Entre temps… Brusquement et ensuite : tel est l’énigmatique titre de la 12ème édition de la Biennale internationale d’art contemporain de Lyon.

Le commissariat de l’exposition a été confié à Gunnar B. Kvaran, invité par Thierry Raspail à venir coproduire l’événement…et quel évènement ! Jeff Koons, Yoko Ono, Fabrice Hybert ou encore Dan Colen ont été conviés mais c’est aussi toute une nouvelle génération d’artistes qui s’expose dans le cadre de cette nouvelle biennale. Gunnar B. Kvaran a choisi de développer cette année le thème du Récit à travers la thématique de la Transmission, fil conducteur qui traverse les biennales depuis trois années.Soixante-dix-sept artistes venus du monde entier ont débarqué à Lyon pour venir nous raconter leurs récits, leurs histoires tantôt plaisantes et amusantes, tantôt mélancoliques et révoltantes, tantôt scabreuses et déroutantes…

Visiter la Biennale d’art contemporain ? C’est d’abord une affaire de temps. Dispersée sur cinq lieux à travers la ville, le visiteur est amené physiquement à se déplacer dans la capitale des Gaules pour découvrir les espaces par métro, vélo, auto et même par bateau [1]!L’exposition consiste en un parcours, en une sorte de chasse aux trésors où les merveilles seraient les œuvres. Sont à découvrir l’exposition internationale, dispersée au sein du Musée d’art contemporain (Lyon 6e), de l’espace d’exposition La Sucrière(Lyon 2e), de la Fondation Bullukian (Lyon 2e) auxquels s’ajoutent deux nouveaux espaces insolites : l’église Saint-Just et la Chaufferie de l’Antiquaille (Lyon 5e) mais pas seulement !

Résonances et Veduta, les deux autres plateformes de la Biennale, associent de nombreuses galeries et institutions de la ville,de la région et du pays pour faire « résonner » l’exposition dans d’autres lieux mais pas seulement ! Une soixantaine de particuliers ont été sollicités, habitant Lyon et sa périphérie, pour exposer au sein de leurs maisons et appartements des œuvres des artistes de l’exposition internationale.Les habitants peuvent (ou non) ouvrir leur lieu de vie transformé, le temps de quelques mois, en espaces d’exposition insolites. L’idée me semble amusante et décalée : ces citoyens lyonnais deviennent les gardiens, les protecteurs et les médiateurs des œuvres. Les regards qu’ils peuvent proposer sur les pièces doivent être extrêmement intéressants, mais je doute que de nombreux visiteurs disposent de temps suffisant pour contempler ces œuvres chez des inconnus. En outre, l’ouverture de ces «annexes d’exposition » dépend des initiatives individuelles. Savoir où ces œuvres sont disséminées se révèle particulièrement complexe.

Installation,Tavares Strachan, 2013© Buriedatsea.org

 

Visiter la Biennale ? C’est un peu comme se lancer dans la lecture d’une nouvelle… mais une nouvelle visuelle écrite à soixante-dix-sept mains. Les artistes narrent des histoires, des fictions brèves mais intenses, souvent inattendues et dérangeantes qui viennent perturber le spectateur. Comme à la lecture d’une nouvelle, il faut prendre du temps pour découvrir les lieux de l’action, s’imprégner des ambiances pour se plonger entièrement dans l’univers et dans l’imaginaire des histoires qui nous sont proposées. Les formes artistiques sont multiples : vidéos, installations, performances… Chaque artiste relate une histoire parfois haute en couleurs, drôle, imaginaire, spectaculaire, onirique, personnelle ou collective. Parmi les œuvres les plus marquantes de cette biennale, Tavares Strachan raconte dans son installation le récit visuel de la vie de Sally Ride, première femme américaine cosmonaute, oubliée par l’Histoire puisqu’elle était homosexuelle et donc trop peu dans les normes pour devenir une icône américaine. Une superbe sculpture de néon suspendue dans les airs rend superbement hommage à cette femme effacée des mémoires collectives.

