Le Muséum d’histoire naturelle de Lille est un muséum tel qu’on aime se l’imaginer : des animaux empaillés, des squelettes suspendus, des momies… Lors de ma visite, confrontée à des êtres, autrefois vivants, exposés, je me suis alors posé une question : comment expose-t-on l’humain ?

Comment les restes humains sont-ils entrés dans les collections des musées en France ? De quelle manière sont-ils conservés et exposés ? Qui est le propriétaire de ces restes et quelles lois régissent ces « biens » ? Sont-ce des personnes ou des objets ?

De l’entrée des restes humains dans les collections

Depuis une vingtaine d’année la place des restes humains au sein des musées pose de plus en plus question. Préparations anatomiques sèches (ossement, fossile, momie) ou en fluides autant de restes présents dans les collections qui sont souvent peu renseignés.

Dès le XVIe siècle les restes humains prennent placent dans les cabinets de curiosités des collectionneurs. Au travers du prisme de l’Égypte, les archéologues se découvrent une fascination pour les momies. Un commerce dans toute l’Europe commence alors ; le corps devient objet d’émerveillement. A partir du XVIIIe siècle, le progrès de la médecine et des techniques de conservation permet l’enrichissement des collections de l’Académie. Le corps plein de mystère fascine, on multiplie les expériences comme celles des machines anatomiques du Prince Raimondo di Sangro. Du côté des musées on voit un développement des collections médicales tel qu’au muséum de Paris fondé en 1793. Du côté des universités de médecine, l’enseignement sur des supports anatomiques est préféré et les corps sont conservés à la suite de la dissection. L’expansion coloniale du XIXe siècle propulse l’étude scientifique sur les différents types de restes humains que le monde conserve et vient nourrir de nouvelles disciplines telles que l’anthropologie. Avec le recul actuel on peut se poser la question de l’acquisition de ces objets, qui souvent est plus que douteuse et relève du pillage. A partir du XXe siècle, l’accroissement des collections est moins important mais on distingue de vraies découvertes majeures faisant avancer l’histoire et la science de notre civilisation (la momie Ötzi). Depuis quelques décennies, l’intérêt pour l’homme et son corps prend un nouveau souffle grâce aux technologies de l’imagerie.

Le musée, en tant que garant de la diffusion des connaissances, se pose alors comme un passeur de savoir auprès des générations futures. Il se doit de pérenniser les collections afin de les transmettre dans le meilleur état possible. Une étude menée par le Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (C2RMF)1 a permis de recenser les restes humains dans les collections muséales. Dans la plupart des cas, les collections disposent de momies complètes ou morcelées. Si la valeur scientifique de ces restes humains semble évidente, la valeur symbolique n’est pas pour autant évacuée une fois les restes entrés dans la collection.

De la conservation à l’exposition

Les conservateurs, responsables de la pérennisation de ces restes, se doivent de proposer une conservation adaptée à la spécificité de ces collections. La diversité des types de sujets peut poser problème. Il sera difficile de proposer une norme de conservation généralisée. Dans un premier temps, il faut prévenir des dégradations physiques et chimiques. De par la fragilité des tissus, la stabilisation de l’environnement est nécessaire. Entre atmosphère trop sèche ou trop humide il faut trouver le juste milieu. Il est conseiller d’avoir une hygrométrie relative de 50% et une température entre 18-20°C. Procurer une atmosphère stable à ces collections, mêmes si elles sont diverses dans leur forme permet d’éviter une fragilisation des tissus, pouvant entrainer une dégradation irrémédiable.

Afin de conserver ces types de collection il semble indispensable de proposer des conditions de conservation idéales. Il serait d’autant plus choquant de voir une mauvaise conservation de ces restes humains. Certes se pose la question de la conservation proposée dans les réserves, mais celle adjointe dans le milieu de l’exposition n’en est pas moins importante.

