Le titre de cet article peut faire peur, tant le sujet est large. Mettons donc les choses au point. L’objectif n’est pas d’alerter sur le changement climatique en cours et ses conséquences, à l’échelle globale comme pour les institutions muséales. Il ne s’agit ni d’être moralisateur envers les pratiques des musées et de leurs professionnels, ni de lister des « bonnes pratiques ». Le but est de se demander en quoi les musées sont concernés par la crise climatique en cours, et surtout quels sont leurs moyens d’action, leurs compétences, pour participer aux évolutions nécessaires à faire dans notre société.

Lors de sa 34e Assemblée générale en septembre 2019, le Conseil International des Musées (ICOM) a adopté la résolution « Développement durable et mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030, Transformer notre monde ». Ce programme a été mis en place par l’ONU en 2015, et signé par la majorité des états membres lors des Accords de Paris. Il inclut les 17 Objectifs du Développement Durable (ODD), qui sont les buts vers lesquels tendre pour un avenir viable pour tous. Ils répondent aux défis mondiaux auxquels nous sommes confrontés, notamment ceux liés à la pauvreté, aux inégalités, au climat, à la dégradation de l’environnement, à la prospérité, à la paix et à la justice 1.

Qu’est-ce que cela implique pour tous les organismes membres de l’ICOM ? Les institutions muséales sont-elles vraiment concernées par les ODD ? Et comment participer aux efforts face à la crise climatique ?

 

Pourquoi et comment les musées sont-ils concernés ?

 

Pour commencer, petit point de vocabulaire. Parle-t-on de changement climatique ou de développement durable ? Ces deux notions se recoupent. Ou plus précisément, le premier est pris en considération dans le deuxième. Le développement durable concerne tous les aspects que notre société peut améliorer pour un futur plus égalitaire, plus sûr, plus juste. Et pour cela, il est nécessaire de s’intéresser de très près au changement climatique, à la fois pour maintenir le réchauffement global de la planète aussi bas que possible, et pour s’adapter aux changements qui sont inévitables, si ce n’est déjà effectifs.
Dans un premier temps, en tant qu’installation humaine, et par sa dimension économique, le monde muséal est logiquement concerné par le changement climatique. La montée des eaux océaniques, les canicules, les tempêtes, tous ces faits peuvent mettre en danger un musée, ses collections et ses professionnels. La consommation d’énergie est souvent assez élevée, à la fois pour accueillir le public dans de bonnes conditions et pour la conservation des collections dans une atmosphère adaptée. Les musées ont donc la nécessité à la fois de s’adapter au changement climatique, mais aussi de participer à son atténuation en réduisant son empreinte carbone. C’est par exemple le cas de la Klimahaus Bremerhaven 8° Ost en Allemagne, créée en 2009 et conçue comme un bâtiment bas carbone, et accessible en transports en commun pour réduire son bilan énergétique dû à la venue des visiteurs.
Dans un deuxième temps, les musées sont concernés par la lutte contre le changement climatique par leur appartenance aux institutions d’éducation des populations. Dans son article « Museums in perilous times », Robert Janes insiste sur le rôle et les responsabilités des musées dans la gestion de la crise climatique, et en liste les raisons2.

 

“In addition to their deep view of time, museums are eminently qualified to address climate change for a variety of reasons. They are grounded in their communities and are expressions of locality; they are a bridge between science and culture; they bear witness by assembling evidence and knowledge, and making things known; they are seed banks of sustainable living practices that have guided our species for millennia; they are skilled at making learning accessible, engaging and fun, and last, they are some of the most free and creative work environments in the world.”

 

De plus, les musées forment un réseau mondial très dense – plus de 55 000 institutions dans le monde, essentiellement dans les pays développés, il faut bien le noter – qui peut avoir un impact sur les engagements en faveur de l’atténuation et l’adaptation au changement climatique, à condition bien sûr que toutes s’y mettent et que les engagements pris soient significatifs.

