À poils et à plumes. L’exposition présentée jusqu’au 9 juillet au Musée de Flandre de Cassel propose de se pencher sur la question de l’utilisation de l’animal dans l’art ancien et contemporain.

 

Marie-Jo Lafontaine, I love The World / Can you hear me ? 2006, Duratrans - Studio Marie-Jo Lafontaine

 

1 8Pour ce faire, neuf artistes belges ont été invités à dialoguer avec les maîtres flamands présents dans la collection du musée. Une initiative aux multiples possibilités, car en passant de la représentation à l’utilisation de l’animal, l’art contemporain a opéré une rupture majeure.

Le texte d’introduction de l’exposition annonce clairement ce dont il retourne : le point commun de tous ces artistes, c’est la matière animale. Pourquoi les artistes choisissent-ils ce matériau si particulier ? Quels en sont les enjeux ? Quel sens y mettent-ils ? Autant de questions délicates mais intéressantes que l’exposition promettait d’aborder via des œuvres tantôt poétiques, engagées, en tous les cas troublantes. L’animal comme matière artistique : un sujet qui donne matière à penser !

Texte d'introduction de l'exposition © A.L 

Le casting est en tout cas au rendez-vous :  les pièces sont fortes, troublantes, glaçantes, belles et poétiques. De ce point de vue-là, on a ce que l’on est venu chercher et c’est un bel exploit d’avoir réuni toutes ces œuvres. Mais tout l’enjeu pour nous résidait dans la mise en place d’un discours, d’un liant entre ces œuvres qui vienne les questionner, les triturer, les rassembler, les opposer, bref, les faire parler.

Au cas par cas, le dialogue entre les différentes époques fonctionne. Le plus souvent, le lien entre les œuvres repose sur des analogies formelles ou thématiques. Par exemple, les sept hiboux Messagers de la Mort décapités font écho à des scènes de chaos et de jugement dernier. Pas de traces d’un quelconque animal dans ces gravures car c’est la thématique qui importe ici. 

Vue de l'exposition, premier plan : Leda, engel van de dood, arrière-plan : Peeter Boel, Nature morte de chasse avec un cygne © J.L

Mais ce type de rapprochement est en fait assez rare dans l’exposition, et pour cause : il est plus difficilement perceptible. On lui a préféré les rapprochements formels. Ainsi, la Leda, engel van de dood (ange de la mort) de Jan Fabre figure auxcôtés d’une Nature morte de chasse avec un cygne de Peter Boel. Ces parallèles iconographiques dans la présence du cygne sont immédiatement perçus par le spectateur, et ce quelle que soit son habitude de l’art ou des musées. Ils trouvent toute leur pertinence dans le cas de lieux comme celui-ci qui n’accueillent normalement pas d’œuvres contemporaines. Ils permettent au visiteur non habitué de se raccrocher à ce qu’il connait, de rapprocher les différentes pièces et ainsi de commencer à se les approprier. Mais si ces rapprochements permettent d’apprécier les liens entre art ancien et contemporain et de voir la constante réactualisation des mêmes sujets, qu’en-est-il du thème de l’exposition ? Que cherche-t-on à nous dire ?

Il est très difficile de répondre à cette dernière question, en partie parce que les murs de l’exposition sont totalement dépourvus d’écrit. Hormis le texte introductif et les cartels, le visiteur ne trouvera ni titre de sections, ni explications. Aussi, même si certaines salles semblent faire ressortir des thèmes généraux (la mort, l’alimentation), il est très difficile de percevoir où le parcours nous conduit. Aucun axe de réflexion n’est mis en avant, on déambule de salle en salle, se confrontant à telle ou telle œuvre, en comprenant le plus souvent les liens qui l’unissent aux autres.

Vue de l'exposition, au premier plan Patrick Van Coaeckenbergh, Le Cheval ; arrière-plan :Jan Fyt, Le Marché aux poissons© A.L.

