Ce qui est un déchet pour quelqu'un, est peut- être un trésor pour un autre. C'est avec cette philosophie en tête que Clare Dolan a créé le "Museum of Everyday day", le musée de la vie quotidienne dans la région du Vermont, à Glover aux Etats-Unis en 2011.

Infirmière, marionnettiste et philosophe, c'est avec ses idées et son activisme au sein de la compagnie de théâtre "Bread and Puppet" que Clare a développé au fur et à mesure des années la volonté de créer ce musée qui rend gloire aux objets de l'ombre, ceux que l'on oublie... 

Image d'introduction : "Mirror, Mirror" 2016 © clare dolan

A quoi peut ressembler un musée non rempli d'objets rares, mais avec des objets de tous les jours ? A quoi peut ressembler un parcours de visite non traditionnel qui défie l'exposition des objets et leurs cartels ? Et comment peut -il être possible de créer une exposition avec des objets banals, étranges, de curiosités, amateurs, hors du cadre... Avec en esprit la participation de bénévoles, une collecte d'objets via des donateurs et chinés. 

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"Draw the Line and Make Your Point: the Pencil and the 21st Century" 2013 © Clare Dolan

 

Les visiteurs réguliers du musée sont plutôt des artistes, des habitants de Glover, des passants un peu curieux, des étudiants, des collectionneurs d'objets atypiques, qui donnent également de leur temps pour construire les expositions, le bâtiment et sa rénovation. Engagé, les bénévoles peuvent également devenir médiateurs de visite guidée et animateurs de performance artistique au musée, qui a pour objectif d'illuminer l'avant et l'arrière, l'essentiel, la relation entre les objets et les Hommes ? 

A force de toujours rester au même endroit, dans notre train-train quotidien, on en oublie l'environnement qui nous entoure. A Glover, on reçoit et examine les objets à travers leurs vies, leur histoire singulière, et toutes leurs utilisations dans l'histoire Humaine. A chaque exposition, un objet est mis en avant. La première exposition, en 2011 avait pour thématique l'allumette. A partir d’une collection de boîtes d'allumettes était retracée l’histoire de cet objet : son invention, et son utilisation à travers les décennies. On pouvait également y découvrir des instruments de musique (violon et banjo) en allumettes, des théâtres miniatures en boîte d'allumettes, un bestiaire extérieur et géant d'allumettes à travers le monde, ainsi que d'autres curiosités traitant de la friction, de la cendre, du bois qui brûle, de l'étincelle, de la chaleur entre des personnes qui s'aiment... 

En 2012, le thème était "L'incroyable histoire de l'épingle", collection provenant du monde entier en relation avec un essai philosophique de Christopher Morley en 1920, qui rend hommage à l'épingle à nourrice comme cadeau de l'humanité : elle a permis d'attacher deux bouts de tissus ensemble, et ainsi de tenir chaud, rassembler les individus autour du feu, créer des liens sentimentaux, de haine, de convivialité, construire des civilisations jusqu'à devenir le symbole de cultures alternatives, ou à contre-courant comme le mouvement Punk dans les 60/70. 

Se sont enchainées une exposition sur le stylo en 2013, la brosse à dent en 2014, la poussière en 2015, le miroir en 2016, la cloche et le sifflet en 2017, la clef et les serrures en 2018, les ciseaux en 2019, et enfin le nœud et la corde depuis 2020,toujours présentée.

Une logique low-tech est également mise en avant : il y a très peu de numérique (seulement pour des éclairages, mises en ambiance). L'objet peut aussi servir à provoquer l'éveil, la réflexion et faire travailler son imaginaire. Chaque objet est un prétexte à évoquer une idée sous-jacente : l'exposition "Bells & Whistles", la cloche et le sifflet en 2017, avait en double lecture l'engagement de mettre les objets avec une seule utilisation en opposition au téléphone portable avec quoi tout est possible : prendre des photos, aller sur internet, téléphoner, jouer, lire, se repérer, écouter de la musique, se connecter aux réseaux sociaux, calculer, trouver un restaurant... Le minimalisme de la fonction d'un sifflet met en avant l'importance des origines, de la recherche de la source, du tangible, de l'accessible, de l'essentiel et de l'honnêteté qui ne va jamais trahir. Cela permet aussi d'aborder le son, le bruit, la révolte, cet objet permet de se faire entendre pour donner son opinion, en débattre, protester contre l'Injustice ! 

