Ces dernières décennies, le christianisme s’essouffle et laisse dernière lui de nombreux lieux de cultes voués à l’abandon, voire à la destruction. Fidèles ou non tentent de donner une seconde vie à ces sites sacrés, à la fois monuments patrimoniaux, symboles et repères dans le paysage. Salles de concert, espaces d’exposition, hôtels, restaurants et même discothèques, les idées ne manquent pas pour réinvestir les lieux. L’art contemporain semble tout particulièrement y trouver une place via des commandes d’artistes et diverses manifestations culturelles.
Mais lorsque ces lieux sont encore affectés au culte, cela pose diverses contraintes. Une église n’est pas un lieu d’exposition comme les autres avec ses spécificités organisationnelles, architecturales, juridiques et surtout symboliques. Quelles sont dès lors les motivations de chacun à collaborer ? Est-il légitime de craindre des conflits d’intérêts entre le cultuel et le culturel ?

 

Chœur de l’église Notre-Dame-de-Toute-Grâce du Plateau d’Assy – Image disponible sur http://www.rhone-alpes.culture.gouv.fr/

 

L’art abstrait comme terrain d’entente

 

Tous les coups ne sont pas permis. La liberté d’expression restant tout de même limitée, les artistes et l’Église semblent trouver un terrain d’entente : l’art abstrait. La recherche de spiritualité à travers l’immatérialité rejoint la philosophie de chacune des parties. Il est alors plutôt question de sacré que de religieux. De son côté, le clergé récipiendaire, qui souhaite se détacher d’un art arrogant et triomphaliste, accueille aisément la légèreté de cet art dont la forme abstraite évite l’engagement de débats théologiques.

 

Commandes d’Etat et polémiques

 

Les relations entre l’Église et la sphère de l’art contemporain s’altèrent à partir des années 80, en particulier sous le ministère Lang lorsque les commandes d’État faites aux artistes pour investir les églises fleurissent à travers la France. L’idée est d’augmenter la visibilité de ces monuments patrimoniaux et de les mettre en valeur en proposant à des artistes nationaux et internationaux d’y réaliser des créations. Si les églises étaient perçues comme un lieu de prestige où exposer des œuvres, elles étaient dans certains cas abusivement considérées comme de simples espaces d’exposition atypiques pour faire monter la cote de popularité d’un artiste, jusqu’à en oublier la spécificité du lieu. 

 

Pour exemple, entre 1999 et 2004, le discours artistique iconoclaste de l’artiste Claude Rulault était entré en confrontation avec l’avis des paroissiens de l’église de Saint-Prim en Isère. Il repeint le chemin de croix de la même couleur que le mur, couvre de draps les statues des saints et décore les jours de stores aux couleurs primaires. A Jabreilles-les-Bordes en Haute, l’artiste Philippe Favier teste pour la première fois en 2004 l’installation de vitraux-lithophanies, de la porcelaine en fine couche peu translucide ne laissant passer qu’une lumière tristement terne au grand désespoir des fidèles, impuissants.

 

Intervention de Claude Rutault à l’église Saints-Prim-et-Félicien de Saint-Prim – Image disponible sur https://saintprim.fr/

 

Ces lieux hautement symboliques sont également le terrain de jeu sournois d’installations contemporaines temporaires provocatrices. La ruse est de créer une œuvre dont le sujet s’accorde avec la tradition chrétienne, de l’envelopper d’un discours moralisateur allant dans ce sens, mais dont l’aspect visuel contredit habilement la proposition. Ce fut le cas notamment de l’œuvre Heaven de Philippe Perrin, exposée en 2006 dans le chœur même de l’église Saint-Eustache. L’œuvre consiste en une couronne d’épines géante en barbelés posée à terre. Les paroissiens l’ont interprété comme un Christ moderne assumant sa souffrance avant la résurrection. Sauf qu’en posant la couronne au sol et en agrandissant ses dimensions, ce cercle de fer allait à l’encontre de l’image de la résurrection tournée vers le ciel, et était perçu plutôt comme une idole que comme un symbole. Son titre Heaven faisait référence à la chanson Stairway to Heaven de Jimmy Page qui, écoutée à l’envers, devient « Highway to Hell », c’est-à-dire « ceux qui proclament le ciel sont ceux qui créent l’enfer sur terre. »

 

PERRIN Philippe, Heaven, installation à l’église Saint-Eustache de Paris, 2006 © Marc Dommage. Courtoise Galerie Pièce Unique

 

Des collaborations réussies

 

Au fil des expériences, les polémiques se sont amenuisées. Probablement, d’une part, parce que les fidèles sont devenus plus tolérants envers l’insertion de l’art contemporain dans leurs lieux de prière, et d’autre part, parce que des moyens ont été mis en œuvre pour donner les clés de lecture des spécificités de ces lieux et ainsi créer une meilleure intégration du travail des artistes. Les biennales d’art contemporain telle que celle de Lyon et manifestations culturelles ponctuelles telles que La Nuit Blanche et le Festival d’Automne à Paris ne manquent pas d’intégrer les édifices cultuels dans leurs parcours d’exposition. D’autres événements se déroulent exclusivement dans ce type de lieu, comme c’est le cas de « L’art dans les chapelles » en Bretagne organisé en partenariat avec les FRAC. 


Ces dernières années se développent également des interventions plus pérennes. Un exemple précoce est la Kunst-Station à l’église Saint-Pierre de Cologne où, depuis 1987, cohabitent grâce à un comité consultatif des cérémonies religieuses et expositions, ces dernières servant généralement d’outil de réflexion aux homélies. À la chapelle Notre-Dame-du-Marché à Jodoigne (Belgique), ont été installé une tribune télescopique motorisée d’une capacité de cent places, une scène composée de praticables, des cimaises contre les murs de la nef et un équipement de son et lumière pour pouvoir accueillir toute une programmation de concerts et expositions d’art contemporain, parallèlement aux offices qui continuent d’être célébrés.

 

Exposition et vue sur la tribune télescopique, chapelle Notre-Dame-du-Marché de Jodoigne – Image disponible sur http://www.culturejodoigne.be 

 

Une nouvelle source d’opportunités


L’Église a en effet de bonnes raison d’ouvrir ses portes aux artistes contemporains. Durant des siècles, elle fut l’un des commanditaires majeurs des artistes, faisant défiler au sein de ses murs la succession des styles artistiques, de l’art paléochrétien à l’art contemporain. Au fil des époques, elle n’a cessé d’accorder une importance particulière aux artistes, pour des raisons variées. Aujourd’hui, les interventions artistiques permettent de débloquer des financements et sauver certains édifices voués à la destruction ou l’abandon mais aussi d’accueillir un nouveau public dans ces lieux qui se vident petit à petit. Ces interventions sont également souvent perçues comme des aubaines pour les élus et le secteur touristique. C’est alors toute une myriade de collaborations qui prennent forme entre associations diocésaines, conservateurs, galeristes, opérateurs artistiques et touristiques, municipalités, Régions, Ministère de la Culture, FRAC et bien d’autres encore.

 

Laurence Louis

 

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