Exposer les restes humains est finalement un moyen efficace de montrer le passé, le lien avec les morts ou encore saluer les recherches scientifiques. Présenter ce genre de collection n’est pas chose anodine, il ne faut pas oublier que nous n’avons pas tous les mêmes réactions face à la mort et aux corps morts. Ainsi laisser la possibilité de voir ou non, de choisir selon sa sensibilité serait la meilleure façon d’exposer. Si aujourd'hui on trouve des expositions comprenant des restes humains, elles sont toutes (ou presque) inscrites dans un discours scientifique. L’exposition Les momies ne mentent jamais… proposée par Cap Science (Bordeaux) en 2016 s’inscrivait également dans cette démarche scientifique. Le visiteur pouvait en apprendre plus sur les différentes techniques de momifications, les gênes permettant d’identifier l’origine géographique d’une personne, comment embaumer une personne ou tout simplement connaitre l’histoire des momies présentées.

 momies

 

Les momies ne mentent jamais ©cap-sciences.fr

 

La muséographie ainsi que la scénographie vont jouer un rôle prégnant dans la réception positive ou non du public de l’exposition. Tout est une question de limite de ce que l’on peut montrer et de comment on le montre. Afin d’exposer des restes humains plusieurs critères seraient pris alors en compte. Si l’état de conservation semble évident, la question du mode de présentation reste chose complexe. A ce moment une valeur entre en jeu : le respect. Le respect envers les restes humains, envers sa communauté si on peut l’identifier, ainsi qu’envers les vivants qui les regardent. Plusieurs possibilités d’exposition peuvent être envisagées, comme avec la remise en contexte de découverte (Musée de l’Homme de Neandertal, Corrèze), ou encore de manière isolée.

neandertal

 

Squelette ©Musée de l'Homme de Neandertal

 

Au muséum de Lille, certaines vitrines sont restées dans leur « jus ». Dans une volonté de montrer l’exposition des restes humains au XIXe siècle, les momies et crânes humains sont présentées dans des vitrines de cette époque. Une cage de verre (simple vitrage) et de bois, aucun éclairage, deux cartels, un du XIXe et du XXIe qui vient recontextualiser le premier cartel. Le cartel du XIXe vient nous expliquer, par le biais de la présentation de ces crânes, les différentes « races humaines », en produisant tout un discours sur l’indice Céphalique I.C. (le rapport entre la plus grande largeur et la plus grande longueur du crâne). Ainsi le cartel du XXIe vient mettre en garde le visiteur contre ces discours racistes.

 momie

momies

 

Momies du muséum de Lille, ©MS

 

Des restes patrimonialisés ?

De quelle propriété relèvent ces restes ? A qui appartiennent-ils ? Depuis quelques années ces questions viennent hanter les musées du monde entier. Ce sont nos voisins anglais et américains qui en ont été les premiers témoins. Cette question de la propriété, voire de la question de l’obtention de ces collections, a conduit à des restitutions 2. En France la législation est plus que floue concernant le statut des collections de restes humains conservés dans les musées.

Selon l’article 16-1 de loi bioéthique de 1994 relative au respect du corps humain : « Chacun a droit au respect de son corps. (…) Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial 3. ». En outre, l’Etat ne peut être propriétaire d’un corps. Situation paradoxale : les restes humains ne peuvent appartenir à l’Etat, pourtant ce dernier est propriétaire des collections muséales, qui sont par ailleurs inaliénables et dont font partie les restes humains. L’Etat en est donc propriétaire en un sens. Du fait de cette inaliénabilité, imprescriptibilité et insaisissabilité des collections, renforcée par la loi musées 4 de 2002, les restes humains sont donc « coincés » dans les collections, ce qui peut poser problème lors de cas de restitutions, comme cela  a pu se produire à Rouen 5.  Les restes humains sont alors entre deux juridictions : en tant que dépouille et en tant que sujet culturel par leur place au sein des musées.

Dans le cas de litige, le plus souvent ce sont les juristes qui décident d’appliquer telle ou telle lois, sans qu’aucune ne soit réellement adaptée à la situation. On peut citer notamment le cas de la restitution de la Vénus Hottentote à l’Afrique du Sud en 2002, où était mise en avant dans un premier temps l’inaliénabilité des restes (puisqu’inscrit dans l’inventaire) pour faire finalement prévaloir la loi bioéthique de 1994. Chaque cas est différent et mérite toute attention.

