Lors de sa réouverture en octobre 2015, le Musée de l’Homme annonçait se positionner comme musée agora, le musée au cœur des débats de sociétés. Un an et demi plus tard, le 7 avril 2017, il ouvre sa première grande exposition, Nous et les autres, des préjugés au racisme. Nous sommes à la veille des élections présidentielles, et le musée du Trocadéro inaugure une exposition on ne peut plus ancrée dans l’actualité ! Pari osé ! Pari réussi ? Qu’en est-il ?

Entrée de l’exposition Nous et les Autres au Musée de l’Homme © Juliette Gouesnard

Vous avez-dit une exposition sur le racisme en 2017 ?

Ce n’est pas la première fois que le Musée de l’Homme traite ce sujet. Nous et les autres, est en quelque sorte la mise à jour de l’exposition Tous parents tous différents, qui ouvrait en 1992. A quoi sert une exposition sur le racisme en 2017 ?

Pour les scientifiques, du côté de la génétique, il n’y a plus rien à apprendre – les races humaines n’existent pas – d’un point de vue sociologique, il nous reste à comprendre d’où vient le racisme. C’est ce que ce propose de faire le Musée de l’Homme avec cette nouvelle exposition.

L’exposition propose donc une lecture sociologique du racisme tout en rappelant les données biologiques, génétiques et historiques qui participent à démontrer l’irrationalité des fondements du racisme. L’exposition décrypte ainsi les trois étapes menant au racisme : la catégorisation, l’essentialisation et la hiérarchisation. Une exposition de société, engagée, mais pas moralisatrice ; c’était tout de même le risque avec pareil sujet ! Le Musée de l’Homme ne se positionne pas en donneur de leçons, il propose une lecture strictement scientifique et factuelle. L’exposition est une démonstration toute en élégance, qui titillera les esprits.

Beaucoup d’idées, peu d’objets. Comment rendre attractif une exposition dossier ? Le défi n’était pas évident, mais il est relevé ici avec brio. L’expérience de visite par l’immersion, c’est le parti pris de l’exposition, grâce à une scénographie signée par l’atelier Confino. Des mises en scènes tantôt classiques mais souvent surprenantes favorisent l’aspect ludique, ce qui n’était pas gagné d’avance. La scénographie s’empare des lieux de la vie de tous les jours (la salle d’attente d’un aéroport, le salon d’un appartement, la terrasse d’un café, ou une rue…) et l’exposition s’amuse avec le visiteur en le confrontant à lui-même et aux autres.

L’expérience de visite, la carte gagnante !

Curieuse, je me suis prêtée au jeu, voici mon expérience de visite :  L’exposition débute par une première partie,  « Moi et les autres, de la catégorisation à l’essentialisation ». Une projection à 260° scanne des passants dans des scènes quotidiennes (aéroport, métro, terrasse de café, etc.), introduisant, l’air de rien, les espaces scénographiques à venir. Toutes les typologies de catégorisations y passent : femme/homme ; origine culturelle, nationalité, milieu social etc. Cet espace introductif me met d’entrée de jeu dans le sujet ! Nous sommes plusieurs dans l’espace, les gens se regardent, le malaise est un peu palpable tout de même ! Le sujet n’est vraiment pas facile ! 

Exposition Nous et les Autres – Salle introductive © Juliette Gouesnard

2 0 8Je poursuis ma visite et entre dans le premier espace immersif, une salle d’attente d’aéroport. Je m’interroge. Pourquoi un aéroport ? Je me revois, attendant mon vol, et pour patienter, observer les voyageurs et imaginer ce qu’est leur  vie…tout ça dans ma tête bien sûr ! Mais, dans ces moments-là, sur quoi se fonde mon imagination, des préjugés peut-être ?

