Spectacles, décors, costumes… Certains parcs zoologiques s’inspirent de l’industrie du divertissement pour satisfaire leur public, au risque d’en oublier leurs missions de conservation et de culture scientifique.
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Pendant la période de confinement liée à la pandémie de coronavirus, nous avons été nombreux à passer le temps en regardant Netflix. Une série documentaire semble avoir particulièrement profité de ce concours de circonstances et a battu des records d’audience : Tiger King (aussi connue en France sous le titre Au royaume des fauves). La série raconte le quotidien rocambolesque de Joe Exotic, propriétaire d’un zoo privé aux Etats-Unis, et amène le spectateur à s’interroger sur la détention d’animaux sauvages en captivité.

Vous allez me dire : quel est le rapport avec les musées ?

Le rapport réside dans le fait que cette série aborde en filigrane la thématique des parcs zoologiques en général. Oublions un instant les zoos privés filmés pour Tiger King et intéressons-nous aux parcs « officiels » auxquels nous sommes davantage habitués en France. Ces structures ont des objectifs similaires à ceux des musées : la conservation et la diffusion de connaissances. Les zoos conservent en effet des espèces animales et entretiennent ce qu’on appelle des collections vivantes, qui font l’objet d’échanges (plus rarement d’achats) entre différents établissements. Ils ont par ailleurs une vocation éducative puisqu’ils transmettent au public des connaissances sur les animaux présentés grâce à des panneaux pédagogiques, des animations, des dispositifs ludiques ou d’autres types de médiations. On peut donc les qualifier de musées vivants, au même titre que les jardins botaniques.

Il existe néanmoins des parallèles frappants entre certains zoos et les parcs d’attractions. Rares sont les structures muséales qui proposent de dormir sur place dans des lodges, de faire de la tyrolienne au-dessus des collections ou de s’offrir des visites VIP. Ces activités sont la plupart du temps payantes et très onéreuses. Pourquoi une telle flambée des prix (que l’on s’attendrait davantage à observer dans un parc d’attractions que dans un musée) ? La réponse se trouve en partie dans la situation hétérogène des différents parcs zoologiques : certains sont entièrement publics tandis que d’autres sont privés ou possèdent un statut mixte public-privé, et n’ont donc pas le même accès aux subventions. Chez ces structures qui dépendent fortement de la vente de billets et de prestations pour assurer leur fonctionnement, la concurrence est rude. Elles doivent gagner de l’argent par tous les moyens afin de pouvoir payer les frais très élevés liés à l’entretien des animaux et des infrastructures, qui restent invariables quel que soit le taux de fréquentation. C’est ainsi que s’engage une sorte de compétition marketing entre les parcs qui s’efforcent de devenir plus attractifs que leurs voisins, en vendant toujours plus de rêve, de divertissement et d’activités inédites aptes à drainer les visiteurs vers eux plutôt que vers leurs concurrents. Les structures les plus ambitieuses (Beauval, Sainte-Croix, La Flèche, pour citer quelques noms célèbres) se sont transformées en véritables complexes touristiques associant hôtellerie, restauration, et parfois spectacles à gros budget au sein de décors presque hollywoodiens. Certains zoos ont même créé leur propre marque d’alcool vendue sur place. C’est à qui trouvera l’idée la plus originale pour éveiller la curiosité d’un public qui aurait apparemment déjà tout vu.

 

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Un nombre croissant de zoos développent une activité d’hôtellerie pour inciter les visiteurs à rester plus longtemps sur place – l’investissement est coûteux mais ensuite très lucratif.
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Et les animaux, dans tout ça ? Ils conservent bien entendu une place centrale. La très grande majorité des zoos ne manquent jamais de mettre en avant leur rôle dans la conservation des espèces et de la biodiversité à travers des programmes d’élevage, la récolte de fonds pour des associations de protection, la sensibilisation du public – et parfois la réintroduction d’animaux dans la nature, bien que cela reste exceptionnel tant ce type d’action s’avère compliqué à réaliser. Les zoos modernes ont donc un rôle de conservation et d’éducation que ne possèdent pas les parcs d’attractions. Cela les différencie également des premières ménageries où l’on collectionnait les espèces sans se préoccuper de leur sauvegarde, et où les animaux étaient exposés comme de simples curiosités. Cet héritage n’a cependant pas tout à fait disparu : en parallèle de leurs actions de protection et de sensibilisation, beaucoup de zoos actuels continuent de gérer leurs collections en fonction des désirs du public – allant parfois à l’encontre des impératifs de conservation.

Prenons un exemple avec un animal emblématique de ce problème : le tigre blanc. Ce félin ne constitue pas une espèce à part entière ; il s’agit d’un tigre porteur d’une mutation génétique très rare qui modifie la couleur de son pelage. Les spécimens concernés peuvent rencontrer de grandes difficultés pour survivre à l’état sauvage, car leur blancheur les empêche de se camoufler et constitue donc un handicap pour la chasse. Ceux qui vivent aujourd’hui dans les zoos descendent d’un unique individu mâle que l’on a fait se reproduire avec sa propre fille. En effet, la mutation ne peut s’exprimer que si les deux parents la portent, ce qui a conduit les éleveurs à effectuer des unions consanguines sur plusieurs générations. Cette consanguinité engendre de graves problèmes de santé chez de nombreux tigres blancs. Le patrimoine génétique de ces animaux a été si bien affaibli par ce phénomène qu’il serait impensable de les réintroduire dans la nature ou de les inclure dans un quelconque programme de conservation. Par conséquent, les tigres blancs n’ont aucun rôle à jouer dans la sauvegarde de leur espèce et leur élevage est fortement déconseillé par les associations, dont l’AZA (Association of Zoos and Aquariums). Certains parcs, comme celui de Thoiry, l’ont bien compris et dénoncent ouvertement cette pratique ; mais d’autres persistent à reproduire des tigres blancs car le public apprécie les animaux rares, qui permettent d’augmenter les ventes de billets et constituent un outil marketing efficace. Nous voici bien loin des objectifs de conservation d’une structure muséale – quant à celui de la diffusion de connaissances, il est discutable dans ce cas précis : est-il vraiment nécessaire de perpétuer l’élevage d’animaux consanguins ayant une forte chance de naître malades ou handicapés pour expliquer au public ce qu’est une mutation génétique ?

