« Emouvant mouvement »

Selon l’expression « Emouvant mouvement » (intitulée de l’exposition traduite de Bewogen Bewegin organisé par Daniel Spoërri au Stedelijk Museum  d’Amsterdam), l’art cinétique incarne l’art du mouvement. Il se caractérise par différentes pratiques. D’abord, l’œuvre peut elle-même être en mouvement de manière explicite. Elle peut être motorisée, peut avoir recours à des éléments naturels tels que le vent ou l’eau, ou bien elle implique le spectateur lorsqu’il se déplace par rapport à elle. Il s’agit du mouvement optique qu’entreprend l’observateur face à une œuvre mouvante. Ce qu’ont en commun les œuvres issues de ce courant est l’engagement du corps de celui qui les regarde et la prééminence de la perception du spectateur au centre des expérimentations. D’après les mots de Diane Harris : « les artistes repoussent vraiment les limites, ils vont sur les territoires de la science, de la physique, des mathématiques, de la biologie. Ils vont essayer des derniers matériaux, ils utilisent tout ça comme le pinceau d’un peintre. » Cet art reflète la société témoignant des avancées techniques et industrielles de l’époque. Le statut d’une œuvre d’art est toutefois remis en cause car l’œuvre cinétique ne délivre pas de messages, ne demande pas une analyse poussée, ni une réflexion de la part du public. D’ailleurs il est question d’un art qui toucherait davantage un large public, plutôt que celui considéré comme élitiste et qui aurait recours à un bagage culturel pour apprécier l’œuvre.

Né en 1955 en France, cet art offre une expérience sensorielle unique et transforme la perception visuelle. Il est consacré par l’exposition Le Mouvement dans la galerie parisienne de Denise René, dont le commissaire est Pontus Hulten. Les premières pièces abstraites en noir et blanc de Victor Vasarely, les tableaux transformables de Yacoov Agam et les célèbres Pénétrables de Jésus-Rafael Soto s’y côtoient. Les célèbres œuvres de Soto, pour la première fois, impliquent le corps des visiteurs qui ont la possibilité de les traverser. Marcel Duchamp, Alexander Calder, Bury, Jacobsen ainsi que Tinguely y sont également présents. Cette galerie avait ouvert 10 ans auparavant et se consacrait à l’abstraction, puis à l’abstraction géométrique. L’art cinétique ainsi que l’Op’art vont être grandement diffusés grâce à elle.

L’Op’Art, un mouvement concurrent

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© : DR

 

L’Op’art, appelé également art optique, est un concurrent de l’art cinétique. Son origine se trouve dans l’expression Optical art. Venue des Etats-Unis, cette forme d’art s’amuse à créer des effets d’illusion et des jeux d’optique en utilisant l’œil de l’observateur. Elle s’impose en Europe dès 1965. La galerie One à Londres s’en empare et s’axe sur le travail de graphiste Bridget Riley inspiré par Vasarely. Une exposition personnelle lui est alors consacrée. De même lors de l’ouverture du MoMA à New-York, l’exposition The Responsive Eye est considérée comme fondatrice de l’Op’art. La galerie Denise René a alors soumis une grande partie des œuvres présentes dans l’exposition. Ainsi, œuvres parisiennes et américaines offrent un dialogue avec la société industrielle et technique.

Les origines de l’art cinétique 

Bien que ces deux formes d’art soient une nouvelle tendance dans les années 1960, la recherche du mouvement n’est pas une nouveauté en art. Par exemple, les Futuristes italiens s’en sont emparés en pensant  la vitesse et le mouvement mécanique. Sans oublier les Cubistes et les Orphistes s’attaquant à la perception et aux représentations mentales.

Pensons aussi au constructivisme qui a voulu transcrire le mouvement au travers d’objets reliant l’espace et la lumière au déplacement. Ou encore à Marcel Duchamps avec ses disques graphiques tournoyants et aux sculptures cinétiques ainsi qu'aux sculptures motorisées de Naum Gabo. Marcel Duchamp, avec son Nu descendant l’escalier (1912) introduit son intérêt de la représentation d’un mouvement physique. Ses Rotoreliefs (1935) reprennent les critères liés à l’art cinétique et répondent en même temps aux domaines des sciences. Quant à Man Ray, il réalise en 1920 les deux premières sculptures mobiles abstraites : Abat-Jour et Obstruction, des travaux dont les mouvements sont aléatoires. Alexander Calder présente, quant à lui, en 1932 des sculptures géométriques abstraites motorisées, que Marcel Duchamp appellera les Mobiles. Puis deux ans plus tard, Bruno Munari conçoit ses premières sculptures bougeant grâce au vent.

Le Groupe G.R.A.V

Le groupe G.R.A.V (Groupe de recherche d'art visuel) s’est formé avec l’ambition, comme répété plus haut, de faire du mouvement un médium à part entière en sensibilisant toujours plus de personnes  qui n’auraient pas besoin de connaissances dans le domaine artistique pour comprendre l’œuvre. C’est en 1961 qu’à Paris est né ce groupe, mais aussi d’autres associations d’artistes comme le Groupe N à Padou, le Groupe T à Milan, le Groupe Zéro à Düsseldorf, le Groupe Nul en Hollande, etc. Les six artistes (Garcia-Rossi, Le Parc, François Morellet, Francisco Sobrino, Stein et Jean-Pierre Vasarely) explorent les possibilités de l’Op’art en utilisant la lumière artificielle, les trames dans la peinture ainsi que la 3D. Ce groupe souhaite à la fois la participation du regardant afin qu’il devienne partie prenante de l’œuvre, mais aussi la création d’une forme d’interactions entre les visiteurs. Ils ont conçu collectivement Le Labyrinthe en 1963. Cette production historique remet en question les rapports qu’entretiennent les visiteurs avec l’œuvre : cette relation est souvent contemplative. C’est l’interactivité et le caractère expérimental qui priment avec cette conception. Ils souhaitent réduire la distance du regardeur et engager sa participation au sein des parcours et des salles de jeu.