Avant de m’installer sur un banc pour tester les bornes, je m’arme des définitions nécessaires pour appréhender la suite (Altérité, Assignation identitaire, Catégorisation, Discrimination, Essentialisation, Ethnocentrisme, Préjugé et Racisme). Une fois sur les bornes tactiles, je suis plus sceptique, je m’attends à des jeux, mais ce sont des tests où les réponses sont déjà orientées… je nevois pas forcément le sens de l’exercice, n’ayant pas la main sur les réponses, je reste un peu sur ma faim.

Je quitte l’espace en traversant les portiques d’aéroport, à mon passage, une voix me lâche un petit préjugé : « Tu ne sais pas danser c’est clair ! ».

Exposition Nous et les Autres – L’aéroport des préjugés ©Juliette Gouesnard

Amusée, néanmoins un peu vexée (ha ha), j’entre dans la seconde partie de l’exposition, « Race et histoire ». La scénographie est plus conventionnelle. Je me concentre sur les deux chronologies illustrées d’objets rappelant les grandes dates de l’histoire de l’esclavagisme à la racialisation, tout est plutôt clair. J’entame la suite du parcours, il s’agit de trois exemples de racisme institutionnalisé. La scénographie systématisée, sobre et épurée, voir même austère, m’invite presque au recueillement. La ségrégation aux Etats Unis, le nationalisme des nazis et le cas du génocide au Rwanda sont relatés avec beaucoup de sobriété et de simplicité. Un film très synthétique et très fort, un ou deux objets symboliques et une citation au mur, la juste mesure, point trop n’en faut, le contenu étant déjà très chargé émotionnellement.

Exposition Nous et les Autres – Races et Histoires © Juliette Gouesnard

 

Après ce rappel historique, l’exposition propose un « Etat des lieux » très complet d’aujourd’hui où toutes les questions sont permises :

« Si les races existent chez les chiens, pourquoi pas chez les humains ? Si les races n’existent pas, pourquoi les gens sont-ils de couleur différente ? Le racisme, c’est seulement contre les noirs et les arabes ? … »

Si ces questions nous paraissent choquantes, le Musée de l’Homme sans aucune crainte, les pose en grand et en gras ! Elles introduisent, semble-t-il, la dernière partie qui nous donnera sûrement des éléments de réponses. En continuant mon chemin, j’arrive devant un rideau de rubans d’ADN. Le ton est donné, les premiers éléments seront scientifiques, et c’est la génétique qui en répondra. Derrière le rideau coloré, je découvre un mur très graphique au vocabulaire des codes de la génétique. J’expérimente un petit jeu interactif très instructif « Ce que l’ADN dit de nous… ». Puis je m’installe devant les deux films d’animations très didactiques sur les données apportées par la génétique. J’y apprends par exemple, qu’entre tous les êtres humains, 99.9 % du génome est identique, ainsi les différences sont trop faibles pour parler de « races ».

Exposition Nous et les Autres – Mur de questions (gauche) et Génétique et populations humaine (droite) © JulietteGouesnard

           

Continuons la visite. J’entre dans la salle suivante, là encore le ton est donné dès le premier regard, me voilà arrivée dans une véritable DataBase ! Un mur jaune vif, rempli de données : des chiffres, des graphiques, des textes, des illustrations, des cartographies... Un peu rebutant au premier abord au vu de la densité d’informations ! Mais en prenant les choses une par une, on s’y retrouve. Ces données nous renseignent sur la situation en France : quelles formes de racisme ? Qu’en est-il de l’intégration ou du communautarisme et de la discrimination ? Malgré le nombre d’informations, certaines données retiennent mon attention comme ces chiffres plutôt encourageants : « 93 % des enfants d’immigrés se sentent français ».

Exposition Nous et les Autres – Etat des lieux en France © Juliette Gouesnard

C’est en cogitant sur toutes ces données que j’entre dans la pièce suivante, un salon d’appartement, télé allumée. Lascénographie est amusante, l’allusion est réussie ! Je m’installe sur les assises du salon et je comprends assez vite que l’exposition fait un arrêt sur images et décrypte les logiques médiatiques et politiques. L’ambiance dans l’espace est assez conviviale, on échange des sourires ou des regards atterrés avec d’autres visiteurs, quelques minutes de plus et on se serait mis à débattre !