 

Agir en tant que réseau

 

En adoptant la résolution sur le développement durable, l’ICOM ne va pas contraindre les musées à des normes précises, ni leur imposer des règles strictes. Mais en tant qu’organisme de conseil pour tous les professionnels de ce secteur, il envoie un message fort. Il affirme son intérêt pour cette cause – ainsi que son inquiétude face aux changements qui s’annoncent – et invite les musées à suivre cette voie. Il offre de plus un accompagnement méthodologique pour amorcer les changements nécessaires. Ainsi, un groupe de travail sur le développement durable (WGS, Working Group on Sustainability) a été créé en septembre 2018 pour cette tâche. 
Plusieurs mouvements en faveur du changement climatique et du développement durable ont aussi vu le jour dans la communauté muséale au cours de la dernière décennie, comme We Are Museum en 2013, ou la Coalition of Museum for Climate Justice au Canada. Tous ces mouvements, en plus d’accompagner leurs membres vers des pratiques plus durables, organisent des colloques, workshops et autres tables rondes pour échanger, discuter, réfléchir autour de la question, créant une émulation d’idées positives à diffuser.
Dans la même idée, le Arts and Humanities Research Council (AHRC) Heritage Priority Area a lancé au printemps 2020 un concours de design « Reimagining museums for climate action »3,  invitant designers, architectes, universitaires, poètes, philosophes, professionnels de musées, groupes communautaires à ré-inventer radicalement le musée de demain et ses codes pour faire face à la crise climatique et s’engager activement pour un futur meilleur. Les huit finalistes bénéficient d’une bourse de 2 500 £ pour mettre en forme leur projet et l’exposer au Glasgow Science Center au printemps 2021 lors de la tenue de la COP26 dans la même ville.
Le studio klv, une agence de scénographie et de consulting allemande, a formalisé ces idées à travers la Gestion du Développement Durable dans les Musées (GDDM). Il s’agit d’un cadre conçu par le studio destiné à mettre en œuvre les mesures nécessaires au développement durable s’adaptant à chaque institution et ses atouts. Ils l’utilisent comme un processus participatif ouvert, décomposé en six phases, actant à la fois l’engagement de la direction comme l’adhésion de tous les acteurs. La GDDM se concentre sur quatre domaines d’action, présents dans tous les départements d’un musée : la population (dimension sociale), la planète (empreinte environnementale), le profit (rentabilité et durabilité de l’institution) et le programme.
Tous ces mouvements et projets peuvent servir de cadre et d’inspiration pour les institutions muséales qui souhaiteraient s’engager dans cette voie. Il y a ensuite deux manières de contribuer à l’effort collectif, qui sont à la fois distinctes et complémentaires. La première est celle de l’éducation, de l’information aux visiteurs, en parlant du réchauffement climatique, en exposant les résultats des recherches, en présentant les actions et les solutions possibles. La seconde concerne l’action directe : changer ses habitudes et son mode de fonctionnement pour tendre vers des pratiques plus durables – à la fois pour la planète et pour tous ses habitants.

 

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L’entrée du Musée du changement climatique à la Chinese University de Hong Kong. © Hoising, CC BY-SA 3.0, via

Wikimedia Commons.

 

Exposer le changement climatique

 

