S’immerger dans un univers parallèle, s’émerveiller devant des images grandioses qui nous enveloppent, s’abandonner au son d’une musique puissante, sentir vibrer les basses au creux de son ventre, se laisser envahir par une foule d’émotions… Vous aussi vous êtes en quête de ces sensations ?

 

UN ESPACE POUR RÊVER

Férue d’environnements immersifs, je me suis rendue à « l’exposition » d’inauguration de l’Atelier des Lumières dans le 11e arrondissement de Paris. Installé depuis le 13 avril 2018 dans une ancienne fonderie du XIXe siècle, ce centre d’art numérique dirigé par Culturespaces a pour ambition d’ouvrir la culture au plus grand nombre à travers la projection de chefs-d’œuvre en mouvement sur des surfaces immenses magnifiées de musique.
Avec 3 300 m² de surface totale de projection comptant des murs de 10 mètres de haut, 140 vidéoprojecteurs laser et 50 enceintes à directivité, il y a de quoi faire rêver les amateurs d’expériences immersives…
 
Le concept a déjà rencontré son succès à la Carrière des Lumières aux Baux-de-Provence où, depuis 2012, les visiteurs se comptent par centaines de milliers chaque année. Le même procédé est utilisé en 2017 pour Imagine Van Gogh à la Grande Halle de la Villette et, depuis octobre 2018, pour Van Gogh – The Immersive Experience à la Bourse de Bruxelles. Quant à L’Atelier des Lumières, il peut d’ores et déjà se réjouir de ses 650 000 visiteurs depuis son ouverture.
 
POURQUOI KLIMT ?
Des œuvres colorées, des formes stylisées, des motifs décoratifs, des tapisseries végétales, des fonds d’or lumineux ou encore des portraits de femmes fatales ornées de bijoux impériaux, tous les ingrédients sont réunis pour créer un programme numérique riche et créatif, plongeant le visiteur dans une aventure artistique sensorielle au cœur l’univers de Klimt et de la Sécession viennoise. C’est également l’occasion de mettre à l’honneur cette grande figure de l’histoire de l’art pour célébrer le centenaire de sa disparition.

 

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 Gustav Klimt, Serpents aquatiques II (Les Amies), 1904-1907, huile sur toile, 80 x 145 cm, Collection privée, Photo © Akg-Images/Erich Lessing

 

ENTRÉE DANS LE TEMPLE DU NUMÉRIQUE

Après avoir franchi un sas plongé dans l’obscurité, je découvre avec étonnement l’immense salle d’exposition encore dotée de sa cheminée originelle. Du sol au plafond, toutes les surfaces disponibles sont animées d’images en mouvements. En prélude à la projection thématique sur Klimt, deux programmes courts sont proposés : POETIC_AI et Hundertwasser, sur les pas de la Sécession viennoise. Le premier, voyage étourdissant au creux de la technologie numérique, se révèle assurément fascinant, bien qu’il soit à déconseiller pour les épileptiques photosensibles. Le second, s’intéressant à l’œuvre du peintre et architecte viennois héritier de Klimt et de la Sécession, présente un monde utopique de formes architecturales aux couleurs flamboyantes.

 

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Poetic_Ai © Ouchhh

 

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Hundertwasser, sur les pas de la sécession viennoise © Culturespaces / Eric Spiller

 

Je profite de ces deux vidéos d’introduction pour découvrir l’espace. À l’intérieur d’une « black box », des tablettes interactives sur socle invitent le visiteur à choisir des images extraites de la projection de Klimt et de les projeter sur les murs de la pièce. Comme souvent lorsqu’il s’agit de matériel numérique manipulé par un grand nombre, certaines tablettes ne fonctionnent plus et cette tentative de médiation sans explications apporte finalement peu d’intérêt vis-à-vis de la projection principale. À proximité, une seconde « black box » est recouverte de miroirs prolongeant l’espace et des images projetées à l’infini. Cette fois, je commence réellement à ressentir les symptômes de l’immersion m’impacter. Je perds mes repères et me laisse submerger par le mouvement des couleurs. Lorsque les murs redeviennent progressivement noirs, je m’empresse de sortir de cette pièce pour découvrir le programme Klimt et amplifier l’expérience sensorielle qui commence à s’emparer de moi.

