Un contexte politique prédominant 

« Je ne peux pas accepter qu'une large part du patrimoine culturel de plusieurs pays africains soit en France [...] Je veux que d'ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique. » déclare le président Emmanuel Macron lors de son Discours à l'Université Ouaga I, professeur Joseph Ki-Zerbo, à Ouagadougou (Burkina Faso) le 28 novembre 2017. 

Image d'intro : © Sibylle Neveu

 

Cette déclaration charnière amorce un travail parlementaire et scientifique sur la problématique des restitutions d’œuvres spoliées. Ainsi le 23 Novembre 2018 est rendu le rapport Sarr-Savoy dirigé par l’universitaire et économiste Felwine Sarr, l’historienne de l’art Bénédicte Savoy, sur la restitution du patrimoine culturel africain commandé par le président de la République. Bien que contesté par des conservateurs inquiets à l’idée d’un mouvement qui consisterait à vider les collections, il influence la décision de cette restitution particulière.  Ce choix politique tend à la redéfinition des relations franco-africaines, et porte en son sein des enjeux historiques et intellectuels que sont la mémoire coloniale et la nécessité de résilience. Le 26 août 2016 déjà, le Bénin avait déposé une requête restée sans succès.   En effet en France, le code du patrimoine a établi depuis l’ancien régime le principe d'inaliénabilité du domaine public, répondant à une posture de responsabilité de l'État, et à la naissance d’une conscience collective de l’intérêt général de ces biens comme res publica. Cela concerne ainsi les biens culturels constituant les collections des musées publics, rendant quasi impossible l’aliénation d’une œuvre. Cependant, un travail parlementaire menant à l’élaboration d’une loi de dérogation à ce principe a rendu possible cette restitution ainsi que le transfert vers le Sénégal du sabre avec son fourreau, dit "d’El Hadj Omar Tall" en novembre 2019.

Le trésor d’Abomey, un bien mal acquis 

Le trésor royal d’Abomey ou de Béhanzin, regroupe un ensemble de 26 œuvres ou objets qui furent pillées au Bénin et transportées en France au 19 ème siècle. Il est arraché comme butin de guerre par le général Dodds et ses troupes coloniales en 1882 après le saccage du palais. Le trésor est constitué de statues anthropomorphes de trois rois de l'ancien royaume d'Abomey, les trônes en bois sculpté des rois Ghézo et Glèlè, d’objets d’art et d’objets sacrés comme un tabouret tripode, un récipient et couvercle en calebasse, les portes ornées du palais du roi Glèlè, des pièces de tissu, etc. Ces objets sont envoyés au trocadéro entre 1893 et 1895, puis au musée de l’Homme jusqu’à leur conservation finale au musée du Quai Branly en 2003. Bien que tous les objets africains présents en France ne soient pas issus de pillages, l’accaparement systématique par les troupes coloniales françaises de ces biens souligne la corrélation entre expansion coloniale et expansion des collections favorisant la création et le développement des grands musées ethnographiques français au 19ème.

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© Sibylle Neveu

 

Les murs et les portes des palais d'Abomey étaient ornés de motifs allégoriques faisant référence aux divinités du panthéon fon, groupe ethnolinguistique du Bénin, aux hauts faits des rois, à des épisodes historiques mémorables. Ces ornements permettent le lien entre le roi vivant, ses ancêtres et les divinités vaudou.

Pour les peuples spoliés, pour la jeunesse béninoise, le retour de ces objets représente la possibilité de renouer avec un patrimoine, un savoir-faire, une ancestralité. Nul n’ignore l’importance édifiante de l’art dans l’affirmation culturelle et spirituelle d’une nation, d’une communauté. Originellement, ces objets revêtent un caractère politique, spirituel, ou artistique intrinsèque dont les attributs sont étouffés derrière des vitrines closes européennes. Ben Okri, romancier nigérian disait à propos de la perte de ce patrimoine « Les gens eux- mêmes sont dans une sorte d’exil. Loin du sanctuaire de leurs rêves. » 

Ne pas reconnaître le droit de ces pays à disposer de leur patrimoine en leur objectant une présomption d’incapacité à les conserver revient à entretenir une posture néo-colonialiste et infantilisante.   Nonobstant, il ne s’agit pas de cloisonner ces œuvres en instituant une posture de restitution automatique mais d’ouvrir un dialogue égalitaire, apaisé entre la France et ses anciennes colonies qui puisse favoriser une circulation de ces biens porteurs d’un héritage universel.

