Une expérimentation du champ des possibles

Un portrait atypique : Hans Ulrich Obrist alias H.U.O

Hans Ulrich Obrist, d’origine suisse est l’une des personnalités de la scène internationale qui a le plus marqué la dernière génération des commissaires d’exposition. Curateur, il est aussi critique et historien de l’art. Partant de l’idée que le curator a pour but de « faire surgir l’art où on l’attend le moins », H.U.O a imaginé et conçu dans sa carrière des expositions sous toutes ces formes, venant bouleverser les codes préalablement établis. Dans la cuisine, dans une chambre d’hôtel, dans un avion et même dans une poche ou une valise… le « format exposition » peut se décliner à l’infini ! Dans cet ouvrage, l’auteur nous transpose littéralement dans son univers de curator expérimenté.

La vision d’un curator-magicien

Tel un magicien voulant révéler les mystères du monde et en expliquer les phénomènes, le curator prend possession d’une idée qu’il cherche à matérialiser en lui donnant une forme puis une vie. Chercher à créer une histoire qui n’existe pas encore et qui plus est, souhaite s’inscrire dans le registre surréaliste, apparaît comme un véritable challenge. En ressassant plusieurs fois l’idée, il vise à lui donner une identité, un visage, une signification qui va pouvoir se concrétiser matériellement dans le réel. Le soin pour donner vie à une idée est un travail de curation. Ça tombe bien parce-que curator ne trouve-t-il pas son origine dans le verbe « curare » qui veut dire « prendre soin de » ?

                     Tout le curating est une question de dosage et d'équilibre !

Hans Ulrich Obrist

Combien créer les conditions de possibilité de partager entre le public et les artistes une émotion inhabituelle, apparaît enrichissant ! N’est-ce pas de la magie que de « mettre des gens en relation qui ne se seraient jamais rencontrés dans les cadres habituels de la production des savoirs » ? L’art contemporain peut permettre cette alchimie. Passionné par les potentialités créatives qui sommeillent en chaque homme, H.U.O. fait du curating une voie tracée pour donner du sens à la plus petite insignifiance. Tout à la fois essai sur la vie, l’art et le hasard, ses confessions relatées nous invite à une ballade poétique et philosophique autour de l’univers des expositions. « Les voies du curating » se présentent chez l’auteur comme l’aboutissement d’une vocation.

Afternoons  Nap,1986 (c) Peter Fischli et David Weiss, Zurich, 2010

L’exposition est un humanisme …          

Le choix de cette vocation peut apparaître comme la promotion d’une certaine forme d’humanisme. Réfléchir sur ce qui pourrait faire l’objet d’un épanouissement pour notre « être » se retrouve dans l’idée et la grandeur que nous nous faisons de l’art et de la culture. L’exposition en tant que monde à construire stimule notre intérêt pour échanger, dialoguer et vivre des émotions multiples. En somme, l’exposition comme médium chez Hans apparaît comme le moyen de surprendre l’homme en lui proposant de vivre des expériences artistiques uniques.

La question centrale du format des expositions

L’exposition en soi, n’est pas un modèle figé,  elle se métamorphose ; il y a un exercice intéressant à faire qui consisterait à réaliser des expositions comme si on éprouvait la sensation à chaque fois d’avoir fait une découverte scientifique novatrice qui vienne chasser la précédente, désormais devenue désuète. A inventer ses formats de l’exposition et donc s’interroger sur ses multiples natures et supports.

« Dans leurs formats, les expositions sont souvent trop figées ; elles ne sont pas assez novatrices dans leur appréhension de l’espace ou du temps ». L’idée doit pouvoir être flexible et ne pas se limiter dans un cadre spatio-temporel trop défini à l’avance. Non plus intégrées au sein d’un espace fixe, les expositions peuvent se décliner sous plusieurs formes, matérielles et même immatérielles : les entretiens enregistrés devenant ainsi une archive sonore d’exposition proche de l’ethnographie (Exemple de l’entretien informel de Joseph Beuys portant sur le thème de l'art comme science de la liberté et de la responsabilité), les non-conférences, les livres d’artiste, les biennales, les pavillons, les marathons… le panel de choix peut s’élargir à l’infini tantsont divers les supports pour s’exprimer sur un sujet précis. Ainsi un type de format d’expo correspond souvent à l’envie de rendre compte d’un sentiment précis : susciter la surprise, provoquer l’impossible, montrer l’in-montrable, donner à entendre l’innommable, juxtaposer les paradoxes, introduire le déjanté dans le sérieux…Plus que des expositions au format classique, il s’agit de créer des expériences qui viennent bouleverser notre confort intellectuel quotidien. Je vous laisse deviner ces expériences… en lisant l’ouvrage !

Mais bon quand même, même si la frustration peut être un moteur, un exemple pour la route ? “Do it”, concept d’exposition participatif inspiré par Duchamp dans les années 60, correspond à un exemple typique d’exposition où les rôles des concepteurs s’inversent ; imaginez que ce soit les visiteurs qui créent l’œuvre à partir des instructions écrites laissées par les artistes, quant à eux absents du processus créatif… Adieu les problèmes d’assurance ou de transport de l’exposition puisque l’œuvre finale sera détruite !

Sandra Pain

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