Enfilez vos chaussures de marche ! Munissez-vous de votre crème solaire indice 50, enfournez les barres énergétiques dans votre sac à dos et rechargez votre gourde ! Surtout les amis, n’oubliez pas votre carte IGN… Vous êtes fin prêts ? On part à la rencontre de l’art contemporain !

À l’évidence, vous aimez la randonnée au cœur de grands espaces naturels préservés, la création contemporaine est votre péché mignon et en même temps vous êtes férus de patrimoine rural… Diable, cinq semaines par an ça n’est décidément pas suffisant… que choisir et comment faire pour réunir vos trois violons d’Ingres ? Tendez l’oreille, il existe des endroits fabuleux qui sont faits pour vous. Lacez vos chaussures et en route, nous partons à la rencontre de l’un d’entre eux !

 

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Sentinelle d’Andy Goldsworthy dans Vallée de l’Asse, Tartonne © Brigitte PÉTRÉ

 

Nature, culture et territoire : le triptyque fertile

Prenez une grande inspiration. Vous sentez l’air des montagnes dignoises qui fait frétiller vos narines et réactive vos sens endormis par les pollutions quotidiennes. Allez, prenez une gorgée d’eau fraîche, le chemin sera long et levez le nez, les paysages sont exceptionnels.

Petits veinards, vous êtes au cœur de la Réserve naturelle géologique de Haute-Provence. Ici, prière de ralentir. À contre-courant de l’effervescence des musées et de la boulimie de l’art, le projet artistique Refuge d’Art est né d’une heureuse association entre le musée Gassendi, la Réserve naturelle géologique de Haute-Provence et l’artiste britannique Andy Goldsworthy. Réalisé entre 1998 et 2010, ce parcours d’art contemporain de 150 kilomètres est ponctué des œuvres de l’artiste, il s’articule autour de trois sentinelles et sept refuges d’art réalisés au sein d’anciens bâtiments à l’abandon (chapelle, bergerie, grange, etc.). Certains d’entre eux sont équipés de dortoirs pour abriter, le temps d’une nuit, les randonneurs de passage.

« À cause des distances entre les refuges d’art, j’ai suggéré de restaurer d’anciens bâtiments afin que les gens puissent y passer la nuit, tout en intégrant une sculpture dans la rénovation. Pour moi, il existe une différence fondamentale entre l’œuvre d’art que l’on regarde quelques minutes dans un musée et l’œuvre avec laquelle on vit pendant un peu de temps, avec laquelle on dort. Dormir dans une sculpture, c’est une idée merveilleuse. »

Andy Goldsworthy

 

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Chapelle Sainte-Madelaine, Toard © Musée Gassendi

 

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Refuge d’Art, Vieil Esclangon © Musée Gassendi

 

La réhabilitation de ce patrimoine rural témoigne de la dimension sociale et économique du projet d’Andy Goldsworthy. Effectivement, en donnant une seconde vie à ces villages abandonnés, l’attrait touristique de la région s’est largement développé permettant ainsi de favoriser et de consolider des emplois locaux. L’art en chemin est l’association qui vise à valoriser et mutualiser ces activités professionnelles régies par les mêmes valeurs : « solidarité territoriale, lien social, coopération et respect » selon Pascal Bodcher, accompagnateur en montage. L’idée est d’accompagner un tourisme durable pour préserver la vallée tout en y développant des activités culturelles transdisciplinaires.

Cette œuvre d’art est à parcourir en une dizaine de jours de marche mais pour les moins téméraires, pas de panique ! Des randonnées de 1h30 à 6h sont réalisables à la journée avec des niveaux de difficulté accessibles à tous. Vous n’avez plus aucune excuse pour ne pas partir à la rencontre de la poésie du travail d’Andy Goldsworthy.

Je profite que nous foulions les sentiers des alentours de Digne-les-Bains pour vous informer qu’outre ce projet monographique, le musée Gassendi s’attache depuis 1995 à constituer sur cette même réserve une collection d’œuvres d’art à ciel ouvert. Divers artistes contemporains tels que Richard Nonas, herman de vries, Mark Dion, Joan Fontcuberta, Paul-Armand Gette et d’autres ont travaillé in situ en symbiose avec les montagnes pour offrir leur propre lecture du lieu. Le musée propose aux visiteurs une approche de ces œuvres à travers vingt suggestions de randonnées, éditées en 2012 dans le livre L’art en marche.

Allez, on s’arrête un moment à l’ombre d’un cairn pour reprendre notre respiration et on y retourne pour comprendre pourquoi on marche autant depuis tout à l’heure.

« La marche comme médiation sur le paysage » : une expérience totale

« Dans l’acte de marcher, il y a le déplacement d’un pont à un autre, mais il y a surtout un effort, une intention, qui rendent la découverte de chaque œuvre plus intense et intime. »

Nadine Gomez, Conservatrice du musée Gassendi et directrice du CAIRN.

La proposition artistique d’Andy Goldsworthy organisée autour de stations nécessite, vous l’avez compris, un visiteur mobile qui réalise malgré lui une performance. C’est l’expérience de la marche qui fait art plutôt que la sculpture qui n’est finalement qu’un prétexte pour ressentir et faire corps avec le paysage dans lequel nous évoluons. Ces cairns, ces serpentins dans la terre, ces sculptures de pierres, ne sont que des invitations à ralentir et réfléchir à l’action de l’Homme sur le paysage. La marche est alors le moyen d’opérer cette prise de conscience chez le marcheur-visiteur qui est, à cet instant, intimement lié à l’écologie des montagnes dignoises.