Une des missions fondamentales des institutions muséales est d’instruire le public, on va au musée pour – entre autres – apprendre. Mais pas de manière scolaire, une exposition est réussie si le visiteur apprend en s’amusant, presque sans s’en rendre compte. Ainsi, dans le contexte de la crise climatique, il est essentiel d’informer et d’éduquer les populations avant d’espérer un changement.
Depuis une vingtaine d’années, de plus en plus d’expositions sur le changement climatique, le développement durable, ou encore la biodiversité se sont montées. En 2005, la Cité des Sciences et de l’Industrie présente « Climax », une exposition immersive pour comprendre le climat et ses évolutions. En 2009, l’Uganda Museum, en collaboration avec la British High Commission, ouvre la « Climate Change Exhibition », pour montrer les effets du changement climatique sur l’économie du pays, et les mesures à prendre pour les anticiper. La même année est exposée « Climate Change: The Threat to Life and A New Energy Future » à l’American Museum of Natural History de New York, pour illustrer les modifications induites par l’activité humaine sur le climat. En 2015, le Muséum National d’Histoire Naturelle propose une série d’expositions, de conférences et de débats autour du même thème en parallèle de la COP21, la Conférence internationale sur le Climat à Paris. En 2018, le photographe Kadir von Lohuizen alerte sur la sur-production de déchets dans le monde à travers son exposition « Wasteland » à Amsterdam. L’année dernière, la Cité des Sciences et de l’Industrie inaugure son nouveau parcours permanent « Bio-inspirée, une autre approche », qui « s'intéresse aux organismes qui composent le monde du vivant pour imaginer des modèles de développement durables et des solutions innovantes aux problématiques environnementales ». Dans le même temps, l’Australian Museum lance « #CapturingClimateChange », une exposition de photographie participative en ligne documentant les effets du changement climatiques déjà visibles. Pour ne citer que quelques exemples4.
Mais le même phénomène s’observe dans tous les pays développés. Un nouveau type d’institution a aussi vu le jour, les « musée climatiques » entièrement dédiés aux problématiques environnementales, au développement durable et aux solutions possibles5. Dans ces lieux priment l’interactivité, l’expérimentation et la participation active du public pour l’encourager à agir. Certains, comme le Climate Museum de New York créé en 2016, enrichissent leur discours au gré du partage par les visiteurs de leurs initiatives. Ces institutions soulignent le fait que nos actions actuelles déterminent le monde de demain, qu’il est nécessaire d’agir aujourd’hui. Ils s’ancrent dans leurs communautés, présentant des atouts des populations locales, en les reliant au monde global. Ils sont aussi des acteurs dynamiques auprès des populations, soutenant des projets environnementaux, menant des actions avec les écoles et les universités, organisant des conférences, débats, workshops et autres ateliers.
Mais toutes ces actions pour comprendre le changement climatique seraient – n’ayons pas peur du mot – hypocrites sans une mise en pratique par ces lieux de leurs préconisations. En tant qu’institutions, ils se doivent de « donner l’exemple » et de participer à l’effort collectif pour limiter le réchauffement climatique.

 

Donner l’exemple, entre adaptation et atténuation

 