 

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Réserve aux miroirs infinis © Culturespaces / Eric Spiller

 

SURPRISE PAR L’ENNUI

Les projecteurs se réenclenchent, une musique classique est diffusée. Sur les écrans muraux nous est dévoilé l’architecture de la Vienne néoclassique, passant par les décors du Kunsthistorisches Museum et de Burgtheater en partie décorés par Klimt, mais aussi par sa période dorée avec des chefs-d’œuvre comme la Frise Beethoven, le Portrait d'Adèle Bloch-Bauer, Le Baiser ou encore Danaë.
Je ne sais pas si c’est l’immensité de l’espace, la promiscuité avec les nombreux spectateurs, les morceaux tout à fait sans surprise de Wagner, Beethoven, Strauss et Mahler, ou bien encore le manque de discours et de mise en contexte, mais je ne me sens pas touchée et reste bien passive. Entre fondus enchainés, successions de motifs qui apparaissent et disparaissent, agrandissements de détails d’œuvres et objets flottants ou tournoyants, je regrette un manque d’audace et d’originalité technique. Je ne vois plus cette présentation comme une réinterprétation créative de l’Œuvre de Klimt, mais comme une simple manière de présenter son travail différemment via la projection numérique. J’essaye tant bien que mal de me plonger dans cet univers, notamment devant ses peintures de villages et le Champ de Coquelicots d’inspiration impressionniste où je ressens un peu de poésie, mais je ne peux faire fi d’une certaine déception.
Je me lève du sol froid où je m’étais assise et me dirige vers une double porte où il est inscrit « Studio bar ». Probablement un coin cozy pour boire une bière après le spectacle. Je m’y rends « juste pour voir » avant de quitter l’exposition.

Et là… surprise !

 

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Projection Gustav Klimt © Laurence Louis

 

VOYAGE AU CŒUR DE LA MATIÈRE

Cet espace, à la fois bar et espace de présentation de vidéos créatives contemporaines, ne vendait exceptionnellement ni boissons ni friandises ce soir-là. La trentaine de personnes présentes dans cette petite salle de 160 m² contemplait donc en silence les trois murs animés de projections. Cette fois, l’ambiance n’était plus la même. Je m’assieds sur un des sièges confortables et me laisse hypnotiser par cette création contemporaine.
J’ai la sensation de rentrer littéralement au creux de la matière picturale des images projetées grâce à un grossissement optique extrême. Au son d’une musique spatiale envoûtante, de l’encre et des billes de peinture arc-en-ciel sont projetées, s’écrasent, se mélangent et s’évaporent dans un ralenti extrême. J’ai le sentiment de pénétrer à l’intérieur d’un corps où les flux du sang seraient matérialisés par les coulures de peintures, amplifiés par les percussions du battement d’un cœur. Mon propre corps est paralysé par la scène qui m’absorbe. L’immersion n’était donc pas là où je pensais la trouver. Ici, on ne présente pas simplement de l’art, l’énorme travail technique est art !
 

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« Colours x Colours » - Studio de l'Atelier des Lumières © Culturespaces

 

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© Colours x Colours Thomas Blanchard/Oilhack

 

LE NUMÉRIQUE REMPLACERA-T-IL LES ŒUVRES D’ART ?

Les avis se divisent. D’un côté, il y a les conservateurs tel le théoricien de l’art et des médias Bertrand Naivin qui s’insurge : « La reproduction numérique des œuvres, en faisant fi de leur matérialité originelle, altère l’émotion. […] Une performance technologique qui impressionne mais ne touche plus. »1 De l’autre côté, le succès auprès du grand public. Les chiffrent parlent d’eux-mêmes. Bien sûr, les pixels ne pourront jamais remplacer les pigments. Mais il faut tout de même reconnaitre à ce type d’initiative l’avantage de faire découvrir des œuvres d’art à un public qui ne les aurait peut-être jamais vues autrement. De plus, les questions de conservations sont réduites et l’on peut jouer avec les images des œuvres en agrandissant des détails, en les juxtaposant dans un montage ou en les magnifiant de musique au rythme de leurs mouvements. D’ailleurs des vidéos comme « Colours X Colours » présentées au Studio bar de l’Atelier des Lumières prouvent le potentiel créatif derrière les techniques numériques où la matière d’une image n’est pas mise de côté. Un tableau n’empêche pas son appropriation numérique tant qu’il lui est toujours permis d’exister ailleurs dans son intégrité.

 

Laurence Louis

#AtelierDesLumieres

#Klimt

#Immersion

Pour en savoir plus :

14,5/13,5/11,5/9,5 €

Prolongations jusqu’au 6 janvier 2019

Du lundi au jeudi de 10h à 18h.

Nocturnes les vendredis et samedis jusqu'à 22h et les dimanches jusqu'à 19h

https://www.atelier-lumieres.com/fr/home

 

 

1 NAIVIN Bernard, « Klimt à l’Atelier des Lumières, ou la peinture à son état ectoplasmique » publié sur le blog AOC, le 20 août 2018, disponible sur https://aoc.media/,consulté le 10 novembre 2018.