L’artiste a filé la métaphore à la Longside Gallery avec une proposition artistique, Mud ball, présentée en 2007 et 2008 pour les trente ans du Yorkshire Sculpture Park. Cette œuvre d’art, tel un work in progress, est composée jour après jour des débris végétaux (herbe, feuilles, boue) apportés par les chaussures des visiteurs, vestiges de leur traversée du bois et des prairies du parc. Matérialisée, amassée et totémisée dans une grosse boulle de boue, la marche des milliers de visiteurs-marcheurs est l’expression la plus littérale de cette idéologie selon laquelle l’expérience du visiteur crée l’œuvre.

Ainsi, ne me demandez pas « c’est quand qu’on arrive ? », vous savez que l’important n’est pas le but mais le chemin.

Un concept qui fait des petits

Alors bien sûr, vous allez me dire que cette idée de marche dans l’art n’est pas nouvelle et que des artistes comme Richard Long,  Francis Alÿs ou bien Marina Abramović l’ont exploitée depuis fort longtemps. Mais à l’heure où la randonnée n’a jamais été autant à la mode et où la population fait ressentir un réel « besoin de nature », ces parcours d’art contemporain en pleine nature fleurissent un peu partout en France et ce sont alors les visiteurs qui se mettent en mouvement.

 

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 Grand Lineux#2 de Xavier Rèche, Parcours des Fées, 2016  © Photodicidela

 

Non loin de Refuge d’Art et du musée Gassendi, la Via Per l’Art Contemporanea (VIAPAC) est un sentier de randonnée transfrontalier de 200 kilomètres servant de jonction touristique entre les villes de Digne-les-Bains en France et Caraglio en Italie. D’envergure européenne, le projet rassemble les travaux d’une douzaine d’artistes contemporains dont Joan Fontcuberta, Paul-Armand Gette, Stéphane Bérard, Mark Dion, Richard Nonas et bien d’autres. On peut encore une fois déplorer le fait que ces artistes de la scène contemporaine se conjuguent seulement au masculin bien que les femmes fassent partie intégrante de ces recherches informelles sur la nature et l’art. Je vous invite à consulter le bel ouvrage de Virginie Luc, Les magiciennes de la terre édité en 2017, qui fait la lumière sur le travail de 17 d’entres elles.

D’autres parcours d’art contemporain accueillent à l’année les randonneurs curieux adeptes de la marche culturelle à l’image de La Forêt d’Art Contemporain dans le Parc Naturel des Landes de Gascogne ou encore Le Vent des Forêts. Implanté dans la Meuse depuis 1998, il constitue l’un des plus anciens « espace rural d’art contemporain » avec 70 bénévoles et 45 kilomètres de sentiers balisés. Chaque année, des artistes plasticiens en résidence étoffent la collection constituée à ce jour de plus de 90 installations.

À l’image du Voyage à Nantes, les territoires ruraux semblent avoir trouvé la parade pour rendre attractif leur territoire et redynamiser leur économie : une installation artistique in situ par-ci par-là le long de sentiers et le tour est joué ! Chaque été, pléthore de festivals d’art contemporain ouvrent leurs portes dans nos vallées et nos campagnes. J’ai choisi de vous présenter l’un d’entre eux qui a une forte dimension sociale et qui s’inscrit réellement dans une démarche de démocratie culturelle.

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Installation dans les 5000 hectares du Vent des Forêts © COAL

 

Située dans la vallée de la Drobie au cœur du Parc Régional des Monts d’Ardèche, cette initiative est née des habitants et des promeneurs qui se désolaient de voir se désertifier leur paysage. De leur union jaillit un projet collectif, Sur le sentier des Lauzes, pour la création d’une « Vallée Culturelle ». Une repartie finement orchestrée contre le douloureux exode rural. Tout en encourageant et en accompagnant les contacts entre habitants, artistes et paysages, l’association a développé des résidences d’artistes qui, chaque année, contribuent à la réalisation d’un Parcours d’Art en Paysage. Une pierre deux coups ! Cet événement fédère les locaux au territoire en leur proposant un renouvellement culturel et attire des touristes avides de découvrir la vallée de manière singulière. Des touristes qui consomment et qui réenclenchent l’économie locale bénéfique aux habitants qui résident sur le territoire. La boucle est bouclée. Ces actions sont menées avec un réel respect de l’environnement et accompagnées d’une réflexion sur l’impact de ces projets par rapport à l’unité des paysages naturels. Une question épineuse qu’il serait imprudent d’ignorer.

 

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Parcours des Fées, octobre 2015 © Serge San

 

Cette association n’est pas la seule à briller par sa démarche artistique et sociale, à 200 kilomètres à l’est, par exemple, dans la vallée de Crévoux, le Parcours des Fées organisé par l’association Fées d’hiver fait également partie de ces acteurs qui préfèrent « faire ensemble » plutôt que « pour ».

J’espère que vous en êtes maintenant convaincus. La création contemporaine en zone rurale est pleine de ressources quand elle est une manière de nous révéler l’enchantement de nos campagnes et le charme naturel de ses habitants.

 

Si vous n’en avez toujours pas plein les gambettes, prenez note des prochains rendez-vous de l’été 2019 et venez marcher l’art contemporain. Alors oui, peut-être, vous sentirez un peu plus la transpiration à la fin de votre sortie culturelle mais que diable, nous sommes corps et esprit indissociables, tâchons d’en prendre soin et de les nourrir simultanément le plus souvent possible.

 
C.F
 
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Pour plus d’informations :

 

D’autres parcours d’art contemporain à marcher en France :