« On ne s’agite pas de la même manière »

L’art du mouvement dévoile diverses sortes de perceptions. Par exemple, Victor Vasarely note l’instabilité visuelle caractérisée par la juxtaposition contrastée du blanc et du noir et la répétition de formes identiques. La lumière est aussi génératrice de mouvement dont l’artiste Frank Malina s’empare avec son système Lumidyne. De son côté, Schöffer emploie la cybernétique pour sa sculpture aux déplacements autorégulés en fonction des sons et des intensités lumineuses perçus, qui semble agir de sa propre initiative. Sur le même modèle, La Tour cybernétique, créée en 1955 produit des motifs musicaux à partir d'une matière sonore préenregistrée par Pierre Henry et réorganisée aléatoirement en fonction des signaux ambiants, lumineux et thermiques, reçus par les capteurs. 

Les particularités de cet art 

Les motivations divergent. Certains souhaitent libérer l’œuvre, physiquement et symboliquement. D’autres ont un rapport fort avec l’espace et la lumière. Les derniers dévoilent le caractère instable du monde. Cependant, certaines particularités ressortent : mettre à l’honneur une démarche expérimentale, engager le regard des publics, attirer les visiteurs par un côté ludique et spectaculaire, et enfin remettre en question le statut d’une œuvre d’art. L’expérience liée aux œuvres cinétiques a permis la création de formes hybrides : vidéo, néons, machines interactives, espaces immersifs. 

L’art cinétique et l’Op’art ont connu leur succès dans les années 1960 et ce sont étendus dans toute l’Europe, l’Union Soviétique et jusqu’en Amérique latine. Ils touchaient d’autres domaines, dont la mode, la décoration, le design de mobilier et le design graphique ainsi que l’architecture. Mais cette esthétique a fini par lasser le public dans les années 1980.

Théo Jansen, un héritier de ces réflexions sur le mouvement 

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© : Théo Jansen

 

Le rapprochement entre Théo Jansen et l’art cinétique est évident et a déjà été mentionné de nombreuses fois. Cet artiste que j’ai découvert en 2020 est considéré comme le sculpteur du vent.

De drôles de créatures se déplacent subtilement au gré du vent sur la plage dont le maître est Jansen. Tel un mille pattes, une nouvelle espèce est venue conquérir la Terre. Ses œuvres poétiques et autonomes grâce à la force du vent sont appelées Strandbeets, les bêtes de plage. Cet artiste néerlandais utilise des tubes en plastique jaunes recyclés (qu’on trouve exclusivement aux Pays-Bas et en Belgique) et du bois. En à peine 25 ans, il en a réalisé près d’une quarantaine, depuis 1990. Il mêle arts et science, avec connaissances en robotique, notions en mathématique et compétences en informatique et en aéronautique. Et tout cela en autodidacte. Et encore plus déroutant, dans The Great Pretender, publié en 2009, il suggère que ses créatures ont leur propre ADN, muscles, et cerveau, se nourrissant exclusivement du vent pour vivre.

Une anecdote amusante à propos de l’artiste décrit qu’en 1980 il avait envoyé une œuvre d’art en forme de soucoupe volante, lumineuse comme sonore, au-dessus de la ville de Delft, au Pays-Bas. Les médias étaient tombés dans le panneau et avaient surnommé l’artiste : « l’enfant terrible ». Puis il créa un robot, capable de peindre seul. Un projet qu’il continuera de développer avec ses Strandbeets.

Suivant de près l’actualité, la série Les Simpson a rendu hommage à Théo Jansen. Sa création est vue comme un monstre ou une machine géante terrassant tout sur son passage.

L’art numérique, une forme fascinante 

Développée à partir des années 1980, une autre forme artistique prend le pas sur l’art cinétique : l’art numérique, nommée aussi « Post Internet Art ».

L’artiste qui s’approprie les nouvelles technologies pour s’exprimer et questionner autrui est un artiste du courant que l’on appelle l’art numérique. Plus précisément, les artistes se servent des outils pour bousculer leur utilisation première et transmettre un autre message. Aujourd’hui, ils collaborent avec des ingénieurs et des développeurs pour perfectionner leurs travaux. 

En lien avec les Pénétrables de Jésus-Rafael Soto, cité précédemment j’aimerais conclure sur l’œuvre conçue par le label Antivj, en 2007, regroupant des artistes européens. Cette production pénétrable, intitulée 3Destruct allie subtilement son et lumière. Le spectateur, avec un peu de courage peut parcourir l’œuvre. La lumière, émise par quatre sources lumineuses, crée ou détruit la structure : elle éclaire le cube qui quant à lui se détruit, s’éclate au fur et à mesure. Le rythme de la musique presque apocalyptique vient conforter cette idée d’éclatement et de dématérialisation.

Une expérience sensorielle unique qui questionne notre rapport et notre perception de l’espace. 

Les arts cinétique et numérique n’ont décidement pas fini de nous surprendre.

  

                        Héloïse Putaud

Pour en savoir plus : 

http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-cinetique/ENS-cinetique.html 

https://www.youtube.com/watch?v=c_9mYkr7T-w 

http://www.eliascrespin.net/

https://www.youtube.com/watch?v=dDTXN2_xT8w 

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