Malaise dans les musées, Jean Clair, Flammarion, collection Café Voltaire, 2007, Paris.

« Le musée aujourd’hui, pour filer la métaphore, est devenu un trou noir. Tout y entre et rien n’en sort » (1). Avec ces quelques mots de l’académicien Jean Clair, il est aisé de comprendre pourquoi  ce dernier reçut, en 2008, le Prix du livre incorrect pour son ouvrage Malaise dans les musées.

En effet, c’est au travers de 140 pages, que ce fervent historien de l’art, nous livre un pamphlet rempli de dégout et de colère envers les politiques culturelles françaises d’aujourd’hui, et regrette amèrement le temps où l’œuvre d’art, comme parée d’une auréole, ne faisait plusqu’un avec les univers religieux.

A l’instar de ses prédécesseurs, dont nous pouvons citer Quatremère de Quincy avec sa Lettre à Miranda (1796) ou encore, Paul Valéry avec Le problème des musées (1923),  Jean Clair souhaite, à son tour, confier au lecteur un désenchantement généralisé face aux musées actuels. Ses points de vue ne sont pas à ignorer ou à prendre à la légère ; n’oublions pas le rôle important de ce grand monsieur dans le monde des Arts et des Lettres : directeur du Musée Picasso à Paris durant plus de dix ans, commissaire de plusieurs expositions prestigieuses à l’échelle nationale – Mélancolie au Grand Palais (2005), ou encore Crime et Châtiment au Musée d’Orsay (2010) –, professeur d’histoire de l’art à l’Ecole du Louvre, etc..

Pourquoi un homme à l’apogée de sa carrière, aussi empreint et passionné par l’art, son histoire et les lieux qui l’abritent, se retrouve-t-il à gémir des dérives de la création artistique – la perte du « pouvoir des images »(2) –, de son écrin – la structure muséale – que l’on pourrait qualifier de boîte d’emballage ? En cela, Jean Clair dénonce une entreprisation des musées.

Le Louvre pour cible

Choisissant comme exemple frappant le Musée du Louvre, l’auteur déconcerte par ses attaques qui,  parfois, semblent hyperboliques. En reprenant la démarche de « l’empire Guggenheim », ce grand musée parisien dépose à son tour sa marque avec le projet dufutur Louvre Abou Dhabi. Conçu par l’architecte Jean Nouvel, le bâtiment ouvrira ses portes au public fin 2013 dans la capitale des Émirats arabes unis.

Le gouvernement français a pour objectif, avec ce projet de délocalisation des œuvres nationales, la création d’un musée universel (qui renvoie d’ailleurs à la vocation première du Muséum central des arts –  les origines du Musée du Louvre, ouvert à la fin du XVIIIème siècle) afin d’étendre le rayonnement de la culture française. Ce que dénonce Jean Clair, c’est la « location des œuvres appartenant aux collections publiques pour des motifs commerciaux » (3) : en effet, le Louvre Abou Dhabi recevra 750 œuvres issues des collections françaises ; elles seront prêtées durant dix ans. Cependant, l’auteur ne s’arrête pas là et il étend sa dénonciation : l’intérêt réel de ce projet serait la vente d’avions de combat. Étrangement, Jean Clair n’appuie pas son propos sur des références écrites.

L’auteur a construit son discours autour de trois parties, dont les titres respectifs – « La Simonie », « La Vaine Gloire » et « L’Acédie » – ainsi que les citations qui les accompagnent en guise d’introduction, témoignent, dès lors, d’une écriture propre à Jean Clair : technique, ampoulée, à la fois concise et verbeuse. Il ne lésine pas sur les références – plus d’une quarantaine d’auteurs, passant de Saint Augustin à Durkheim – pour appuyer ses propos, et n’hésite pas à employer un langage qui lui est bien connu, riche et complexe (les latinistes en seront plus qu’heureux, l’étymologie ayant une place d’honneur). Son texte va plus loin que ce que l’on pourrait attendre d’un écrit d’historien de l’art : Jean Clair compose un « lamento »(4). Il affirme que la rencontre avec l’art doit être impérativement basée sur la foi et rejette les œuvres d’aujourd’hui, dépourvues de sens et de beauté « Du sacré on est passé à la souillure »(5). Les musées à l’architecture froide et moderne l’écœurent, tout comme la foule de visiteurs se bousculant pour y entrer.

Jean Clair, à travers cet ouvrage daté de « Pentecôte 2007 » (6), nous confie certainement sa plus belle profession de foi.

Marie Tresvaux du Fraval 


J. Clair, Malaise dans les musées, 2007, p.88.

2. idem, p.19.

3. J. Clair, interviewé par Le Point, octobre2007.

4. J. Clair, Malaise dans les musées, 2007,p.103.

5. idem, p. 123.

6. idem, p. 140.