Qu’elle soit big ou open, la data interroge. Notre société produit aujourd’hui de la donnée en masse et en permanence : comment est-ce que cela impacte le milieu culturel ? Un focus sur l’open data et les musées.

 

1. L'open data, qu'est-ce que c'est ?

 

L’open data, ou en français « ouverture des données », est le fait de mettre à disposition des citoyens les données publiques des institutions. Cela s’applique aussi bien aux administrations régionales qu’aux équipements sportifs municipaux, à la sncf ou aux musées nationaux. En France, le cadre légal rend obligatoire la mise à disposition des données produites dans le contexte professionnel des administrations publiques, mais chaque institution le fait à sa manière. Le but de l’open data est de rendre les données gratuites et réutilisables, et cela sans contrainte technique pour l’utilisateur. Évidemment, certaines données sont exclues de l’ouverture au public : les données sous secret légal, soumises au droit de la propriété intellectuelle ou encore celles pouvant toucher à la sécurité nationale.

 

L’open data est la forme numérique de l’ouverture des données : les jeux de données produits par les administrations sont regroupés en ligne, sur des sites identifiés. Attention cependant à ne pas confondre ouverture et accessibilité : quand il faut cliquer sur cinq ou dix liens internet consécutifs pour trouver le jeu de données que l’on cherche, c’est que les données sont disponibles (ouvertes), mais pas accessibles ! Aussi, militer pour l’open data, ce n’est pas seulement aller dans le sens de la mise à disposition des données pour le public, c’est aussi militer pour qu’elles soient accessibles au plus grand nombre le plus facilement possible.

 

Et les musées ? Pendant longtemps ils ont été exclus de l’obligation juridique de mise à disposition des données, au titre du régime dérogatoire des données culturelles selon la loi CADA de 1978. Aujourd’hui, ils sont soumis à cette obligation comme les autres administrations. En revanche, les institutions culturelles publiques ont le droit de demander une redevance pour toutes les données issues de la numérisation des collections (car c’est un processus qui peut être très coûteux). C’est la raison pour laquelle la Réunion des Musées Nationaux-Grand Palais peut facturer des numérisations haute définition d’œuvres pourtant dans le domaine public (et donc soumises à l’ouverture des données). Dans les faits, les musées sont aujourd’hui libres de mettre ou non à disposition gratuite du public les données dont ils disposent, et de choisir les licences sous lesquelles ils diffusent leurs données : autoriser la réutilisation commerciale ou non, faire figurer le crédit du photographe ou seulement de l’institution, etc.

 

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Le guide pratique pour l’ouverture des données culturelles
publié par le service de l’innovation numérique du Ministère de la Culture

 

2. A quoi ça sert ?

 

Avant toute chose, il s’agit de la transparence des administrations dépendantes de l’État. L’ouverture des données, avant d’être un moyen de diffusion des données culturelles pour valoriser des collections de musée, sert à asseoir la confiance entre les citoyens et l’État : tout citoyen a le droit fondamental d’accéder aux données produites dans l’exercice de leurs fonctions par les collectivités territoriales et par l’État. Dans les institutions culturelles, il s’agit principalement de rendre le patrimoine commun accessible à tous, en tant que service public.

 

De nombreux autres enjeux s’ajoutent évidemment à cette approche principale. Dans le milieu des musées, il y a bien entendu des enjeux économiques : les musées conservant des œuvres très célèbres savent que même si les données sont payantes, il y aura un public qui acceptera de payer le prix fixé par l’institution. À l’inverse, pour des musées de moindre envergure et qui ne bénéficient pas d’une grande renommée, facturer des visuels risque d’être une barrière à l’accessibilité de leurs collections. Tout est question d’équilibre, et c’est aujourd’hui une question qui se résout au cas par cas dans chaque institution. Mais quel que soit le musée, l’un des enjeux est tout simplement de diffuser des données fiables, vérifiées et sourcées sur les objets conservés. Par exemple, quand les musées de beaux-arts mettent en ligne des numérisations haute définition des œuvres, cela évite que le public accède à des reproductions faussées, notamment au niveau de la colorimétrie (il s’agit d’éviter le fameux « syndrome de la laitière jaune », du nom d’une œuvre de Vermeer dont circulent sur internet des images aux couleurs criardes).

 

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Quand l’institution ne met pas en ligne de reproduction, à quelle image se fier ?
regroupement par Sarah Stierch pour https://yellowmilkmaidsyndrome.tumblr.com/

 

Le propre de l’open data est d’être réutilisable par les publics : qu’il s’agisse d’une classe de primaire qui fait de l’éducation artistique et culturelle, d’une étudiante en histoire de l’art qui utilise les données pour ses recherches ou bien d’un habitant qui souhaite se renseigner sur le patrimoine local, tous bénéficient de l’accessibilité des données du patrimoine. Les données ouvertes sont librement réutilisables : l’open data favorise aussi l’innovation et ne décide pas des usages qui pourront être faits des jeux de données mis en ligne.

