disposés sur la place. Une médaille est même prévue pour le concours musical, les arts sont reconnus. À cet effet, le Commandant du 13e BCA donne au maire 100 francs pour l’achat de celle-ci. L’exécution de la cantate est assurée par le 47e régiment d’infanterie de Chambéry. Elle est réunie à celle de la musique du 3e de ligne, et à des éléments de localités. Autant de voix et sons martiaux magnifiant l’évènement nécessitent des moyens à la bonne mesure du profit de tous les spectateurs. 

Les militaires musiciens sont donc aux bons soins de la ville pour se loger, se nourrir et être indemnisés. Leur transport fait même l’objet d’une demande, le 25 juillet, de gracieuseté à titre de service public spécial selon les appuis favorables et puissants du colonel de la 47e ligne et du général de la 22e division, Adolphe de Monet. La bonté du Ministre de la Guerre accorde cette faveur. Le 12 août, moins d’un mois après la demande, le Lieutenant chef de musique de la 47e de ligne reçoit de la ville, un billet de la banque de 200 francs pour les frais de voyage allers et retours avec une réduction de 40 pourcents pour les militaires qu’il dirige. 

La musique militaire est omniprésente durant toutes les festivités. Les membres de la musique du corps de sapeurs-pompiers rejoignent la scène et la musique du 3e  régiment de ligne, pour faire entendre alternativement son morceau d’harmonie sur la terrasse du jardin de ville pendant le banquet donné par la ville le 17 août à cinq heures trente du soir. À sept heures trente, le banquet opulent continue au rythme de la musique du 3e de ligne. L’auteur de la musique d’une cantate s’adresse même directement au chef de musique du régiment de la 47e ligne de Chambéry pour l’orchestration de son œuvre, c’est dire la confiance que l’artiste porte aux militaires. Le festival de musique est présidé par le grand compositeur Hector Berlioz. Apprécié pour ses qualités de chef d’orchestre, il est invité par le Maire de Grenoble Jean-Thomas Vendre. L’artiste effectue son dernier voyage à Grenoble, ville de résidence de sa famille, avant son décès six mois plus tard. 

Un piquet de quinze hommes est détaché un quart d’heure d’avance pour faire le service religieux à la cathédrale. Le samedi 15 août, à onze heures et demie très précise du matin, à l'issue de l’Office donnée, un hymne latin chrétien, Te Deum, solennel est chanté à l’occasion de la fête de l’Empereur. Afin de bien vouloir assister à la cérémonie, le corps municipal est prié, trois jours avant l’événement, de se réunir à l’Hôtel de ville à dix heures et demie pour se rendre à l’Hôtel de la Préfecture, Place d’Armes. À l'issue du service religieux, le corps municipal est conduit à l‘Hôtel de ville, toujours musique en tête. Immédiatement après le corps de sapeurs-pompiers se rend sur la Place d’Armes où il est passé en revue avec la Troupe de la garnison par M. le général Comte de Monet, commandant de la division Militaire et premier occupant de l’Hôtel de Commandement.

La foule venue acclamer l’Empereur est ravie. Les plus pauvres ne sont pas oubliés : l’administrateur de la Ville leur affecte la somme de 3500 francs conformément à la délibération du Conseil municipal. 

Le devenir de la sculpture après l’inauguration de 1868 

Pour compléter la sécurité, cette fois en termes d’équipement urbain durable, la confection d’une grille est demandée pour entourer le monument. Dès le 10 juillet, elle est commandée au même architecte choisi pour ce projet de statue. Il avait lui-même choisi les candélabres des socles de pierres posés devant l’entrée principale du monument. Le 20 août, les dernières pierres prennent place, prêtes à recevoir la grille. Elle permet de remplacer la clôture provisoire en planches. Elle est mise en place juste après l’inauguration et une fois le nivellement de la place effectué. Ce dernier exigea dix à douze jours de travail ! 

Deux ans plus tard, le monument aux grands hommes fut tristement retiré et mutilé lors de la chute du second Empire en 1870, le 4 septembre précisément. Par chance, il est soigneusement conservé dans les réserves du Musée-Bibliothèque. La sculpture, accompagnée de deux bas-reliefs de François Gilbert, fut restaurée à Paris. Depuis 1929, elle a été recontextualisée sur le lieu de passage historique, de Napoléon Ier, nommé “la route napoléonienne" à Laffrey au bord du lac. Elle est installée selon le dessein de l’architecte Louis Fléchère au moment où la Troisième République se réconcilie avec Napoléon Bonaparte incarnant la grandeur de la France pendant et après la Révolution française. Depuis, Napoléon et son cheval surplombent le paysage de la route Napoléonienne en ce lieu fort de sens.  

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La statue équestre de l’Empereur Napoléon Ier La Rencontre, bronze, dépôt en 1920 du Centre National des Arts plastiques, Ministère de la Culture et de la Communication, département de l’Isère, hiver 2020, hiver 2020 © Musée des Troupes de montagne 

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Laffrey - la statue de Napoléon dans un cadre de verdure © Musée d’Orsay, Fonds Devuisson

 

Charlène Paris 

 

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