J’aime les musées parce que ce sont des lieux où je me suis toujours senti à l’aise. Jamais froids comme les églises, ni bruyants comme les magasins, parfois je m’y rends simplement pour passer un bon moment, seule ou en compagnie.

Cette année j’ai eu la possibilité de découvrir la vie cachée et mystérieuse d’un musée, en travaillant au “cœur” du Musée d’Ethnographie de Neuchâtel. Arrivée en avril 2016 pour contribuer au déménagement des collections que le prestigieux MEN s’est imposé d’accomplir à l’occasion de sa rénovation, j’ai enfilé la blouse blanche et les gants bleu que le protocole d’hygiène exige et j’ai commencé à découvrir les coulisses d’une des institutions qui ont fait école en matière de muséographie.

 

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Musée d'Ethnographie de Neuchâtel

 

Le travail au récolement des réserves (la vérification de la présence des objets dans l’inventaire informatique) est minutieux et patient, étant avant tout la reconstitution d’une histoire : celle des pièces et du chemin qui les a amenées jusqu’à la Colline de Saint-Nicolas.

C’est un puzzle de vieilles lettres jaunies par les temps, des biographies des missionnaires, des cartes géographiques obsolètes qu’il me faut compléter pour pouvoir récupérer leur mémoire.

 

Liste non exhaustive des certaines pièces incroyables que j’ai pu traiter :

- Panier de divination de la tribu Thonga du Mozambique avec les osselets humains servant aux rites
- Poupée de fertilité Akuaba que les femmes du Congo portent sur le dos lorsqu’elles désirent rester enceintes
- Flèches empoisonnées au curare du Sud Afrique

 

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Réserves d'Afrique australe du MEN © F.Valla

 

 La fascination est telle que je commence à me demander : et si ce séjour en Suisse me transformait en une fétichiste des objets museaux ?

Heureusement, j’ai l’occasion d’en discuter avec un interlocuteur très spécial : Jacques Hainard, conservateur du MEN de 1980 à 2006, 25 expositions temporaires à son actif et partisan de la muséologie de la rupture.

 

Sur la terrasse du musée qui nous offre une vue de carte postale sur le lac de Neuchâtel, Monsieur Hainard nous accorde (à moi et aux autres chanceuses stagiaires) deux heures de discussion sur la place des objets dans les musées, les changements de la société et la conséquente évolution de la place du muséographe.

 Jusqu'à peu, nous dit-il, les objets structuraient le musée, mais aujourd’hui nous observons l’arrivée de musées d’idées. Il s’agit d’un nouveau moyen de diffuser le savoir, de produire un discours qui est désormais plus important que les objets des collections.

 

Quelques exemples en Suisse :

- L’Alimentarium de Vevey (qui a ouvert ses portes le 4 juin) : très peu d’objets, large utilisation du numérique.
- Le MUCIVI (Musée des civilisations de l'Islam) de La-Chaux-de-Fonds : pas de collection propre au musée, mais une audioguide d’1h30 à écouter, nécessaire pour profiter de la visite.
- Le Musée international de la Croix-Rouge à Genève : également peu d’objets, mais une muséographie innovante et une scénographie crée par trois architectes différents. Ce musée s’est vu attribuer le Prix Kenneth Hudson, distinction décernée à « la réalisation muséale la plus insolite et audacieuse permettant d’appréhender sous un angle nouveau le rôle des musées au sein de la société »

 

En effet, les objets changent de matérialité avec la numérisation. Nous pouvons “acheter une exposition”, y accéder depuis notre salon, via les bases de données, les documents, le virtuel. Et si, selon Hainard, les objets ne sont que l’équivalent des illustrations d’un livre pour les expositions, il paraissait logique que la tendance actuelle soit de s’en passer, en profitant de nouvelles possibilités offertes par la révolution numérique.

 

“Avec les mêmes pièces mais un scénario et une scénographie différents on peut produire deux expositions qui disent exactement le contraire de l’autre”,  poursuit-il, la voix enflammée et les yeux qui sourient derrière les lunettes. Il donne alors l’exemple de l’exposition « La différence ». De février à octobre 1996, trois musées de société – le Musée de la Civilisation de Québec, le Musée d’Ethnographie de Neuchâtel, le Musée dauphinois de Grenoble – ont coproduit et présenté successivement cette exposition. Le principe était celui de la confrontation : chacun prépare, en secret, une exposition de 200m², sans autre consigne ou coordination que la définition commune du thème, qui vaut pour titre. Les trois expositions ont ensuite été réunies pour n’en former qu’une seule en trois parties. Pour unique avertissement au visiteur, une introduction commune présentait les règles du jeu et les établissements partenaires. Une expérience muséologique unique pour mettre en évidence les différences de traitement d’un même sujet.

 

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Conversation avec J. Hainard © A. Giostra

 

Au MEN, il est courant de parler “d’exposition mille-feuilles” : ayant plusieurs couches de sens. Mais le but reste de faire passer une réflexion, un propos, que le public peut s’approprier à sa façon. Dans le meilleur des cas, il arrive d’assister à un prolongement des idées de l’exposition par le public, qui est un sujet actif, qui se positionne, se fâche, apprécie ou non.  

Le travail du muséographe, conclut Jacques Hainard, est d'être attentif aux changements de la société, de comprendre où ils commencent et comment ils se propagent, pour pouvoir instaurer un dialogue avec son public.

“Donc, aujourd’hui, vous ne manquez pas de travail !”

L.Z.

 

#MEN

#JHainard

#ethnologie

 

Pour aller plus loin :

-        http://www.men.ch/de/histoires/portraits/hainard-jacques/jacques-hainard-detail/
-        http://www.men.ch/de/expositions/anciennes-expositions/black-box-depuis-1981/le-musee-cannibale/
-        Marc-Olivier Gonseth, Jacques Hainard et Roland Kaehr. Cent ans d’ethnographie sur la colline de Saint-Nicolas. 1904-2004 (compte rendu), Chaumier Serge, Culture & Musées, 2006, Volume 8, Numéro 1, pp. 176-179