 

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Les tigres blancs sont des animaux consanguins ne jouant aucun rôle dans la conservation des espèces, mais plusieurs zoos continuent de les reproduire car ils plaisent au public.
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Ce n’est là qu’un exemple parmi les diverses dérives qui ont cours dans un certain nombre d’établissements. Des difficultés financières peuvent pousser les gérants à prendre des décisions en totale contradiction avec leur discours de protection de la biodiversité – éloignant ainsi le zoo du secteur muséal pour le rapprocher de celui des parcs d’attractions. C’est un cercle vicieux qui s’enclenche : plus les visiteurs réclament du spectaculaire (des tigres blancs, des éléphants, des ours polaires, la possibilité de caresser des animaux sauvages, de se prendre en photo avec pour alimenter les réseaux sociaux, etc), plus les zoos leur proposent du spectaculaire afin de les attirer, les faire revenir et leur vendre des prestations. Cela a pour effet de conforter le public dans ses attentes initiales et de l’inciter à demander toujours la même chose en passant complètement à côté de l’essentiel – à savoir que la biodiversité ne se résume pas à des tigres blancs, des éléphants et des ours polaires, et que les animaux sauvages ne sont pas des peluches dont l’unique fonction est de se faire caresser. Cette spirale infernale fait sombrer certains responsables de zoos dans une démesure inquiétante : il est ainsi des structures (hors de France) qui vont jusqu’à proposer aux visiteurs d’être pris en photo avec de grands félins tenus en laisse, moyennant une somme assez conséquente, sous prétexte que cela permettrait au public de s’attacher à eux et ainsi se sentir plus investi dans leur protection… ! Mais par quel moyen le fait d’être photographié avec un animal sauvage « apprivoisé » – qui n’en reste pas moins dangereux – peut-il aider le visiteur à comprendre son rôle dans l’écosystème ? Ne risque-t-on pas plutôt de lui faire croire que l’espèce en question ferait un excellent animal de compagnie, et ainsi lui donner envie de posséder son propre zoo privé comme ceux présentés dans la série Tiger King ? Jouer sur l’aspect affectif pour attirer du public est toujours efficace et l’on peut comprendre que les parcs recourent à cette pratique, surtout s’ils sont en difficulté, mais les conséquences peuvent s’avérer très néfastes à long terme. Alors comment réagir face à pareil dilemme ?

La solution se trouve peut-être dans la manière dont le zoo s’adresse à son public : si les attentes actuelles de celui-ci ne correspondent pas à la philosophie de sauvegarde des espèces, alors les zoos se doivent d’essayer de modifier ces attentes en prenant soin d’éviter de s’adresser aux visiteurs comme à des ignares incapables d’apprécier autre chose que des spectacles de dauphins. Les parcs devraient démontrer que la nature est suffisamment fascinante en elle-même pour ne pas avoir besoin d’y rajouter des artifices ; ils devraient plus souvent mettre en lumière les aspects méconnus de notre faune locale, tout aussi intéressante que la faune exotique à condition que l’on daigne s’arrêter pour mieux l’observer ; ils devraient enseigner aux visiteurs comment protéger la biodiversité autrement qu’en se contentant de signer un chèque pour une association à l’autre bout du monde. Le ZooParc de Beauval (établissement spectaculaire s’il en est) commence à s’engager dans cette voie en proposant par exemple des ateliers de recyclage d’objets du quotidien : une activité à première vue moins cool que de se prendre en photo avec un lémurien sur l’épaule, mais beaucoup plus intéressante sur le plan pédagogique et applicable même après la visite, dans la vie de tous les jours.

Les zoos ne seront pas obligés de se transformer en Disneyland des animaux ou en cirques pour se perpétuer, à condition qu’ils mettent leur créativité au service de leurs missions de conservation et d’éducation plutôt qu’à celui d’un divertissement éphémère, sans réel contenu. Le grand défi actuel des parcs zoologiques consiste à trouver la meilleure façon de présenter les espèces pour ce qu’elles sont, et non pas pour ce que le public voudrait qu’elles soient. En relevant ce défi, les zoos pourront petit à petit élever les attentes de leurs visiteurs dans le bon sens et les amener à considérer les animaux avec respect tout en se passionnant pour la biodiversité dans son ensemble – qu’elle soit proche ou lointaine, commune ou plus rare.

 

Pour aller plus loin :

Communiqué de l’AZA à propos de l’élevage d’animaux présentant des mutations génétiques

Exemple de zoo proposant d’être photographié avec de grands félins et d’autres animaux sauvages

Atelier du ZooParc de Beauval sur la thématique du recyclage

 

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M. T.