 

venus

 

Vénus Hottentote, ©photo.rmn.fr

 

Une première tentative vers une législation de ces collections « sensibles » est donnée par l’ICOM dans son Code de déontologie pour les musées.  En effet, les articles 2.7 ; 3.7 et 4.3 viennent proposer un « cadre » plus clair pour les restes humains, que ce soit en terme d’acquisition, de conservation, et d’exposition. En 2008, le Quai Branly s’est également engager dans une conversation internationale autour de ces questions avec le symposium « Objets anatomiques aux objets de culte : conservation et exposition des restes dans les musées ».

On pourrait finalement se dire que les restes humains sont patrimonialisés selon deux manières :  par leur entrée dans les inventaires de collection des musées mais aussi par leur réification. Les musées par leur discours proposent des concepts scientifiques, des concepts abstraits qu’ils viennent illustrer par les restes humains. L’être vivant devient un objet, une chose ; il est réifié. C’est à ce moment que le corps humain, devenu chose sur laquelle on peut exercer un droit de propriété et d’action, est susceptible de devenir patrimoine 6 .

Our Body. A corps ouvert : une exposition controversée

Ouverte en 1995 par le Dr. Gunther von Hagens, anatomiste, a mis au point une technique de conservation des corps. Pour cela il injecte dans un premier temps une solution dans le corps pour le stabiliser et détruire les bactéries, puis il entame une dissection, où les corps gras vont être retirés. Après déshydrations du corps, le corps est plastiné par « imprégnation polymérique ». Une fois ce travail effectué, le corps est placé dans la position désirée. Cette démarche de travail prendrait 1500 heures de travail et 1 an pour achever la préparation.

Dans cette démarche de partage des connaissances sur le corps humain, Gunther von Hagens a donc créé une exposition « conçue pour montrer le fonctionnement interne du corps humain ainsi que les effets d’une bonne ou d’une mauvaise hygiène de vie au public ». Tout en voulant faire « prendre conscience de la fragilité de notre corps et de reconnaitre la beauté anatomique de chacun 7 ». La volonté de cette exposition serait donc de montrer le sens du mot « santé », de signifier le potentiel physique du corps humain et de faire réfléchir le public sur la vie. Actuellement, on nous indique sur le site internet de l’exposition que 44 millions de personnes à travers le monde aurait vu Body Worlds.

Que ce soit sur le site internet ou dans leur communication l’Institut de la plastination ne parle pas de « cadavres » mais de « corps, de spécimens » ou encore de « modèles anatomiques ».

 

body

 body body

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Our body. Body worlds, ©bodyworlds.com

 

C’est en 2007 que l’exposition fait son entrée en France. La même année l’exposition était présentée dans des centres de sciences aux Etats-Unis (Orlando, Détroit, Oklahoma). Après avoir été à Marseille et Lyon l’exposition devait être accueillie par la Cité des Sciences et de l’Industrie, mais le Comité consultatif national d’éthique a mis son véto. Plusieurs arguments sont mis en avant à ce moment : un aspect commercial en contradiction avec l’interdiction de commercialisation du corps humain ; la question du consentement des sujets ; une représentation de la mort qui porte atteinte à la dignité et à l’identité des sujets et une exposition qui propose un regard techniciste qui rappelle le traitement des cadavres dans les camps d’extermination. La question de la procuration des restes humains n’ayant pas pu être formellement identifiés vient également poser problème. Les corps seraient ceux d’opposants politiques de la République Démocratique de Chine. Le « docteur la mort », comme il est appelé en Allemagne, aurait également affirmé que certains corps avaient une balle dans la tête. Lors de cette réunion du Comité est également présenté que ces restes humains, déréalisés, deviennent des représentations d’eux-mêmes et gagnent ainsi en virtualité. Ainsi l’approche scientifique et pédagogique est pointée du doigt, et le côté « artistique » de l’exposition n’est pas reconnu. Pourtant si on compare cette exposition aux autres musées de France présentant des restes humains, comme le musée médical Dupuytren on se rend compte que Body Worlds inscrit davantage sa démarche dans l’explication de l’anatomie au public. En outre, sur le site internet, on peut retrouver des dossiers pédagogiques pour les enseignants, les familles, les étudiants qui souhaitent mieux comprendre le corps humain et la technique de la plastination. Si la pédagogie se compte en nombre de panneaux, le musée Dupuytren, classifié comme scientifique, serait moins accessible que l’exposition Body Worlds.

