Comment ne pas ressentir l’attirance magnétique d’une visite au musée, lors des journées pluvieuses dont Mai a le secret ?


Et c’est bien de magnétisme dont il s’agit à Neuchâtel, puisque le Muséum d’histoire naturelle présente l’exposition « Pôles, feu la glace » jusqu’au mois d’août 2019. Alors hâtez-vous, avant qu’elle ne disparaisse au profit de la chaleur de l’été.

L’exposition « iceberg »

Cette exposition temporaire est construite à juste titre comme un iceberg, puisqu’elle invite le visiteur à acquérir les connaissances de base sur les pôles Nord et Sud, notamment ses saisons, ses paysages et sa faune… (D’ailleurs, savez-vous qui de l’ours polaire ou du manchot vit au pôle Nord ? [Réponse à la fin de l’article]) Mais le plus intéressant est bien sûr de découvrir la partie immergée et parfois effrayante de cet iceberg, ayant trait au climat et à la fonte des glaces.


Le sujet est saisi en croisant la biologie, l’ethnologie, l’astronomie, la climatologie, la photographie… Et bien sûr la glaciologie puisque l’exposition a pour parrain Claude Lorius, explorateur et glaciologue des pôles dont les voyages en Antarctique ont inspiré la conception de Pôles.


Une seconde figure notoire, Luc Jacquet, nous propose une immersion dans cet univers glacial, grâce à ses prises de vues époustouflantes.  Ce cinéaste documentariste est connu pour son film La Marche de l’Empereur sorti en 2005. Il invite le visiteur à plonger dans le quotidien des manchots au travers d’une projection qui fait littéralement froid dans le dos. « Comment ces oiseaux parviennent-ils à survivre dans ce froid extrême ? » est la question que tout un chacun se pose. Les températures pouvant chuter jusqu’à -50 degrés, les manchots ont développé une technique dite de la « tortue ». Usant de leur chaleur corporelle, ils forment une carapace dense de corps qui les protègent du froid. La température intérieure de la tortue polaire pouvant atteindre les +40 degrés, les manchots ont donc même souvent… trop chauds ! Pour y remédier, ils échangent régulièrement les rôles, exposant tour à tour leur dos au froid.


 

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Ardemment glacial – Musée d’histoire naturelle de Neuchâtel © Luc Jacquet

 

Homo frigoris


Les capacités extraordinaires des manchots, bœufs musqués, phoques et autres espèces de la faune locale qui survivent dans des conditions extrêmes ont grandement inspiré l’animal que nous sommes, Homo sapiens, à faire de même. A bord d’un cargo chargé de ravitailler les villages côtiers, on découvre les conditions de vie des Inuits, très loin des clichés. Ils se fournissent en bibliothèque Billy chez Ikea, alimentent leur story Instagram, et promènent leurs bambins, pas très différemment de nous finalement. Les photographies exposées de l’ethnologue Philippe Geslin apportent un regard frais et contemporain sur ces populations.


 

 Pôles LC 2 min

Roues et neige © Philippe Geslin

 


Tout au long de notre pérégrination, l’immersion est de mise. La scénographie épurée suggère les étendues désertes des pôles et les sons et bruits d’ambiance nous rappellent qu’il y a néanmoins de la vie. Au milieu du vent glacé qui fouette l’air, des manchots braient et accompagnent notre avancée. Cette attention portée à l’auditif est une agréable surprise lorsque certaines expositions relèguent trop facilement les bruits au rang d’accessoire, voire de nuisance. Un petit jeu plus visuel contribue aussi à l’expérience du visiteur puisqu’il peut incarner un Inuit vêtu d’une panoplie en peaux, ou un scientifique dans sa tenue molletonnée orange, au moyen d’une caméra à détection de mouvement.  Les photos peuvent ensuite être retrouvées sur le site du Muséum, une bonne idée de souvenir à retrouver chez soi !


