De retour de la soirée-débat de l’ICOM et de la journée d’étude organisée par le master médiation du patrimoine et de l’exposition de Paris-Sorbonne sur la sensibilité d’exposer certaines collections, je me sens stimulée par  ces deux temps de réflexions riches en interventions. Mais peu de réponses ont émergé face à cette grande question : Comment pouvons-nous exposer des collections dites « sensibles » ? Comment mettre en lumière leur sens ? Ou encore est-il nécessaire d’exposer certaines œuvres/objets d’arts pour comprendre le propos d’une exposition ?

Soirée-Débat Le Sens de l’objet, 29 Janvier 2020

Dès le début de cette soirée, les propos de la directrice de l’ICOM France, Juliette Raoul Duval résonnent dans l’auditorium. Elle nous explique que cette soirée-débat annonce les futures concertations de l’ICOM France pour proposer une nouvelle définition des musées. Au programme, conservateurs, directeurs de musées et de pôle muséal proposant chacun et chacune leur propre conception de l’objet.

Plusieurs des interventions auxquelles nous avons assisté soulèvent une problématique sous-jacente à celle de l’objet. Comment désigner une collection, un objet dans un musée. Plusieurs termes sont utilisés tout au long de la soirée : œuvre d’art, objet d’art, objet sensible, objet polémique etc. Sa désignation semble évoluer en fonction du sens donné au musée. La nouvelle définition proposée par l’ICOM en ce qui concerne le lien entre les objets musée ne vise-t-elle pas d’ailleurs à équilibrer cette différenciation ? François Mairesse fait remarquer que le terme œuvre d’art disparait de la définition pour favoriser la recherche, la collecte, la communication et la présentation des collections.

Au fur et à mesure de cette soirée-débat, le discours s’oriente progressivement sur la nécessité de croiser les regards dans les expositions pour donner plus de sens aux objets. La multidisciplinarité pour valoriser une collection serait donc la réponse la plus appropriée.

« OBJETS INANIMÉS,
AVEZ-VOUS DONC UNE ÂME
QUI S’ATTACHE À NOTRE ÂME
ET LA FORCE D’AIMER ? »
Alphonse de Lamartine, Milly ou la Terre natale.

Ces quelques lignes d’Alphonse de Lamartine mis en exergue dans le texte qui nous est remis à l’entrée de la conférence rejoint l’intervention d’Emmanuel Kasarhérou adjoint au directeur du département du patrimoine et des collections du musée Quai Branly – Jacques Chirac et de Madeleine Leclair, conservatrice du département d’ethnomusicologie et des archives internationales de musique populaire au Musée d’Ethnographie de Genève. Ces deux interventions ont profondément questionné la mise en scène et présentation des objets. Le fait d’exposer un objet dans un musée, lui donne automatiquement un sens nouveau car il est dépouillé de son contexte et lieu d’origine. Tout dépend donc du sens que le musée souhaite donner à la présentation de ses collections. 

Collections sensibles, déontologie, et précautions à l’Institut Giacometti

Ma quête pour trouver des réponses continue le 8 Février 2020, où la question de l’objet et de la collection est remise à l’honneur par le Master médiation du patrimoine et de l’architecture. Pendant cette après-midi le propos cible de manière plus précise mes interrogations soulevées lors de la soirée-débat de l’ICOM. Pouvons-nous tout exposer au musée ? Et si oui, comment pouvons-nous le faire ?  Les différentes interventions proposent chacune à leur manière, un élément de réponse pour mettre des collections dites « sensibles » en lumière.

Premier intervenant, Guillaume Nahon, Directeur des archives de Paris, nous présente comment les archives ont constitué une collection des mémoires des attentats de Paris en 2015 ; c’est ainsi que les personnes présentes découvrent ce que peut être une collection sensible. Après les détails concernant la collecte de ces objets, Guillaume Nahon nous explique comment la numérisation a permis de rendre cette collection accessible à tous sans réellement l’exposer de manière physique. 

Pendant cette prise de parole, deux affirmations m’interpellent : la collection peut devenir sensible en fonction du lieu où elle est exposée et la sensibilité d’une collection se détermine en fonction de la charge émotionnelle qu’elle représente. Ces deux arguments me servent de premiers éléments de réponses.

Ce n’est que lors de la seconde présentation que la notion de collection sensible est enfin définie par Florence Potosniak : « ensemble de document susceptible de provoquer le trouble au sein de la société du fait du contenu idéologique qu’ils véhiculent et/ou de la résurgence d’une mémoire historique douloureuse ». Est mise en avant c’est la nécessité de prendre en compte le contexte historique et de surtout faire preuve de prudence dans la valorisation de ces collections.