Malgré la longue histoire de la clef et les serrures, le pas de côté de l'exposition "Locks & Keys" en 2018 met en avant (en plus d'un historique de la création de la serrure : de 3 blocs de pierre aux portes blindées des banques) un sentiment essentiel dans l'histoire de l'Humanité : l'inévitable satisfaction de pouvoir se cacher et se protéger des autres. Cela est-il une preuve d'un échec à vivre tous en harmonie ? L'Humain n'est-t'il pas un animal social, avec un besoin maladif de partager, de serrer dans ses bras, et de s'ouvrir à l'autre ? Pouvons-nous encore faire autrement, ou est-il trop tard ? 

Interrogée sur la difficulté d'exposer de tels objets, Clare réponde que justement, cela permet de mettre en lumière des sujets politiques aux Etats-Unis comme le rôle clef de la corde dans l'histoire du meurtre des Afro-Américains. 

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Lettre pour l'exposition "Toothbrush from Twig to Bristle In All Its Expedient Beauty" envoyé par un prisonnier avec sa brosse à dent à Clare, 2014 © Clare Dolan

 

Le parcours de visite :

"Allumer la lumière quand vous entrez, et n'oublier pas de l'éteindre à la sortie" ! Le musée se décompose en 3 séquences : la première, une salle d'écriture, de théorisation, et de publication philosophique à propos de la relation humain/objet, des méthodes de conservation et leur inventaire. La deuxième, une scène intérieure/extérieure pour accueillir les performances, spectacle de marionnettes, activités extérieures avec le public toujours en écho avec l'exposition en cours. La troisième (et la plus importante), le musée, qui rend tangible le travail théorique, la mise en place des pensées expérimentales de l'équipe muséographique du musée. "Fais ce que tu penses"... La visite peut être individuelle ou en groupe, seule ou guidée par ceux qui ont aidé à la conception l'exposition ou avec l'équipe présente au musée, tous prêts à vous transmettre leur passion pour l'inhabituel. L'équipe du musée met un point d'honneur sur une de ses missions principales, les workshops ! Elle souhaite, et le plus possible, intégrer ceux qui le souhaitent dans des ateliers et partager leur passion, leurs connaissances et laisser l'alchimie entre les participants prendre corps. Pour cela des résidences avec des artistes sont ponctuellement organisées, ainsi que des formations aux échasses, à la création de marionnettes en papier mâché, avec éventuellement des interventions de voisins de tous âges, et de collègues d'autres musées. 

Nous sommes dans une société où on vénère l'exotique, l'autre, le rare et le précieux, autant que des célébrités... Cependant, n'est-il pas important de nous créer une place qui nous ressemble ? Nos histoires de vie sont toutes aussi singulières, et la connexion avec les objets qui nous accompagnent tout au long de notre existence mérite bien d'en faire un musée.

"It's an ongoing, revolutionary experiment" Clare Dolan

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Cartel experimental  © Clare Dolan
 
Alexis

Pour aller plus loin : 

- Site du musée : https://museumofeverydaylife.org/ 

- Constasoria/mediation "The Answers to Four Questions" https://www.youtube.com/watch?v=14xgE6AEQbk

- Hurricane Manifesto #1 : https://www.youtube.com/watch?v=bLfb0hi4Gk4&t=11s

- Constatoria/mediation "Hurricane Manifesto #1" à l'Ecosocialist Convergence de Northampton sur le changement climatique en 2012 : https://www.youtube.com/watch?v=bLfb0hi4Gk4&t=11s

 

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