Dans la neuvième édition hors-série du magazine Socialter intitulée « Renouer avec le Vivant », l’anthropologue Alessandro Pignocchi publie une courte bande dessinée dans laquelle il se projette au cœur d’un futur hypothétique. Il imagine une visite au musée : une mère et son enfant contemplent les restes de ce que fut le monde avant le grand renouveau, qui prit pour point de départ les luttes des Zones à Défendre.

Image d'en-tête : Croquis in vivo © MCmarco

 

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Extrait de la bande-dessinée créée par Alessandro Pignocchi pour le magazine Socialter © Alessandro Pignocchi ; Socialter 2021

 

Si le nouveau monde n’est pas encore là, il est cependant certain que les problématiques écologiques et sociales soulevées par les occupants des ZAD sont de plus en plus prégnantes au sein de notre société occidentale. La Zone à Défendre de Notre-Dame-des-Landes est un territoire rural où sont pratiquées des activités d’agriculture et d’élevage. Pour autant, l’organisation du site, mise en place par les occupants depuis une dizaine d’années, tend à faire évoluer le statut de cette zone par les activités économiques, artisanales, culturelles et sociales qui y sont pratiquées. Se trouverait-on ainsi confronté à l’émergence d’une véritable zone « agri-culturelle », fruit d’un projet que d’aucuns considèreraient comme utopiste et qui pourtant perdure ?

Le besoin de renouveau 

La Zone à Défendre de Notre-Dame-des-Landes est un lieu d’expérimentation collective. Au sein de ce territoire de 1650 hectares se développent, depuis plusieurs décennies, des activités en tout genre. Qu’ils relèvent de l’agriculture, de l’artisanat ou même de la culture, les projets qui « poussent » sur la ZAD se proposent comme de véritables alternatives à nos modes de vies occidentaux contemporains. Ils s’inscrivent au sein d’un territoire en lutte, un territoire « à défendre » contre un système imposé : celui du chacun pour soi, de l’industrialisation à outrance, celui de la mondialisation, de la globalisation et de l’obsolescence programmée. La ZAD de Notre-Dame-Des-Landes constitue de fait un territoire riche aux enjeux très particuliers. Bocage marqué par le mouvement de lutte contre le projet de transfert de l’aéroport de Nantes sur le site de Notre-Dame-des-Landes, il a rassemblé plusieurs dizaines de milliers de personnes, d’âges et de milieux sociaux très variés, depuis les années 1970. L’abandon du projet de l'Aéroport du Grand Ouest, le 17 janvier 2018, a ouvert la possibilité, pour les quelques trois-cents personnes aujourd’hui installées sur la zone de manière pérenne, de se projeter et d'entreprendre sur le long terme. Il est alors question d’enraciner les initiatives collectives et écologiques, de vie et de lutte partagées, qui s’étaient construites petit à petit sur le territoire. Des expériences de chacun, mais également de la connaissance pointue des milieux et des enjeux locaux, a émergé un projet cohérent et dynamique pour le territoire de l'ex-zone d'aménagement différé.

Territoires pol(ys)émiques 

En plus des activités agricoles, ont également émergées sur le territoire de la Zone à Défendre des activités d’artisanat. Les artisans sont regroupés au sein d’un collectif et travaillent en lien avec les autres activités du territoire. Il s’agit par exemple de fabriquer des outils qui serviront aux activités agricoles du territoire. L’objectif poursuivi est bel et bien de créer un « territoire vivant » en renforçant les dynamiques locales et en utilisant des techniques et des matériaux traditionnels. Les zadistes espèrent de fait transmettre et sauvegarder les savoir-faire de métiers qui tendent aujourd’hui à disparaître et qui pourtant font partie intégrante du patrimoine culturel régional. Un véritable écomusée à ciel ouvert.

