L'art outsider, c'est l'art qui est réalisé dans des contextes où on ne l'attend pas, par des gens qui au départ n'ont pas l'intention de faire de l'art. C'est l'art qui se trouve en dehors des circuits officiels. C’est justement cette définition qui interroge aujourd'hui : si l'art outsider se trouve en dehors, en marge de l'officiel peut-il être exposé dans un musée ?  

 

art et marges
 Annabel Sougné © Art et marges musée - exposition Guy Brunet et Josselin Pietri

 

Ce qui intéresse généralement dans l'art outsider c'est que les créateurs, "les artistes"[1] n'ont pas de limites, ils ne se plient pas à certaines règles de l'art et créent pour leur plaisir, pour s'exprimer, par nécessité... Par ailleurs ils utilisent des techniques moins communes comme le stylo bille qui prend une place prépondérante chez Amazine ou des matériaux originaux comme du plastique, du carton chez Josselin Pietri qui le sculpte. Cependant ils sont considérés comme artistes outsider. Alors quand leurs productions entrent au musée, quelle est leur place ?

 

MIAM

 Pierre Schawtrz © Le MIAM

 

Pour mieux répondre à cette problématique revoyons les missions d'un musée. Il permet de conserver, diffuser ou exposer, développer la recherche et animer, éduquer. Si les collections d'art outsider ne rentraient jamais dans les collections muséales on pourrait se demander si leur conservation serait assurée et si on aurait aujourd'hui une trace de ces œuvres si particulières. Le musée est aussi notre mémoire collective, la mémoire de l'humanité, alors garder trace de ce qui est créé même en dehors des marges peut avoir une certaine logique. L’art en marge pose des questions mais n'est-ce pas le propre de l’art ? Pour ce qui concerne leur importance dans la recherche et dans la connaissance de l’art, les productions des outsiders viennent  dynamiser l'art, casser les barrières et les acquis académiques et réinterroger ce qu'est l'art. En effet leur exposition parfois choque ou est incomprise "ce n'est pas de l’art !" "Ce sont des gribouillis, des dessins d’enfants !" Aujourd'hui le regard change les conservateurs, les galeristes comprennent mieux la démarche, recherchent l'émotion, analysent la ligne, le trait comme on étudierait une œuvre du 19ème ou d'art contemporain. Par ailleurs certains commissaires d'exposition se sont amusés à exposer dans leur musée des œuvres d'art outsider en y trouvant des démarches artistiques proches de leurs artistes. Par exemple lors du projet « 20+20 » qui a eut lieu en Belgique en 2006, la conservatrice du musée Félicien Rops évoque les points communs de travail entre Rops et Hugues Joly autour du corps de la femme.

 

Collection art brut Lausanne

© La Collection de l’Art Brut Lausanne

 

Dubuffet estimait "qu'il faut choisir entre faire de l’art et être tenu pour un artiste"

 

Le problème de l'art outsider comme avec le street art c'est qu’on le sort de son contexte en l’exposant. Alors prend-t-il la même ampleur, peut-on le découvrir correctement dans un système muséal ? Par ailleurs le regard du commissaire en exposition d'art outsider a beaucoup plus d'impact d’autant que l’artiste s'exprime peu sur ses envies et sur la signification de ses œuvres, elles sont donc complètement ou du moins en partie sujettes au regard du commissaire qui en donne sa vision à un public. Les œuvres d’un artiste sont parfois très intimes et non destinées à être exposées. Leurs visibilités pour le public est donc très compliquée. Cependant le public vient au musée pour découvrir de nouveaux sujets d'intérêt, de nouveaux artistes ; échanger ses points de vue ; ressentir ; s’émouvoir ; trouver l’inspiration ; comprendre le monde et créer. L'art outsider répond à toutes ces demandes par une médiation travaillée sur la base de  l’émotion. Il est accessible à différents types de publics car il ne demande pas de codes ou de connaissances pour le comprendre, le ressentir et l'appréhender.

Alors à la question de savoir pourquoi exposer l’art outsider, les réponses sont diverses mais en tous les cas il doit être connu pour son ouverture au monde, pour sa liberté et son accès à l’émotion. L’exposition de l’art outsider est encore jeune, et les structures le représentant sont en constante interrogation sur sa définition, mais n’est-ce pas là que l’institution muséale va prendre toute son ampleur, dans cette constante recherche et mise en question de ce qui nous entoure?

 

M.P

 

[1] Terme ici mis entre guillemets puisque bien souvent ils ne se revendiquent pas comme tel et ne le souhaitent pas

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