Si la littérature fait couler beaucoup d’encre, elleest aussi capable parfois de donner corps à un récit vivant dans un lieu d’exposition. A mi-chemin entre roman policier, théâtre et poésie « Verlaine –cellule 252 Turbulences poétiques » semble bien être une exposition sur une figure littéraire comme on en attendait depuis longtemps. Sujet peu exploité par les commissaires hors les maisons d’écrivains et la BNF, le littéraire et le genre poétique s’accordent une place de choix pour l’événement culturel de l’année « Mons 2015, capitale européenne de la culture ». Avec Verlaine en tête d’affiche, la ville de Mons rend hommage à son plus célèbre détenu...

 

Exposition "Verlaine - Cellule 252 Turbulences Poétiques"

 


Portrait de Paul Verlaine de profil par Jehan Rictus, dessin; 1895 © Bibliothèque Royale de Belgique

 

Quand un musée consacré aux beaux-arts s’empare d’un des épisodes les plus célèbres de la littérature française.

Exposer le littéraire ?

La forme biographique apparaît, au premier abord, par nature incompatible avec le format exposition qui s’attache à démontrer, argumenter, révéler et justifier le parti-pris d’un discours. Exposer le littéraire est une démarche délicate qui consisterait donc à extraire une quintessence de l’œuvre et de la vie de l’écrivain. En ce sens, l’exposition de Mons tend à donner au public une « idée » plutôt que de se tenir à une «connaissance » de l’esprit verlainien. Si l’exposition vise à retracer les liens étroits qu’il a tissés avec la Belgique, le cœur du propos vise surtout à mettre à nu la passion déchirante entre Verlaine et Rimbaud. Point de départ d’un récit à tension dramatique où est mise en scène une destinée humaine : celle d’un poète luttant entre Éros et Thanatos. En soi, un beau geste muséal des commissaires. 

La symbolique du geste meurtrier, pré-texte d’un destin littéraire à expographier

Plus qu’un objet en soi, le revolver, c’est la symbolique du geste du tir qui prend tout son sens et constitue le cœur du récit de l’exposition. Par cette articulation du discours, on se positionne nécessairement dans un avant et un après. Comment rendre lisible spatialement et esthétiquement cette histoire ? Digne d’une enquête policière sans qu’elle y ressemble pour autant, l’exposition met en exergue comme toile de fond le décor d’une dispute à l’origine d’une relation passionnelle meurtrière avec comme pièce à conviction le fameux revolver Lefaucheux ; objet de collection retrouvé à l’occasion pour l’événement. 

Exposé dans une vitrine bien close, il repose telle une relique dans la 3ème section du parcours. Même si le traitement scénographique tend à fétichiser le revolver, on peut être satisfait que la muséographisation de cette dispute ne soit pas passée par des reconstitutions vidéos montrant la scène du crime rejouée par des acteurs ! Ce « geste » marque de son empreinte notre esprit, mais cet épisode ne se veut pas exclusif, nous sommes invités après une présentation biographique de Verlaine à traverser sa vie tumultueuse partagée entre écriture, passion, folie, errance, déchéance et résurrection.

Le revolver Lefaucheux de Paul Verlaine, vers 1870 © Coll. Privée

 

L’écrit démultiplié sous toutes ses formes

Comment redonner une place majeure à l’écrit quand celui-ci est de plus en plus stigmatisé en contexte muséal ? Cette tendance actuelle qui vise dans les expositions à mettre moins d’écrits préserve l’unité du discours. Loin de vouloir organiser le propos comme un livre, l’objectif est, au contraire, de le décloisonner de son rôle classique pour le diffuser autrement, en lui donnant une forme graphique la plus adéquate au contenu textuel dans un état d’esprit proche du poète.

Tout au long du parcours proposé, l’écriture occupe une grande place dans l’espace. Ici les mots retrouvent leur plénitude expressive et émotionnelle dans une scénographie rythmée savamment travaillée, privilégiant des installations textuelles visuelles et sonores. L’écrit et la poésie se trouvent magnifiés quels que soient le support utilisé et l’endroit où ils sont inscrits et positionnés : citations et épistoles sur les murs, frise chronologique,  mots aimantés sur des tableaux magnétiques, manuscrits inédits dans les vitrines (lettres échangées entre les deux poètes), documents numérisés intégrés dans des tablettes tactiles… sans oublier les petits poèmes imprimés à emporter chez soi … l’écrit a une plasticité, ici déclinée. 

Quand l’écrit suggère l’oralité

Exposer des vers : la poésie verlainienne est là pour nous rappeler la puissance langagière de ce genre littéraire. En lisant tous ces fragments de poèmes sur le mur, le visiteur seul ou accompagné peut à loisir se les répéter à voix haute : l’exposition permet l’oralité. De ce point de vue, exposer l’écrit devient un sujet passionnant. Tel peut être notre curiosité satisfaite en (re)découvrant les épistoles de Verlaine comme on aurait pu le faire avec l’argot  de Céline! Muséographier le littéraire revient donc à exposer une langue grâce à sa retranscription spatiale.

A travers toutes ces composantes textuelles réunies dans l’espace d’exposition, ressort l’esprit plus que la figure littéraire du poète. Nous pouvons nous rendre compte ainsi d’une puissance créative à l’œuvre en train d’éclore. Mettre en espace la poésie et tous ces sentiments connexes, c’est donner une certaine idée de la représentativité du monde de Verlaine. En sortant de cette exposition, l’effet souhaité désiré est de se trouver plus proche du poète en partageant sa sensibilité. C’est ainsi que l’on échappe à une vision trop fétichiste du personnage.

Anamorphose de Paul Verlaine 

La section « épilogue » constitue le dernier tempsfort de l’exposition : la figure de Verlaine se décompose en anamorphose pour laisser place à ses écrits. Et le public est convié à prolonger la plume de Verlaine en recomposant les poèmes. 

 Section 11 "De la poésie avant toute chose" © Sandra Pain

 

Les grands hommes partent mais les écrits restent

...Et le travail d’écriture continue hors-les-murs du musée en investissant façades et sols des rues de la ville. Sur une longueur de 10 km, le visiteur peut s’offrir une lecture urbaine méditative et cela en revenant tant qu’il le souhaite sur ses pas pour savourer une dernière fois...ici, la beauté d’un vers bien placé, ou là, la résonance d’une syllabe bien trouvée.

 Ce projet baptisé “La Phrase”, a mobilisé sur le terrain pendant un an, une équipe de graphistes et de documentalistes. Jour après jour, ils ont peint et calligraphié avec soin sur le sol ces milliers de lettres. Belle métaphore de l’errance et de la liberté qui relève d’une prouesse expocitégraphique. 

Sandra Pain 

Pour aller plus loin :

 www.mons2015.eu/fr/paul-verlaine-à-mons

          http://www.latribunedelart.com/exposition-verlaine-cellule-no-2-turbulences-poétiques

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