Une chose est sûre, si je suis curieuse de toute forme d’établissements culturels, je n’accroche absolument pas avec les maisons de personnages célèbres. Si certaines exposent des œuvres, mettent en valeur le bâtiment et son histoire, et se renouvellent avec des expositions intéressantes, d’autres se contentent de placer quelques meubles où l’artiste aurait peint ou écrit ses plus grandes œuvres le tout figé dans le temps et dans la poussière.

Anne Frank © Fondation Anne Frank

Sans+titre 5

Visiter la maison d'Anne Franck

Pourtant, en voyage à Amsterdam, il était inenvisageable pour moi de manquer la très célèbre maison d’Anne Frank. Située sur les canaux du centre-ville, ce musée est un incontournable pour tous les touristes d’Amsterdam, qui forment des files d’attentes interminables autour de la maison. Cependant, la maison Anne Frank n’est pas une maison de personnages célèbres comme les autres ; la maison est indissociable de l’histoire d’Anne Frank, c’est le cadre et la limite de la majorité des écrits d’Anne Frank dans son très célèbre Journal. Comme une prison et un refuge, une ennemie et une amie, l’histoire de la Maison d’Anne Frank est forte et complexe et la visite promettait d’être une expérience riche en émotions.

Le Journal d’Anne Frank est un livre qui parle à toutes les générations et à toutes les nationalités cequi explique son succès depuis près de 70 ans. Les écrits de cette jeune adolescente m’ont profondément marquée pendant mon enfance, et cette maison cachée appelée l’Annexe, je l’ai imaginée de nombreuses fois en souhaitant pouvoirun jour en franchir le seuil.

« C’est une sensation très étrange, pour quelqu’un dans mon genre, d’écrire un journal. Non seulement je n’ai jamais écrit, mais il me semble que plus tard, ni moi ni personne ne s’intéressera aux confidences d’une écolière de treize ans. »

Anne Frank, 20 juin 1942

Voilà pourquoi je me suis retrouvée à attendre deux longues heures dans le froid d’Amsterdam pour avoir la chance de visiter ce lieu symbolique et historique. En entrant enfin dans le musée, je comprends pourquoi la file d’attente est si longue ; non seulement il y a énormément de visiteurs mais la billetterie arrête de vendre des billets tous les vingt visiteurs environ pour quelques instants. En effet, l’Annexe est très exigüe et cette mesure permet également de pouvoir se retrouver en petit comité dans les pièces et parfois même seul. C’est sûrement aussi pour des questions de sécurité, d’évacuation et de conservation ; dans tous les cas les conditions de visite sont appréciables.

L’Annexe

Maquette de l'habitation d'Anne FranckPetit rappel des faits : en 1942, les mesures anti-juives s’intensifient, la famille Frank entre alors en clandestinité au 263 Prinsengracht aux côtés de quatre autres personnes. Le bâtiment est composé de deux parties : une maison côté rue et derrière une annexe invisible. S’ensuit deux années de clandestinité et de cohabitation où il est impossible de sortir de cette annexe et où Anne Frank écrit un journal intime pour s’échapper de son quotidien difficile. En 1944, les clandestins seront dénoncés et déportés. Otto Frank, père d’Anne Frank et seul survivant des camps parmi les huit clandestins, décidera en 1947 de publier le journal intime de sa fille. Le musée ouvrira ses portes en 1960 sur les indications d’Otto Frank pour la reconstitution des pièces.

Plan de la maison et de l'annexe - © Wikimonde

Le parcours débute par la maison devant l'annexe qui abritait l'entreprise de Otto Frank ; l'entrepôt, les bureaux et enfin le dépôt. Ici, les pièces ont peu d'intérêt, mais permettent de rappeler le contexte historique au moyen d'archives filmographiques et de photographies. L'ambiance est pesante, les sources de lumière sont calfeutrées, l'éclairage est tamisé et il en sera ainsi pour tout le reste de la visite. Le moment charnière du parcours est le palier de l'annexe cachée avec sa très célèbre bibliothèque pivotante en guise de porte. Cette bibliothèque, d'origine, permet d'entrer dans la maison des clandestins ; l'atmosphère est étouffante avec des couloirs étroits, des escaliers raides (« un vrai casse-pattes hollandais » selon Anne Frank) et de grands rideaux noirs obstruant toute lumière du jour.