Pour transmettre un message cohérent, il ne suffit pas d’exposer le changement climatique, ses problématiques et ses solutions, il faut aussi appliquer ces dernières. Elles regroupent deux notions complémentaires et interdépendantes : l’adaptation et l’atténuation. Il est nécessaire de s’adapter car le changement climatique est déjà en cours, avec de nombreuses conséquences. Et il devient urgent d’atténuer au maximum notre impact pour limiter le réchauffement global de la planète.
Les actions à mener concernent toutes les facettes des musées, depuis la construction du bâtiment à la gestion des collections, l’accueil du public et les conditions de travail. Se poser la question énergétique : comment mieux isoler un édifice, consommer moins d’électricité, ne suffit pas. La question des matériaux est primordiale, que ce soit dans la construction du mobilier d’exposition ou ceux utilisés pour la conservation des collections. De plus en plus d’institution tentent de recycler d’une exposition à l’autre le mobilier fabriqué, à la fois pour les raisons économiques – il ne faut pas se le cacher – mais aussi dans un souci de réduction des déchets6. Il faut aussi repenser l’impact des visiteurs, en favorisant le tri des déchets ou limitant voir supprimant le plastique à usage unique. Par exemple, le musée du Louvre a mis en place des urnes pour récupérer les plans du musée à la fin de la visite, pour les remettre dans le circuit ou les recycler s’ils sont abîmés.
La plupart des grands musées ont aujourd’hui des pages dédiées au développement durable sur leur site internet. Le Louvre a ainsi signé en 2010 la « charte développement durable des établissements publics et entreprises publiques ». Sa page indique son bilan carbone de 2009, ainsi que ses engagements repris dans sa « Stratégie de ‘’responsabilité sociétale des organisations’’ du musée du Louvre » pour la période 2015-2017. Outre le fait que la page n’a visiblement pas été mise à jour récemment, on peut toujours se demander dans quelle mesure ces engagements sont mis en œuvre. Il faut savoir distinguer les véritables actions d’un affichage politique se réduisant à du greenwashing. 
Pour accompagner les musées dans ces changements, et montrer quelles sont les actions simples à mettre en œuvre, des « guides de bonnes pratiques » ont vu le jour, la plupart en anglais. Un bon exemple est celui présenté par Curating Tomorrow, une agence de consulting pour les musées voulant s’engager dans cette voie. Intitulé « Museums and the Sustainable Development Goals. A how-to guide for museums, galleries, the cultural sector and their partners », présente, après avoir expliqué en quoi les musées sont concernés par les ODD, sept champs d’action clés pour tendre vers ces objectifs. Ces champs d’action sont :
  • Protéger le patrimoine culturel et naturel mondial, dans les musées et en général ;
  • Participer à la diffusion et l’éducation aux ODD ;
  • Rendre la culture accessible à tous ;
  • Favoriser le tourisme durable ;
  • Permettre la recherche pour soutenir les ODD ;
  • Adopter une gestion interne en accord avec les ODD ;
  • Adopter une gestion externe en accord avec les ODD.
 
Conçu pour être utilisable par tout un chacun, il permet d’aborder les changements de manière claire et compréhensible. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, les outils à dispositions des musées pour être soutenus et accompagnés dans la transition sont nombreux.
Face à l’urgence de la situation, les institutions prennent doucement conscience – espérons que ce ne soit pas trop tard – du rôle qu’elles ont à jouer. Pour atteindre les ODD d’ici 2030, il est nécessaire de changer radicalement de paradigme et chacun doit y contribuer, à tous les niveaux. Même si la tâche semble immense, même si ces évolutions ont un coût – parfois élevé – c’est un investissement à moyen et long terme, pour que nous-mêmes et nos enfants puissions vivre dans un monde durable.

 

1 Voir la page dédiée au développement durable sur le site de l’ONU.

2 Robert R. Janes, « Museums in perilous times », dans Museums Management and Curatorship, Volume 35, Issue 6: Museums and climate action, ICOM, 2020, pages 587-598.

Pour plus de détails sur ce concours : https://www.museumsforclimateaction.org/.

Une liste non exhaustive mais très fournie des expositions sur le thème du changement climatique est
disponible ici. D’autres articles sur le blog présentent aussi des expositions : « Le vent se lève » : récit d’une
déambulation écologique au MAC VAL et La biodiversité exposée.

Pour une présentation de ces musées, voir l’article de J. Newell, Climate museums : powering action, dans
Museums Management and Curatorship, Volume 35, Issue 6: Museums and climate action, ICOM, 2020, pages
599-617.

Deux articles du blog traitent déjà très bien ce sujet : Des expos recyclées et L’avenir écologique de la
scénographie d’exposition – post Covid.

Chim CHOLIN

 A lire : Serge Chaumier et Aude Porcedda, sous la direction de, Musées et développement durable, La Documentation française, 2011.

 

#ChangementClimatique

#ObjectifsDéveloppementDurable

#TousConcernés

 

Pour aller plus loin : le dernier numéro de la revue de l’ICOM Museums Management and Curatorship, (Volume 35, Issue 6) : Museums and climate action, qui regroupe de nombreux articles intéressants.

Et ne pas hésiter à visiter les sites des institutions citées, et d’autres encore !