De passage à Amiens, en attendant le prochain train, le temps de vagabonder dans le centre-ville, l'idée évidente est de visiter la cathédrale Notre-Dame.

Entailles, Wilson Trouvé, Amiens © Yann Monel 

 

Une fois le pèlerinage terminé, nous descendons la rue de la Barette, remontons les berges de la Somme, le soleil d'automne nous pousse à traverser le fleuve pour rejoindre le parc qui le longe. Notre marche hasardeuse se complique : des cours d'eau de plus plus nombreux nous barrent la route, la nature se densifie et nous impose l'assistance d'un plan. Sous nos yeux, une étendue immense, un archipel d’îlots entrecoupés de minuscules cours d'eau. Nous imaginons une formation naturelle: ruisseaux, îles et mangroves découlant des eaux du fleuve qui abreuvent et inondent ces terres. Au loin, des barques accostent, déchargent et chargent ce qui semble être badauds et touristes. Nous en sommes.

 

La Maison des Hortillonnages

Le lieu appartient à l'Association pour la protection et la sauvegarde du site de l'environnement des hortillonnages. Notre sentiment se précise: l'endroit n'est pas un quelconque espace vert mais une particularité amiénoise. Impatients d'embarquer, nous sommes munis de tickets et d'un plan détaillant chaque nom des canaux qui découpent les lieux. Mais du cheminement naturel qui nous a conduit en ce port, s'est éveillé en nous une curiosité inattendue : la signification de ce mot bien étrange: Hortillonnage. Une salle est prévue pour répondre à nos questions. Le décor rustique tient d'une cabane de chasse. Films d'archives et photos anciennes nous permettent de nous fondre et comprendre l'histoire du site, son utilité, sa faune, sa flore et le plus intriguant : ses habitants.


Vue du ciel, Amiens © Licence Creative Commons

Les Hortillonages, Amiens © C.V

 

Une nature façonnée par l'homme

Le sentiment d'être au centre-ville de la capitale picarde s'est évanoui, mais la brève exposition d'introduction vient nous le rappeler. C'est l'homme qui a comblé, creusé, défriché, détourné et enfin cultivé ce qui étaient d'anciens marais et tourbières. Non par plaisir mais par nécessité. Les hortillonnages, ces terres fertiles au cœur d'Amiens, ont permis de nourrir sa population durant des siècles. Les maraîchers transportaient leurs récoltes via des barques et approvisionnaient les étals des marchés des quais de la Somme. On estime la naissance des hortillonnages à l'ère Gallo-romaine mais le premier document qui en atteste date de 1492. 1500 hectares au XVème siècle et un millier de maraîchers pour les exploiter.

L'avènement du chemin de fer entame le ralentissement de ce mode d'agriculture. En 1900, 500 hectares de terre. 300 hectares aujourd'hui, 7 exploitants pour les cultiver, 99% des îlots sont devenus des jardins d'agrément.Nous sommes appelés à embarquer, accompagnés de 10 autres personnes. Le Gouverneur, nom de notre navire, s'approche silencieusement. Une barque à cornet, bateau à fond plat aux allures de gondole, dont la rame est remplacée par un moteur électrique qui n'émet aucun bruit si ce n'est les clapotis de l'eau. Le moyen de propulsion permettra d'apprécier le calme qui habite le site et possède un atout écologique évident.

A la barre Jean-Claude, enfant du pays est trahit par son léger accent bien picard. Il aura la double casquette de capitaine et médiateur. Une fois les amarres larguées, le chef à bord nous décrit les 3 km de croisière à venir, demandant aux passagers d'étudier leurs cartes et de cerner le parcours.   45 minutes soit 3 km de croisière sur les 65 km de rieux. La visite ne couvre pas l'ensemble des hortillonnages et n'est pas improvisé. Depuis le port nous nous rendons au rieu d'Orange, le numéro 13 sur la carte. La vocation du circuit est de présenter la diversité des parcelles. Il est établi en communion avec les propriétaires des îlots, ces derniers ayants émis de nombreuses plaintes à l'encontre des visiteurs qui naviguent sans encadrements et qui n'hésitent pas à emprunter des canaux privés, peu scrupuleux de l'environnement et de la quiétude des hortillonnages. 

