En plein cœur de Rouen, à quelques mètres de la cathédrale, est implanté l’Historial Jeanne d’Arc. 

De la rue le visiteur devine une architecture imposante camouflée derrière une massive façade en pierres. Deux arches délimitent l’entrée, l’entrée d’un parcours de visite peu commun mais surtout d’une expérience atypique pour le visiteur. Le site internet du musée annonce la couleur : « l’Historial Jeanne d’Arc n’est pas un musée traditionnel avec des œuvres classiques ou des objets de collection. Le parcours-spectacle spécialement créé pour vous présenter l’épopée de notre héroïne est une prouesse de technologie et d’innovation au service de l’émotion. » Une annonce prometteuse qui pose la question de savoir ce qui fait de l’Historial Jeanne d’Arc un musée “pas comme les autres”.

 

L’implantation de l’Historial Jeanne d’Arc au centre de Rouen

Statues
Installation de Christian Lapie, “Dans les ténèbres”, statues de chêne au pied de la cathédrale ©AE

 

A Rouen, le souvenir de Jeanne d’Arc s’inscrit dans différents lieux du patrimoine et du paysage urbain où elle a connu différentes épreuves : le Donjon où elle a été menacée de torture, l’Abbatiale Saint-Ouen dont le cimetière a été le lieu de son abjuration, la place du Vieux-Marché, et le palais archiépiscopal (l’archevêché) où s’est déroulée une partie de son procès.

L’Historial Jeanne d’Arc a donc été implanté dans l’archevêché qui abrite les vestiges de la salle de « l’Officialité », où a été prononcée sa condamnation en 1431, et s’est déroulé en 1456 son procès en réhabilitation. Ce bâtiment d’une grande qualité architecturale et porteur d’une identité médiévale forte, a été loué par la Métropole de Rouen Normandie pour y accueillir l’Historial. Ce dernier a ouvert ses portes en 2015. Financée par la métropole de Rouen, la restauration du bâtiment ainsi que l’implantation d’un concept muséographique inédit ont fait l’objet de travaux très coûteux.

Le lieu, attrayant de par son histoire et son architecture médiévale, présente une surface de 1 000m2 environ, le parcours de visite propose 5 étages de salles d’exposition. Les publics à mobilité réduite, les personnes âgées ou encore les familles avec de jeunes enfants ont accès aux différents espaces par un ascenseur. Cela se ressent très certainement dans les résultats de fréquentation du musée. Le concept de l’Historial semble s’adresser tout particulièrement à un public familial de par la tournure que prennent la visite et le concept de médiation. Le visiteur suit dans un premier temps un parcours spectacle et termine sa visite en autonomie pour découvrir les archives du musée.

 

Un voyage émouvant au cœur de la vie de Jeanne d’Arc : un parcours spectacle

En entrant dans l’Historial de Jeanne d’Arc, le visiteur perd rapidement ses repères. Il oublie tout d’abord son époque pour se retrouver au XVe siècle et devenir spectateur de la vie de la Pucelle d’Orléans. Cette impression de voyage historique est renforcée par la perte des repères spatiaux. Le visiteur est immergé dans un univers à part. Il en viendrait presque à oublier qu’il est dans un musée. Les salles proposent un décor de pierres brut, sans ouverture sur l’extérieur.

Le concept du musée se définit à travers un ensemble de dispositifs multimédias (le plus souvent des projections), qui viennent narrer l’histoire du personnage emblématique. Il est donc nécessaire de maintenir une atmosphère sombre pour permettre aux projections de fonctionner, et pour renforcer les aspects dramatiques et théâtraux du récit historique. Le numérique est ici au service d’un récit. Des cartes projetées au mur permettent de situer ce récit, c’est-à-dire les différentes étapes du voyage de Jeanne d’Arc. Le visiteur découvre à travers ce dispositif des tableaux sur lesquels figure l’héroïne. Tout cela est accompagné d’une narration faite par les différents protagonistes du procès de Jeanne d’Arc. Il s’agit là d’immerger pleinement le visiteur dans ce qui fut la vie du personnage emblématique de la ville de Rouen. 

Crypte
Crypte romane, XIIème siècle ©AE
Crypte
Crypte gothique, début du XIIIème siècle ©AE

 

La dramatisation de la vie de Jeanne d’Arc est véritablement le concept phare de ce parcours. Il n’y a pas de médiation physique ; le visiteur se laisse donc guider par la narration. Chaque changement de salle est minuté. Le son d’une cloche rythme la visite et invite le visiteur à passer à l’étape suivante. Il a ensuite le temps de changer de salle, de s’installer, et d’attendre que le récit se poursuive.