« Notre cachette est devenue une cachette digne de ce nom. En effet, M. Kugler a jugé plus prudent de mettre une bibliothèque devant notre porte d’entrée »

Anne Frank, 21 août 1942

La Chambre d'Anne Franck

Après avoir visité la chambre des parents et de la sœur d'Anne Frank, j’arrive enfin dans la chambre d’Anne Frank (partagée avec Fritz Pfeffer) où les murs sont couverts de photographies découpées dans les magazines et de cartes postales. Regarder ces photographies de stars de cinéma (Greta Garbo) ou de célébrités de l’époque (la Princesse Elisabeth) devant lesquelles Anne Frank rêvait des heures entières et qui constituaient le seul moment où elle pouvait s’échapper de la réalité et contempler le monde extérieur est un moment fort de la visite de l’Annexe. Viennent ensuite la salle d’eau, la salle de séjour commune et la chambre de Peter van Pels. Le grenier est la dernière pièce de l’Annexe et est importante dans l’histoire d’Anne Frank ; c’est le seul endroit où elle pouvait se réfugier seule et voir la lumière du jour. C’est également dans ce grenier qu’elle connaîtra ses premiers émois amoureux avec Peter. Comme il est impossible d’y monter pour des raisons de sécurité et de conservation, un grand miroir est installé pour permettre au visiteur de voir l’intérieur à partir du bas de l’échelle.

« Je ne suis jamais seule dans ma moitié de chambre et pourtant j’en ai tant envie. C’est aussi la raison pour laquelle je me réfugie au grenier. Là-haut, et auprès de toi, je peux être un instant, un petit instant,moi-même. »

Anne Frank, 16 mars 1944

Le vide de l'absence 

En entrant dans cette annexe, je me suis interrogée sur le vide des pièces : mis à part quelques photographies et quelques documents d’époques des clandestins sur les murs (cartes, liste de commissions, traits de croissance d’Anne et de Margot etc.), il n’y a aucun meuble qui permettrait de reconstituer les différents espaces. L’explication est donnée à la fin du parcours : l’Annexe est restée vide à la demande d’Otto Frank, et représente le vide laissé par les millions de personnes déportées. D’abord déstabilisée par l’absence de contenu, j’ai réalisé rapidement que ces pièces vides laissaient une impression bien plus forte au visiteur ; ces murs ont une mémoire, et nul besoin de lits, de commodes ou d’armoires pour ressentir et comprendre l’histoire de ces huit clandestins. Deplus, des maquettes et des photographies de reconstitution des pièces permettent de voir comment elles étaient agencées.

« Pense comme ce serait intéressant si je publiais un roman sur l’Annexe ; rien qu’au titre, les gens iraient s’imaginer qu’il s’agit d’un roman policier. Non mais sérieusement, environ 10 ans après la guerre, cela fera déjà sûrement un drôle d’effet aux gens si nous leur racontons comment nous, les juifs, nous avons vécu, nous nous sommes nourris et nous avons discuté ici. »

Anne Frank, 29 mars 1944

Le parcours au 263 Prinsengrachtse termine au dernier étage de la maison officielle (façade donnant sur la rue) ayant comme thème « la Shoah ». Nous pouvons alors connaître le destin de chaque clandestin après son arrestation le 4 août 1944 ; seul Otto Frank reviendra du camp de concentration et Anne Frank mourra du typhus seulement quelques semaines avant la libération en mars 1945. Les protecteurs, également arrêtés, survivront à la guerre. Dans cette partie de l’exposition, les papiers d’identité des huit clandestins sont exposés ainsi qu’un grand livre répertoriant les millions de déportés ouvert à la page de la famille Frank. Une vidéo particulièrement touchante de Hanneli Goslar est projetée où elle explique sa relation d’amitié avec Anne Frank, et comment elles se sont retrouvées au camp de Bergen-Belsen.