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Deux scientifiques en anorak orange – Musée d’histoire naturelle de Neuchâtel

 


Outre l’aspect récréatif, ce jeu nous apprend qu’en plus des populations locales, il ne faut pas oublier que les scientifiques séjournent aussi aux pôles. Cela ne signifie pas qu’ils cohabitent pour autant. Les Inuits vivent au pôle Nord, dans la région arctique et les scientifiques mènent leurs recherches sur les deux pôles, y compris en Antarctique, au pôle Sud, continent le plus froid et venteux de la Terre, où il n’y a pas de populations établies. C’est dans cette région hostile que les scientifiques réalisent l’extraction de carottes de glace. Au fil des siècles, et consécutif aux chutes de neiges successives, des couches de glace se forment au sol. Plus la carotte est longue, plus l’on remonte le temps et il est possible d’obtenir des informations sur les conditions climatiques et les composés chimiques de l’air dans le passé. Claude Lorius est le précurseur de ce champ d’étude puisque c’est en 1965, en observant les bulles d’air emprisonnées dans les glaçons de son whisky, qu’il a émis l’hypothèse qu’elles contenaient des informations sur le taux de méthane et de dioxyde de carbone des siècles passés. A partir des données récoltées, il est possible de comparer les taux de CO² en ppm (partie par millions) du dernier millénaire. La tension monte, le thermomètre aussi. Alors que pendant 1000 ans, le taux était stabilisé autour de 280 ppm, la révolution industrielle a vu une brusque augmentation du taux atteignant les 408 ppm, ce qui représente une hausse de la température de 1°C.


Maintenant ou jamais


L’exposition prend alors un tournant beaucoup plus sérieux et nous emmène dans une salle à l’atmosphère si pesante qu’elle ferait fuir un climato-sceptique. Le tic-tac de l’horloge se fait oppressant et de plus en plus rapide, les lumières clignotent, autant de signes annonciateurs de l’effondrement. L’emphase est mise sur le temps, et l’on comprend qu’il est compté. L’Homme peut se targuer d’exercer des pressions si fortes sur l’environnement qu’il a fait rentrer l’humanité dans une nouvelle ère qui porte son nom : l’Anthropocène. Elle se caractérise par l’impact des activités humaines sur la planète, constituant une véritable force globale à l’origine de catastrophes naturelles, de l’extinction de centaines de milliers d’espèces et de l’épuisement des ressources.


« C’est une triste chose de penser que la nature parle

mais que le genre humain ne l’écoute pas. » Victor Hugo

On trouve dans les interstices des murs quelques regains d’espoir ; baisse de la consommation de viande en Suède, plusieurs millions de tonnes de matériaux recyclés en France, création de smartphones éthiques et écologiques. Mais l’imminence d’une catastrophe écologique sans précédent reste un sujet un peu délicat, et le ton employé est déterminant. Le second degré est un choix audacieux qui fonctionne ici très bien. Le faire-part de décès de la glace permet de lui dire un dernier adieu, ses maigres restes reposant dans une boite en velours. La vidéo du cornet de glace fondu diffusé sur l’écran n’est pas sans provoquer du dégoût chez les visiteurs ou un sourire navré lorsqu’ils comprennent la métaphore.


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Feu la glace – Musée d’histoire naturelle de Neuchâtel

La dernière salle enfin donne la parole aux citoyens grâce à une grande campagne lancée par le musée à son réseau.


« Les glaces de l’Antarctique, qui ont conservé dans leurs strates la mémoire de l’environnement de notre planète au fil des millénaires, nous envoient un message d’alerte : les conditions de vie se détériorent et toucheront de plein fouet nos enfants et leurs descendants. Ainsi, les glaces portent en elles l’histoire de notre climat et donc notre destin. Les Pôles sont un des biens les plus précieux que la nature nous ait légués. Notre devoir est de préserver cet héritage. »


A partir de cette citation de Claude Lorius, une centaine de personnes ont été invitées à réagir et envoyer leurs témoignages sous la forme de leur choix. Ainsi, textes, photographies, dessins et vidéos constituent le manifeste poignant de l’humanité aux Pôles.

 


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Stars anonymes – Musée d’histoire naturelle de Neuchâtel

 


Ne finissez pas la visite sans faire l’expérience de l’installation sonore immersive de Luc Jacquet, dont on ressort troublé, effrayé ou carrément en pleurs. Plongé dans le noir, sans autre sens que l’ouïe, vous allez vivre la rupture fracassante d’un glacier comme si vous y étiez…


C’est ainsi que l’exposition se conclut et le visiteur attentif pourra remarquer avant sa sortie la projection d’un ours polaire sur un tissu blanc. N’est-ce pas là le drapeau brandi appelant à une trêve ?


(Et pssst ! L’ours polaire vit au Nord et les manchots au Sud.)

 

Laurie Crozet

 

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