God Bless America, Erró,  2003-2005 © Esbaluard.org

 

Les artistes de la Biennale racontent aussi notre Histoire, celle avec un grand H. Au rez-de-chaussée de la Sucrière, Erró expose God Bless Bagdad, un immense tableau en noir et blanc dont le titre fait écho à la célèbre phrase God bless America lancée par Georges W.Busch au moment du déclenchement de la guerre en Irak. Dans une scène apocalyptique à la fois dramatique et ironique, Saddam Hussein côtoie un Georges W Bush déguisé en Captain America mais aussi une caricature de Ben Laden, des héros tirés de comics comme Hulk, le Joker et une pléthore de squelettes-soldats. L’horreur de la guerre côtoie l’humour et rejoint l’ultra-violence des personnages de bande dessinée.

The Great Art History, Gustavo Speridião, 2005-2013 crédits : Astrid Molitor

 

L’artiste brésilien Gustavo Speridiãoré invente dans son œuvre The Great ArtHistory les grands jalons de l’Histoire de l’Art en une série d’images imprimées sur des feuilles A4 où il juxtapose une image d’actualité, ou une image reconnaissable de tous, avec un titre évoquant les grandes mouvances de l’Histoire l’Art occidental. Les résultats sont très drôles, absurdes mais souvent tragiques. Les références se mélangent, s’amalgament en une fascinante installation qui rappelle le caractère profondément construit des grands mythes de notre Histoire.

My Mummy was beautiful, Yoko Ono, 2013 crédits : Astrid Molitor

 

Dans un registre plus poétique, les spectateurs sont amenés à se raconter à travers l’œuvre My Mummy was beautiful,œuvre touchante de l’artiste japonaise Yoko Ono où le visiteur est invité à inscrire sur les murs de la Sucrière un souvenir, un mot, une pensée pour toutes les mères du monde. Le spectateur devient acteur…ou plutôt conteur. Yoko Ono a d’ailleurs lancé durant toute la durée de la biennale une œuvre collaborative[2], où chaque personne peut raconter son rêve d’été : ces souvenirs d’un moment éphémère sont affichés de façon aléatoire sur l’un des murs de la Fondation Bullukian.

Cette sélection « coup de cœur » d’œuvres présentées dans cet article ne donne qu’un aperçu de tout ce que vous allez pouvoir découvrir lors de votre passage à la Biennale.  Entre-temps, brusquement et ensuite estune exposition qui surprend, bouscule et questionne le spectateur. Je me suis quelque fois sentie un peu perdue face à la multiplicité des œuvres, des propositions et des discours. Ne cherchez pas « Le » sens des œuvres exposées, ils sont multiples et le plus intéressant sera celui que vous leur donnerez. L’exposition était, pour moi, comme un grand livre ouvert à parcourir : il fallait passer d’une histoire à une autre et découvrir des univers extrêmement différents. Le nom de cette nouvelle Biennale est particulièrement bien choisi. Sonnant comme l’accroche d’une intrigue de fiction, Entre-temps, brusquement et ensuite est en quelque sorte le commencement de l’histoire pour le spectateur : cet étrange titre suscite l’interrogation, la perplexité mais aussi l’imagination. Chaque visiteur peut, ainsi, créer sa propre histoire à partir de ces opérateurs de récit.

Les artistes de la Biennale vont vous raconter des récits, certes, mais cette exposition permet également une profonde réflexion sur la nature de ces histoires, car elles ne sont pas toutes bonnes à entendre comme nous l’a montré l’artiste Erró avec son œuvre God Bless Bagdad… Et ensuite ? Il ne vous reste plus que quelques semaines pour venir explorer cette 12èmeédition, ouverte jusqu'au 5 janvier 2014. Une occasion à ne pas manquer !

 

Astrid Molitor


[1] Il est en effet possible de relier les différents lieux de l’exposition grâce à des navettes fluviales ! http://www.rhonetourisme.com/fetes-evenements/ce-week-end/navettes-fluviales-speciales-biennale-d-art-contemporain-de-lyon-390789/


[2] http://onosummerdream.com/

Liens et informations pratiques :

- Site de la Biennale : http://www.biennaledelyon.com/

- Carte présentant les différents lieux de l’Exposition internationale (GoogleMap) :

A= Le Musée d’art contemporain

B= La Sucrière

C= La Fondation Bullukian

D= L’Église Saint-Just