Quittons maintenant l’Annexe et les années 40 pour retourner au présent et au musée accolé à la Maison Anne Frank.

Le Musée Anne Frank

La maison Anne Frank - © Fondation Anne Frank

Musée Anne FranckLe Musée est composé de trois salles d’expositions, d’un restaurant et d’une librairie. La première salle est un hommage à Otto Frank, à ses combats contre les discriminations tout au long de sa vie et à l’histoire de la publication du Journal d’Anne Frank. Une vidéo d’une interview d’Otto Frank est projetée sur l’histoire de sa vie avant et après la guerre.

La deuxième salle est une salle clef dans le musée : on peut y voir le fameux Journal d’Anne Frank, petit carnet à carreaux rouges qu’elle avait reçu à l’occasion de son treizième anniversaire avant d’entrer dans la clandestinité. Lorsqu’il est plein, elle continue à écrire dans des cahiers puis sur des feuilles volantes. Anne Frank n’écrit pas seulement son journal intime mais aussi des nouvelles et recopie des belles phrases qu’elle trouve dans ses lectures. Son plus grand rêve est dedevenir écrivaine et de publier un livre sur la vie à l’Annexe après la guerre ;  malgré sa mort prématurée, son rêve aura été réalisé au-delà de ses espérances. Les écrits d’Anne Frank sont d’ailleurs entrés au Patrimoine Mondial Documentaire de l’Unesco en 2009.

Enfin, le dernier espace est destiné à accueillir les expositions temporaires, expositions qui permettent d’approfondir l’histoire de la famille Frank. L’exposition en cours traite des protecteurs de l’Annexe, c’est-à-dire de toutes les personnes qui ont aidé les huit clandestins pendant la guerre. L’espace d’exposition est restreint et l’hommage à ces quatre personnes est vibrant mais bref.

« Kugler qui parfois a du mal à supporter la responsabilité colossale de notre survie à tous les huit et qui n’arrive presque plus à parler tant il essaie de contrôler ses nerfs et son excitation. »

Anne Frank, 26 mai 1944

La visite se termine avec la projection d’un film « Reflexion sur Anne Frank » qui rassemble les témoignages de personnes célèbres, de visiteurs du musée et de personnes ayant connu Anne Frank qui racontent leur relation avec elle et son journal. Chacun peut alors laisser une trace, un témoignage, une histoire de vie sur les tablettes numériques qui font office de livre d’or numérique.

L'émotion pour ne pas oublier

Avant de visiter ce musée, j’avais peur que les conditions de visites soient mauvaises dues augrand nombre de visiteurs et que Anne Frank soit trop « marchandisée ». Mes doutes se sont vite dissipés et j’ai autant apprécié l’Annexe cachée que le musée. Vous n’irez sûrement pas visiter ce musée pour la scénographie (soignée mais pas exceptionnelle) ni pour les expositions temporaires mais pour ressentir la puissance de l’histoire et de l’émotion dans lequel baigne ce lieu. Suite à ma visite, je me suis d’ailleurs replongée dans le Journal et j’en ai extrait les passages ici reproduits. La Maison Anne Frank vous permettra de (re)découvrir et de (re)lire le Journal d’Anne Frank et de ne jamais oublier l’histoire de cette jeune fille qui représente les millions de déportés pendant la seconde guerre mondiale.

Les extraits sont tirés du Journal d’Anne Frank

Laura Tralongo

.Pour aller plus loin :

Site officiel de la Maison Anne Frank

#annefrank

#amsterdam

#reconstitution