Le musée : un rôle à jouer 

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Source : capture écran vidéo YouTube chaîne TNT (https://youtu.be/PyY_tjhFNBg)

 

En 2018 une séquence du blockbuster Marvel Black Panther,  illustre la problématique des restitutions du patrimoine africain. Le personnage de Killmonger, jeune homme africain américain, et vilain de la saga Marvel interpelle la conservatrice du musée, personnage condescendant, au sujet des masques présents en vitrine. Il conclut sa tirade par « À votre avis, comment vos ancêtres les ont eus ? Vous croyez qu’ils les ont payés ou qu’ils les ont pris ? Comme tout le reste. » Bien que caricaturale et manichéenne, la présence de cette scène et son fort retentissement au sein des diasporas afro-descendante témoigne de son importance dans le débat public et souligne le rôle du musée dans ce processus. À l’instar du pouvoir étatique, le musée incarne un espace, une institution tutélaire dans l’élaboration de ces réflexions scientifiques, muséographiques, éthiques. Quel est le rôle du musée dans ce processus de restitution ? Selon le rapport Sarr- Savoy 85 % à 90 % du patrimoine africain serait hors du continent. Depuis 2019, hormis le Bénin, six pays (Sénégal, Côte d'Ivoire, Éthiopie, Tchad, Mali, Madagascar) ont soumis des demandes de restitutions. Au moins 90 000 objets d’art d’Afrique subsaharienne sont dans les collections publiques françaises, sans parler des collections privées.

Ainsi, au-delà de la dimension éminemment politique de cet acte qui interroge sur l’indépendance du musée face au pouvoir politique, la restitution offre la possibilité de repenser le positionnement des musées. D’une part, envisager d’autres options que les restitutions systématiques c’est également repenser les modes de circulations, les modalités d’échanges, expositions, avec les pays concernés. Toujours dans ce sillage, il est nécessaire de poursuivre et de renforcer le travail complexe d’inventaire et de retraçage de l’itinéraire des œuvres.  Des questions peuvent être soulevées comme la place du discours postcolonial, la contextualisation des œuvres, l’ouverture d’un débat participatif, une scénographie plus adaptée et peut-être moins esthétisante. D’autre part, alors que l’ICOM a entamé une action de redéfinition de musées, il s’agit de réaffirmer ses ambitions telles que le dialogue des cultures, l’intensification de la recherche scientifique et la nécessité de renforcer ce travail entre les institutions muséales.

Dans ce cas précis, le Quai Branly a intensifié le travail de documentation et de recherches à propos de ces objets afin d’accompagner au mieux la restitution et leur accompagnement.  Une exposition du 26 au 31 octobre a eu lieu au musée du Quai Branly en collaboration avec des conservateurs béninois présents à toutes les étapes, le directeur Emmanuel Kasarherou s’exprime en ces termes :  “Nous avons décidé avec le Bénin de monter une exposition, de ne pas faire ces restitutions en catimini, avec seulement des caisses qui transitent.” (Le Monde) Ainsi, à partir de novembre, les œuvres regagnent leur terre originelle vers un lieu de stockage temporaire. Elles seront exposées et conservées au futur Musée de l’Épopée des amazones et des rois du Danhomè à Abomey, projet franco-béninois soutenu par l’AFD, aux yeux du peuple béninois qui pourra retrouver l'héritage de ses ancêtres. 

 

Éva Augustine

 

Pour aller plus loin :

  • “Restituer ? L’Afrique en quête de ses chefs-d’œuvre” ARTE, film documentaire de Nora Philippe, (83’, 2021) 

  • ICOM, Restituer ? Les musées parlent aux musées. 

  • Discours sur le colonialisme, Aimé Césaire. 

 

Image vignette : Trois statues des trésors royaux d’Abomey, exposées au Musée du quai Branly à Paris © Sibylle Neveu

 

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