Les Hortillonages © C.V

 

Balisage des rieux © La Maison des Hortillonages

Un musée à ciel ouvert

Au fil de l'eau nous avons la preuve que les hortillonnages ont perdu leur vocation initiale de nourrir les Amiénois. Jadis ventre de la ville, ils sont désormais le poumon vert. Les nouveaux habitants, surnommés par notre capitaine "les Robinsons" y viennent pour camper, pêcher, cultiver leur potager, se baigner l'été tant l'eau y est propre... Nombreux se plaisent à mettre en scène leur parcelle tels de véritables scénographes. Nous attendions un endroit exclusivement dédié à la nature, l'expression de l'homme y est finalement foisonnante.

Le visiteur est autant intrigué par l'ouvrage titanesque réalisé depuis des siècles, les hortillonnages, que l'inventivité des gens qui le font vivre. Les parcelles se succèdent mais ne se ressemblent pas: ruches, houblonnière et cabane encerclée de sculptures représentants un orchestre de jazz qui évoquent les quartiers de la Nouvelle-Orléans... L'architecture parfois audacieuse des cabanes incite à la rêverie. Les Robinsons se plaisent à afficher leurs talents d'horticulteurs, jardiniers, bricoleurs. En témoigne ce vélo posé à proximité du canal, qui pompe l'eau une fois le pédalier mis en route. Aux ambiances poétiques et colorées se succèdent des œuvres artistiques. Le 15 octobre se terminait le 8ième festival Arts, villes et paysages, organisé par la Maison de la culture d'Amiens.

De jeunes paysagistes, plasticiens, architectes et designers étaient invités dans les hortillonnages pour produire des œuvres qui tiennent compte des contraintes naturelles et des spécificités du lieu. Plusieurs installations n'ont toujours pas été démontées comme l’œuvre Arcane de la plasticienne chinoise Yuhsin U Chang. Ce fragile entrelacs de branches qui semble léviter surprend sans détonner des mangroves qui l'entourent si ce n'est grâce à sa blancheur immaculée. Ici l'artiste, en évoquant la fragilité des écosystèmes, se joue une fois de plus de la nature et s'en inspire pour la mettre en scène. Des mécènes financent la préservation du site, et s'affichent en bienfaiteur sur des pancartes installées sur des îlots. Mécénat, médiateur, mise en scène, expositions et œuvres d'art, les hortillonnages sont devenus un véritable musée à ciel ouvert.

Arcane, Yuhsin U Chang , Amiens © C.V.

 


Les Hortillonages, Amiens © C.V.

Des hortillonnages nous mesurons l'abnégation du genre humain, son évolution au fil de l'histoire. Prêt à détourner des fleuves pour subvenir à des besoins élémentaires, également capable d'un raffinement, d'une créativité sans limite pour conserver un lieu qui avait perdu sa vocation d'exister. Si les Amiénois n'avaient pas investi ces terres maraîchères en déclin, l'endroit ne serait plus que tourbière, marais ou béton. Au-delà du caractère unique des hortillonnages, d'avoir ramené puis conservé une nature si diverse au cœur de la ville, nous trouvons en ces lieux un formidable terrain d'expression. Mesurons également les capacités de destruction de l'homme. Aux 130 000 visiteurs annuels qui embarquent chaque année grâce à la Maison des Hortillonnages dans un cadre strict, s'ajoutent 50 000 visiteurs indépendants. Les Robinsons, pour préserver leur terre ont de nouvelles questions à se poser. 

C.V

 

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Pour en savoir plus :

http://www.hortillonnages-amiens.fr/