Exposition Nous et les Autres – Décryptages © Juliette Gouesnard

Je sors du salon télé et voilà que je me retrouve à la terrasse d’un café ! L’illusion est parfaite ! Je m’installe à une table, j’ai presque l’impression qu’on va me servir un expresso ! Mais non… mon espoir retombe et mon attention se recentre sur la petite vidéo intégrée subtilement au décor. Elle présente des entretiens entre un journaliste et des scientifiques à une terrasse de café. Le son n’étant pas au top (mais excusé par les aléas du premier jour d’ouverture de l’exposition), je ne m’attarde pas.

Exposition Nous et les Autres – Controverses © Juliette Gouesnard

Je passe alors entre les lettres géantes lumineuses bleues, formant le mot EGALITE et je me crois dans la rue. Au mur, une œuvre urbaine de Patrick Pinon, issue de sa série Vivre Ensemble[1], et en face de moi, une projection de foules marchant à l’unisson pour la paix. Une jolie fin pour l’exposition, qui me laisse un sentiment d’espoir et de confiance en l’humanité !

Exposition Nous et les Autres – La ville-monde © Juliette Gouesnard

           

Conclusion de cette expérience de visite : je suis véritablement passée par toutes sortes de stades émotionnels ! D’abord la remise en question personnelle qui s’ensuit par l’émotion face aux témoignages de l’histoire, puis des interrogations des plus sensées aux plus idiotes, laissant place à des réponses plus terre à terre et scientifiques, puis je me suis interrogée sur notre société, je me suis laissée surprendre par des données dont je n’avais pas idée, et après avoir laissé mon esprit critique s’exprimer, c’est avec l’espoir et l’envie de combattre que je quitte cette exposition, l’envie d’y croire et d’en parler autour de moi et  d’écrire cet article sur l’exposition pour L’Art de Muser !

Je tire mon chapeau au Musée del’Homme !

Si le Rapport de la Mission Musées du XXIème siècle[2] rendu en février 2017, était une charte, le Musée de l’Homme pourrait en être l’un des premiers signataires !

Rappelons le chapitre positionnant le musée du XXIe siècle comme un musée éthique et citoyen, et l’évocation d’un « Manifeste pour un musée humaniste »  qui d’abord, « ouvrira largement l’univers des musées à la société contemporaine, en donnera les clés d’interprétations et permettra des ponts entre les cultures ». Puis« formalisera que chacune des actions du musée, chacun des services s’inscrit dans un cadre plus vaste reposant sur des valeurs (liberté, tolérance, humanisme, ouverture au débat…) qui dépassent les critères strictement matériels et représentent les idéaux de la République et du vivre ensemble. » Avec Nous et les autres, le Musée de l’Homme signe une exposition citoyenne, « une exposition engagée, pas militante …des faits, rien d’autres. » [3]

Voilà un exemple d’exposition qui donne du sens aux musées ! Une exposition dossier, sur un sujet brûlant de société, qui soulève aussi des tas d’interrogations… Comment le public recevra cette exposition ? Quels publics viendront la visiter ? Le risque est que ne vienne qu’un public déjà acquis au sujet. Le défi n’est pas évident ! Il faut peut-être espérer que les institutions scolaires s’emparent de l’exposition pour sensibiliser les plus jeunes. Enfin, en pleine campagne présidentielle, quels risques pour l’exposition de devenir un outil politique ? Le Musée de l’Homme saura-t-il s’en prémunir ?

Juliette Gouesnard

#expositionengagée#expériencedevisite#Muséedel'Homme

Le site de l’exposition :

http://nousetlesautres.museedelhomme.fr/

L’expérience Chrome : https://www.youtube.com/watch?v=VjFfJGBZMV4


[1] http://www.festivaldupeu.org/all/artistesdupeu/pinon.html

[2] http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/174000177.pdf

[3] EvelyneHeyer, anthropologue au Musée de l’Homme et commissaire scientifique del’exposition.