Ainsi cohabitent sur la ZAD une forge, nécessaire à la fabrication et entretien de l'outillage pour les projets agricoles des alentours et l'atelier de bûcheronnage, une maroquinerie pour la fabrication d'objets artistiques en cuir, mais également un atelier de céramique impliqué dans la fabrication de vaisselle, de sanitaires, éviers et poêles à bois. S’y trouve également un atelier de menuiserie pour la fabrication de manches pour les outils issus de la forge et des objets d’art. Un espace dédié à la papeterie et à la sérigraphie se propose de réaliser du papier, des affiches et des visuels graphiques. Cet espace s’attèle aussi à cultiver des plantes tinctoriales destinées à la confection d'encre végétale. Ces activités artisanales se répartissent dans différents lieux de la ZAD. Il s’agit souvent d’anciennes fermes récupérées par les zadistes pour y établir des « communs » ou espaces communautaires destinés à l’ensemble de la communauté. Ainsi la ferme de Bellevue, située au cœur du territoire, près de la forêt de Rohanne, comprend une cuisine collective, une fromagerie, une boulangerie ainsi que des espaces dédiées à la couture et à la forge.  Les habitants de la ZAD ont donc une production foisonnante et originale, en lien direct avec leur mode de vie particulier : un mode de vie rural et ancré dans un climat de lutte depuis des décennies.

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Cette carte dessinée situe les lieux de vie et activités dans la ZAD © Geoffroy Pithon, Quentin Faucompré, Mano et Pia ; éditions À la criée 2016

 

Mais la ZAD organise également régulièrement de grands évènements et bénéficie d’une vie culturelle riche, ponctuée de concerts, de lectures, de spectacles, de projections, de conférences… Les zadistes le disent eux-mêmes : « Jamais hameau de quelques centaines d’habitant.es n’a connu une telle vitalité socio-culturelle ! ». En guise d’exemple, mentionnons l’espace de la Wardine, situé au nord-ouest du site dans les bâtiments de l'ancienne ferme de Saint-Antoine, qui sert d’espace de discussion. En effet, le collectif en charge de ce lieu particulier souhaite qu’il puisse servir à un « tas d'activités politiques » et programme ainsi régulièrement des rencontres, des projections et des discussions. La Wardine propose également une salle de concert, afin de profiter de musiques expérimentales et « souvent inouïes », une salle de sport où il est possible de pratiquer de la danse, des arts du cirque ou encore de la self-défense, ainsi qu’un espace permettant d’accueillir les enfants du territoire. 

Un autre lieu permet de profiter d’activités sociales et culturelles sur le territoire de la ZAD. Il s’agit de l’Ambazada, située quelques kilomètres à l’est de la Wardine. L’Ambazada est un bâtiment construit par les zadistes au cours de chantiers collectifs et à l’aide de matériaux locaux, principalement du bois. Au cœur de la seule pièce de l’édifice s’organise une multitude d’événements culturels, allant des rencontres avec des artistes, des scientifiques ou des auteurs, aux formations relatives aux questions d’agriculture et d’environnement, sans oublier les concerts et les projections. Les occupants de Notre-Dame-des-Landes disposent également de leur propre bibliothèque. Située au cœur du périmètre de la ZAD, sur la parcelle de la Rolandière où l’on rencontre également le « phare », la bibliothèque du Taslu rassemble plus de cinq mille ouvrages. On y trouve ainsi des romans, de la poésie, du théâtre, des bandes dessinées, etc. Les zadistes ont également réuni des fonds thématiques sur l’histoire des luttes, le monde paysan et les diverses activités du territoire.

De la ZAD au musée (et inversement)

La ZAD lance régulièrement, via son site internet, des appels à artistes pour que ces derniers viennent « peupler le bocage d’imaginaires en action ». Le territoire attire donc de nombreux artistes, auteurs, intellectuels. Philippe Graton, photographe, s’est régulièrement rendu à Notre-Dame-des-Landes de 2014 à 2019. En 2020, il exposait au Musée de la photographie de Charleroi ses clichés en noir et blanc présentant des moments de vie et de lutte sur la ZAD.