 

3. Quelle différence entre open data, open content et openglam ?

 

On entend plusieurs termes différents : il faut différencier open data (données ouvertes) et open content (contenus ouverts), qui ne recouvrent pas exactement la même chose. Les données, ce sont par exemple les informations d’inventaire qui accompagnent les objets de musée : date de création, date d’entrée dans l’institution, auteur, prêts dans telle ou telle institution... Et le contenu, c’est surtout la numérisation de l’objet : haute ou basse définition, 2D ou 3D pour les objets en volume, téléchargeable ou non. La plateforme Google arts and culture met par exemple à disposition du public des visuels en très haute définition des œuvres, mais ne permet pas toujours de les télécharger ni de les réutiliser : il s’agit donc de diffusion, mais pas d’open data ni d’open content, car l’image n’est pas réutilisable par les publics et reste protégée. À l’inverse, le site Gallica de la Bibliothèque Nationale de France propose des versions numérisées de livres, affiches, estampes et photographies, avec les données qui les accompagnent, et permet à la fois la consultation en ligne et le téléchargement (sous différents formats au choix : texte, pdf ou image). C’est un très bon exemple d’open data dans une institution française importante.

 

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Les données des objets culturels : un mille-feuilles complexe
illustration par Antoine Courtin sous licence creative commons 4.0

 

L’openGLAM, c’est encore autre chose. GLAM est l’acronyme anglais de Galleries, Libraries, Archives and Museums (galeries, bibliothèques, archives et musées). Il s’agit d’un réseau d’échange et de travail pour les professionnels des milieux culturels qui défendent l’approche open data dans les institutions GLAM. L’open data culturel pose en effet des questions différentes des autres milieux : la gestion technique des images haute définition (donc des fichiers lourds), par exemple, ou encore la question des droits patrimoniaux rattachés aux images produites et diffusées.

 

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Le logo OpenGLAM / Open Knowledge Foundation

 

4. Où est-ce que ça se passe ?

 

L’open data prend des formes différentes selon les musées. Certains peuvent décider de rejoindre un portail existant localement (par exemple, le musée d’art et d’histoire de Saint-Brieuc dépose ses données sur le portail open data des Côtes d’Armor, dat’armor), tandis que d’autres font le choix de mettre en place leur propre base de données ouverte. C’est le cas du musée de Bretagne accompagné de l’écomusée du pays de Rennes, qui ont développé leur propre outil, des collections en partage, ou de Paris Musées qui a mis en ligne sur son portail des collections 150 000 œuvres en open content en janvier 2020. Dans ces portails institutionnels, l’open data prend la forme d’une base de données en ligne avec une éditorialisation qui rend le site vivant pour les utilisateurs : regroupements thématiques et expositions virtuelles y côtoient les fiches d’inventaire.

La base des collections des musée de France, Joconde, est hébergée sur la Plateforme ouverte du patrimoine : elle est incontournable pour l’accès aux collections des musées français quelle que soit leur typologie, et elle reverse directement les informations sur un site ministériel d’open data, « data.culture.gouv.fr ». Les musées labellisés « musée de France » sont donc invités à y déposer régulièrement leurs collections, de manière à avoir une base de données centralisée qui fasse référence.

 

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La plateforme ouverte du patrimoine regroupe différentes bases de données culturelles françaises

 

5. L'open data, musée de demain ?

 

L’open data ne se substitue pas au musée. Il est simplement une composante de la gestion des collections dans le monde d’aujourd’hui. Les choix concernant l’open data doivent être faits par les professionnels en fonction de nombreux critères : y a-t-il les moyens humains et financiers de créer une base de données en propre ? Est-il préférable de mettre les numérisations sur Wikipedia, voire de travailler avec des contributeurs réguliers pour les aider à diffuser les collections du musée ? La redevance sur les numérisations est-elle une source de revenus pour l’institution ? Le public réclame-t-il la mise en ligne des œuvres en accès libre ?

On entend parfois dire que le numérique cherche à remplacer les musées, mais ce n’est pas vrai : le numérique occupe une place spécifique pour chaque musée et offre des possibilités nouvelles et différentes. Se sentir menacé par la diffusion libre des données sur internet, c’est considérer que le travail fourni par les institutions se limite à présenter les œuvres et leurs cartels aux publics, mais les musées font bien plus que cela. Les musées sont des lieux de vie, de partage, d’échange, de création ; les musées sont des lieux de production et de diffusion des savoirs ; ils permettent à des communautés de se tisser, se retrouver, se pérenniser ; ils organisent un patrimoine commun qui permet de vivre ensemble, à l’échelle de la société.

 

Marie Huber

 

#opendata

#diffusion numérique

#gestiondescollections

 

Pour aller plus loin :

Cet article s’appuie notamment sur le travail d’Antoine Courtin
https://twitter.com/seeksanusername


Sur mon apprentissage au musée de Saint-Brieuc avec Nicolas Poulain
https://twitter.com/NicoCG70

Et sur une présentation de Camille Françoise dans le master MEM
https://twitter.com/CMFrancoise

Voir par exemple le carnet Hypothèses Numérique et recherche en histoire de l’art
https://numrha.hypotheses.org/

Et le réseau des muséogeeks http://www.muzeonum.org/wiki/doku.php?id=museogeek