Est-ce que le livret d’exposition disponible à l’accueil propose une alternative ? Oui et non. S’il comprend bien des notices pour chaque œuvre, elles ne semblent pas spécifiquement adaptées au thème de l’exposition et passent parfois complètement à côté. Pour exemple, une salle du musée présente des œuvres de la collection liées au thème du repas, de la nourriture. En plein milieu de cette salle trône Le Cheval de Patric Van Caeckenbergh, une sculpture entièrement réalisée de boîtes de conserves. Un animal fait d’un amoncellement de bocaux alimentaires, le tout dans une salle liée à l’alimentation, on est en droit de se dire que l’artiste tient là un propos militant attaché aux thèmes de la nourriture et de la consommation. Pourtant la notice n’y fait pas du tout mention. Elle ne s’attarde pas sur le choix symbolique du cheval, ni sur la démarche de l’artiste dans le cadre de cette œuvre précise. Comment, pourquoi et quid de la question de l’animal ? Les notices survolent le thème de l’exposition sans le creuser.

Vue de l'exposition, au premier plan : Berlinde de Bruyckere, InFlanders Fields, 2000 © A.L.

À dire vrai, quand nous sommes sorties de cette exposition, nous étions ravies ; ravies d’avoir pu découvrir ce beau musée, d’avoir pu voir ces pièces d’artistes renommés. Nous nous sommes laissées emportées par le mysticisme des œuvres de Jan Fabre, la violence glaçante de l’installation de Berline de Bruyckere, la poésie de l’œuvre de Thierry Cordier ou la vision engagée de Michel Vanden Eeckhoudt.

Et puis nous avons essayé de mettre des mots sur notre expérience de visite. Or la seule chose qui nous restait, c’était un catalogue d’œuvres. Mais au fond qu’en est-il de cette question de la matière animale ? Que peut-on dire de plus à ce sujet après avoir vu l’exposition ? Quels en étaient les partis-pris ? C’est une situation récurrente dans bien des musées d’art et qui pose la question de l’enjeu d’une exposition et de ce que l’on attend d’elle. Ici, nous avons pris du plaisir - à coup sûr - , mais nous aurions aussi aimé réfléchir.

Car il y avait tant de choses à dire et à faire. À l’heure où les consciences s’éveillent de plus en plus à la condition animale, les usages contemporains posent nécessairement question. Peindre un animal ou utiliser sa peau, sa graisse…, les enjeux ne sont définitivement pas les mêmes. Nombreux sont les artistes actuels à s’emparer de ce matériau, ce qui ne manque jamais de soulever de vives réactions. Parce que ces démarches charrient avec elles des questions éthiques, esthétiques et sociétales à commencer par celle-ci : qu’est-ce que l’on est en droit de faire au nom de l’art ?

Sans doute que les pièces choisies par le musée ne permettaient pas d’aller si loin dans le discours, mais il est dommage qu’elles n’affleurent pas davantage. Ce sont des questions délicates, probablement difficiles à aborder dans un musée, plus encore à assumer et ce n’était visiblement pas le parti-pris choisi de questionner la condition animale. Mais peut-on vraiment parler de l’animal comme médium artistique en évacuant complètement ces interrogations ?

Reste que l’exposition réussit à marier les styles et les époques, rappelant que l’art ancien se trouve constamment réactualisé dans les créations actuelles.Ceux qui cherchent matière à réfléchir sur cette condition animale seront sûrement déçus quand d’autres, souhaitant surtout se laisser happer par les œuvres, y trouveront leur bonheur.

Et pour ceux d'entre-vous qui se demandent où se trouve Cassel et ce que l'on peut bien y faire, je vous invite à aller parcourir l'article de Joanna qui vous raconte notre périple à travers la flore casseloise : http://lartdemuser.blogspot.fr/2017/06/museo-transpi.html .

Annaëlle Lecry

#artcontemporain

#conditionnimale