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Photographie publiée dans les Carnets de la ZAD du photographe Philippe Graton © Philippe Graton

 

Alain Damasio, romancier et Grand prix de l’imaginaire, se rend également régulièrement sur la Zone à Défendre. Là-bas, il se prend à rêver de « musée de plein air » et d’ « opéra arboré ». Notre-Dame-des-Landes est par ailleurs devenue une grande source d’inspiration pour l’auteur, puisque les ZAD sont un des thèmes principaux de son tout dernier roman, intitulé Le Furtifs et publié aux éditions La Volte en 2019. Mais la ZAD de Notre-Dame-des-Landes n’est pas la seule à être à être source de propositions créatives : parmi les créations récentes, citons l'AMusée, un « musée inversé » créé en février 2021 sur la ZAD de Gonesse (Val d’Oise). L’AMusée, aujourd’hui détruit, reposait sur un concept simple : c'est à l'extérieur de ce lieu, et « jusqu'aux confins de l'univers » que se trouve l'Art. L’installation avait donc pour vocation de rendre visible et de défendre un autre rapport à l'Art et prenant la forme d'une cabane en palettes et carton cousu. Trois ouvertures pratiquées dans les murs permettaient d’observer les œuvres éphémères créées pour l’occasion.

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Photo de la performance de l’artiste plasticien Morèje pour l’AMusée sur la ZAD de Gonesse © Vitalia

 

Finalement, par la remise en question profonde du mode de fonctionnement de nos sociétés « fondées sur les notions de hiérarchie, de domination et d’exploitation », la Zone à Défendre a permis l’émergence de nouveaux modes « d’habitat, de gouvernance et de solidarité » en mettant en place « le partage des communs, le réinvestissement des rituels, la permaculture ou encore la monnaie locale ». Elle semble ainsi bel et bien matérialiser le concept d’hétérotopie (topos : « lieu », et hétéro : « autre » : « lieu autre ») tel qu’il fut définit par Michel Foucault, c’est-à-dire comme une localisation physique de l'utopie. Les hétérotopies seraient ainsi des espaces concrets hébergeant « l'imaginaire ». Car c’est bel et bien cela que nous proposent les occupants de la Zone à Défendre de Notre-Dame-des-Landes: une invitation à repenser nos imaginaires. En effet, selon Philippe Vion-Dury, rédacteur en chef du magazine Socialter, le terme d’imaginaire renvoie à nos représentations « sociales, politiques, temporelles, anthropologiques » et, en définissant ce qui est « bon ou mauvais, normal ou anormal, souhaitable ou non », détermine les normes de la société dans laquelle nous vivons. Ainsi, selon lui, la construction d’un imaginaire collectif revêt une importance considérable dans nos vies, puisque c’est elle qui est à l’origine des logiques d’émancipation ou d’asservissement culturellement acquises. Les « imaginaires alternatifs », qui s’opposent aux imaginaires traditionnels qui ont « fait faillite » entrent aujourd’hui dans nos foyers. Au moment où j’écris ces lignes, nul ne sait si la Zone à Défendre de Notre-Dame-des-Landes réussira à perdurer et à garder son statut d’« antichambre d’un monde nouveau ». Ce qui est pourtant sûr, c’est qu’au sein de cette communauté d’ « artisans-artistes », la culture vit par les gestes au sein d’un véritable musée à ciel ouvert, un laboratoire des possibles. 

Image vignette : cabane médicinale et traversée solaire © ZAD NDDL Info

 

Lucile Garcia Lopez

 

Pour aller plus loin : 

ZAD NDDL Infos, la page Facebook des habitants la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Pour retrouver les actualités et les RDV de la ZAD : https://www.facebook.com/zadnddlinfo 

Renouer avec le Vivant : https://www.socialter.fr/article/hors-serie-9-renouer-avec-le-vivant-avec-baptiste-morizot 

L’Amusée : https://blogs.mediapart.fr/edition/inverse/article/040421/lamusee 

La Zone à Défende, du spectacle au rite : https://www.franceculture.fr/emissions/la-theorie/la-transition-culturelle-du-vendredi-17-janvier-2020 

(P)artisan.ne.s, le collectif d’artisans de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes : https://zad.nadir.org/spip.php?rubrique96 

 

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