Comme au théâtre, chaque salle constitue une scène, avec un décor et des acteurs différents. Le récit historique de la vie de Jeanne d’Arc fait beaucoup appel aux émotions, et ce grâce à la présence d’acteurs sur les écrans. Filmé en gros plans, le visage agrandi par la taille des écrans, chaque acteur transmet une large palette d’émotions : colère, tristesse, honte, regret…

Ces personnages narrent ses différents périples mais également des éléments de sa vie d’enfant, laissant présager l’innocence de Jeanne d’Arc. Dans ce contexte, les intonations de voix sont très variées. Mais comme certaines salles résonnent, il est parfois difficile de comprendre les paroles des acteurs, ce qui a tendance à faire perdre le fil du récit au visiteur. Les différentes salles du musée participent à créer une atmosphère solennelle dans laquelle les visiteurs restent bien souvent muets, comme pour signifier leur respect envers l’histoire de Jeanne d’Arc ou bien leur intimidation face à l’architecture du lieu.

Mise en scène

Mise en scène
Mise en lumière dans la crypte gothique ©AE

 

La dernière station du parcours-spectacle constitue véritablement le point culminant de la visite… et du calvaire de la Pucelle d’Orléans. Le visiteur doit monter de nombreuses marches, pour arriver au sommet de la plus haute tour du bâtiment. En pénétrant dans la dernière salle, les stores se ferment automatiquement : le visiteur va assister à la condamnation à mort et à l’exécution de Jeanne d’Arc. A l’instar de l’accusée, le visiteur se retrouve entouré par tous les témoins du procès, présents sur de grands écrans. Les voix fusent, le visiteur doit tourner la tête dans tous les sens pour suivre le dialogue.

Le 30 mai 1431, Jeanne d’Arc est brûlée vive sur la place du Vieux Marché à Rouen. La dernière image projetée sur tous les écrans est celle de la Pucelle d’Orléans qui périt sur le bûcher, en criant “Jésus”.

Grand Comble
Le procès, Grand comble, XVIIIème siècle ©AE

 

L’utilisation du pathos par le biais du parcours-spectacle permet donc de narrer la vie de Jeanne d’Arc et ses procès. Or, ce parti-pris est risqué, puisqu’il propose de dramatiser et de théâtraliser un sujet historique déjà devenu mythe. Sur le site internet, on parle même de “l’épopée de notre héroïne”. Le terme “épopée” renvoie aux longs récits de célébration d’un héros, dans lequel se mêlent l’histoire et la légende. Ici, Histoire et mythe sont presque brouillés. L’approche du récit est donc originale, la théâtralisation, belle et bien présente, vise à attirer un public large. Cependant le terme de parcours “spectacle” utilisé précédemment est à nuancer. En effet si le concept de théâtralisation est au cœur du parcours, il permet également de diffuser des sources (archives, enluminures …) qui alimentent la visite et son contenu purement historique.

Cette approche est d’autant plus intéressante que la deuxième partie du musée, plus traditionnelle, propose un regard critique sur le spectacle de la première partie.

 

A la découverte du mythe de Jeanne d’Arc : la visite en autonomie

Mythotèque
La mythotèque ©AE

 

Dans un second temps, le visiteur découvre une muséographie plus « classique » où sont mis à sa disposition différentes ressources, objets, ainsi que des témoignages pour en savoir davantage sur le mythe de Jeanne d’Arc. Le visiteur quitte le parcours théâtralisé pour découvrir des objets de collections, appartenant le plus souvent à d’autres musées de la ville de Rouen. Il y a notamment des vues sur verre venant du Musée national de l’Education. Il y voit également de la vaisselle comportant des inscriptions et des impressions représentant Jeanne d’Arc. Des manuscrits permettent de contempler les enluminures de différentes époques. Il s’agit dans cette seconde partie de la visite d’une toute autre ambiance.

Cependant, le numérique est toujours présent puisque des témoignages projetés sur des planches de plexiglas permettent d’en savoir plus sur l’histoire de l’héroïne (et pour les plus curieux de s'interroger sur le jeu d’optique créé par ce dispositif). Cette dernière salle est d’ailleurs intéressante car elle vient rompre le rythme imposé par le parcours initial, où les visiteurs étaient contraints de suivre une visite minutée. Ils peuvent désormais s’attarder et s’informer sur certains sujets s’ils le désirent. Dans cette partie plus “traditionnelle” du musée, il y a une réelle volonté de favoriser la rencontre du visiteur avec différents protagonistes, ici ce sont les historiens. L’historien se tient face au visiteur et s’adresse à lui, ce qui crée un sentiment d’intimité.

Mythotèque
Témoignage dans la mythotèque ©AE

 

L’Historial Jeanne d’Arc peut être perçu comme une prouesse technologique au temps où les musées cherchent de plus en plus à investir dans le numérique. Chaque salle du musée comporte un ou plusieurs vidéo projecteurs orientés de telle sorte que les images projetées épousent parfaitement les formes architecturales. Au-delà de la nécessité d’avoir une maintenance quotidienne, cela implique également tout un travail de coordination pour que le parcours se fasse sans interruption. C’est probablement la maîtrise de ces dispositifs ainsi que le concept de médiation qui font la qualité d’une visite à l’Historial Jeanne d’Arc.

 

Anna Erard et Noémie Verstraete

 

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