Suite à une pétition, les signataires avaient la possibilité de laisser des commentaires concernant l’exposition. 23% disent l’exposition « ignoble, immonde, monstrueuse, (…), choquante » et dénoncent une « marchandisation des corps » (37%), mais pratiquement aucun ne parle de la question de l’éthique (1,5%). D’autres en revanche expriment leur émerveillement et admirations alors qu’ils étaient partagés à la base. Une étude menée par le professeur Ernst-D. Lantermann de l’Université de Kassel et publiée sur le site de l’exposition vient souligner les « bienfaits » qu’aurait procurer Body Worlds dans toutes les villes où elle a été présentée. Il avance par exemple, que 87% des visiteurs déclarent mieux connaitre le corps humain après avoir vu l’exposition, 79% ont été émerveillés par la beauté du corps et que 69% ont quitté l’exposition en décidant d’adopter une meilleure hygiène de vie 8 . D’autres chiffres sur la prise de conscience du corps des visiteurs sont avancés. Des chiffres montrant donc le « possible » impact fait sur la vie des visiteurs.

En 2008, des associations ont saisi le Tribunal de Grande Instance en s’appuyant sur l’article 16-1-1, « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à la crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence ». Le Tribunal statue en faveur des association en récusant la possibilité que des corps humains puissent être considérés comme des œuvres d’art ou des supports scientifique. Après avoir fait appel à la décision de justice, les organisateurs de l’exposition ont perdu, puisqu’ils étaient dans l’incapacité de produire des preuves de l’origine licite des corps et du consentement des personnes.

La question du consentement revient à plusieurs reprises dans les réflexions sur les expositions comprenant des restes humains. Doit-on considérer ces derniers comme des personnes ou des sujets voire des objets de collection ? Il n’existe pas de réponse préconçues à cette question. Comme nous l’avons vu la loi ne nous apporte pas plus de clarification à ce sujet. On pourrait donc se dire que cela relève de la sensibilité de chacun, du conservateur, ou encore de la communauté fréquentant son musée. Aujourd'hui plusieurs personnes, 15 000 personnes dans le monde auraient décidé de faire don leur corps à l’Institut de la plastination, afin qu’ils soient plastinés, puis exposés.

L’exposition des restes humains dans les musées et dans les expositions est donc un sujet complexe en France. Même si le Code de déontologie de l’ICOM propose des normes, les lois françaises manquent de cadre spécifique aux cas des restes humains entrés dans des collections muséales. D’autres pays commencent à mieux légiférer le cas des restes humains dans les musées, notamment autour de la question de la restitution.

 

Maëlle Sinou

 

#exposerlhomme
#éthique
#resteshumains 
#momie

1 http://c2rmf.fr/collection/les-restes-humains-patrimonialises

2 Laure Cadot, « Les restes humains  : une gageure pour les musées ? », La Lettre de l’OCIM [En ligne], 109 | 2007, mis en ligne le 17 mars 2011, consulté le 09 avril 2018. URL : http://journals.openedition.org/ocim/800  ; DOI : 10.4000/ocim.800

 3 https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000549619&categorieLien=id

4 https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000769536&categorieLien=id

5 CCNE, Avis sur les problèmes éthiques posés par l’utilisation des cadavres à des fins de conservation ou d’exposition muséale, n°111, http://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/publications/avis_111.pdf

6 Loïc Robert, « Réification et marchandisation du corps humain dans la jurisprudence de la Cour EDH. Retour critique sur quelques idées reçues », La Revue des droits de l’homme [Online], 8 | 2015, Online since 18 November 2015, connection on 08 December 2017. URL : http://journals.openedition.org/revdh/1602 ; DOI : 10.4000/revdh.1602

7 https://bodyworlds.com/about/philosophy/

8 https://bodyworlds.com/about/philosophy/