Cette après-midi se termine par l’intervention d’Alice Martel, chargée des publics et de la médiation culturelle de l’Institut Giacometti, qui partage ses conseils pour accompagner un propos ou des œuvres dites « sensibles » présentées au public. En référence directe à l’exposition Giacometti/Sade : Cruels objets du désir. Une médiation développée et l’accompagnement du public répondrait à la problématique.

Entre sens et sensibilité : regards croisés sur les collections

Les musées tout en s’assurant de conserver et de transmettre des collections sensibles doivent faire face aux polémiques et remises en question actuelles. Que dire de l’Institution Giacometti qui participe à cette réflexion des collections sensibles et de déontologie tandis que dans le même temps Giacometti/Sade : Cruels objets du désir expose des œuvres au propos dérangeant sans préambule ni accompagnement… (Voir article Giacometti/Sade : « L’homme la violait »)

Pour quel public les collections deviennent-elles sensibles ? Les objets sacrés, les objets religieux, les objets hérités de la guerre, les objets politiques, appartiennent à cette catégorie de collection sensible. Or l’exposition de ces objets ne provoque pas la même gêne suivant le visiteur ou son appréhension de l’objet. Par ailleurs, ce n’est peut-être pas l’objet en lui-même qui est considéré comme sensible mais le lieu, l’importance culturelle qui lui est associé. Le fait de les exposer ne les dissocie pas de leur sens et leur symbolique. Prendre en compte la manière dont ils étaient utilisés et le pouvoir qu’ils représentent est essentiel. La connaissance de ces objets et le dialogue auprès des visiteurs héritiers participent à leur valorisation. 

Donc, dans quelle mesure pouvons-nous exposer des objets lorsque son propos, son sens posent problèmes ? Vous m’auriez posé la question il y a quelques mois, la première de mes réponses, aurait été de répondre qu’inscrire l’objet dans son contexte historique et social permet de justifier son exposition. Mais cet argument-là ne connaît-il pas sa limite ? Et jusqu’où un musée ou une institution culturelle est-il prêt à aller pour présenter une collection ?

La réponse à ces questionnements se trouve peut-être dans la manière de présenter les objets que nous regardons. Si la conception et la mise en espace de ces collections n’est pas encore habituelle, plusieurs musées proposent des scénographiques pouvant s’adapter à la présentation de ces collections sensibles.

 

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Début du parcours muséographique, Mons Mémorial Museum, ©AV

 

Au Mons Mémorial Museum, une première structure introduit le visiteur dans le parcours muséographique. Si aujourd’hui, elle représente l’évolution cartographique de la ville de Mons pendant la guerre, ce changement d’espace illustre une possibilité scénographique pour mettre en avant des collections sensibles. 

En écrivant ces lignes, je pense également au Musée Juif de Berlin que j’ai visité il y a quelques années. J’ai le souvenir qu’à certain moment la mise en espace des collections se faisait par une découverte progressive des objets exposés, laissant le temps au visiteur de les découvrir.

L’architecture et la scénographie sont de véritables atouts qui mettent en avant les collections sensibles. Créer des sous-espaces, des zones délimitées dans les expositions sont déjà des habitudes prises notamment pour la diffusion de séquences vidéos ou audio. Cette pratique peut aussi être déclinée pour valoriser les collections sensibles. 

 

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Vitrines dans l’exposition Marche et Démarche, Janvier 2020, ©Estelle Brousse

 

Une autre manière d’exposer vue dans l’exposition de Marche et Démarche au Musée des Arts Décoratifs, pourrait faciliter la même mise en scène de collections plus sensibles. Ainsi, par exemple, cacher des chaussures derrière des rideaux, laisse le choix au visiteur s’il le souhaite ou non, de découvrir l’objet dissimulé. Le but n’étant pas de rendre ludique ou voyeuse l’action même de découvrir ces objets mais de proposer une découverte plus intime entre le visiteur et l’objet.

C’est peut-être la question du choix qui est donné au visiteur de découvrir ou non les collections sensibles qui  m’a manqué lors de ces deux séances de réflexions. Quelquefois effleuré, ce point de vue était à mon sens peu développé, ce qui continue de m’interroger.

 

Anaïs

 

Pour compléter cet article :

La soirée-débat de l’ICOM :
Présentation
Captation vidéo
Publication

Collections sensibles, Déontologie, et précautions

Hommages aux victimes des attentats de 2015 – Archives de Paris

Article sur l’exposition Giacometti/Sade : Cruels objets du désir

 

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