Septembre 2018, fouilles sur le Dolmen de la Combe de Bonne Fille, Ardèche. Deux personnes, équipées de détecteurs de métaux, sillonnent un champ à la recherche de « trésors ». Se voyant repérés, ils disparaissent avant que les autorités soient prévenues. Quelques jours plus tard, lors d’une visite sur des dolmens alentour, la directrice de fouilles constate plusieurs creusements au pied d’une dalle de chant, probablement faits par des pilleurs dotés des mêmes détecteurs pour empocher quelques objets archéologiques.

Juillet 2021, exposition « Traits d’Egypte. Marcelle Baud » au musée Bargoin, Clermont-Ferrand. La présentation du travail de cette égyptologue-dessinatrice inclut de nombreuses copies d’œuvres de musées. Parmi celles-ci, le dessin d’une statuette inachevée de Néfertiti accompagné par un moulage en plâtre du même objet. Le cartel nous apprend alors que l’original, conservé au musée égyptien du Caire, a été volé lors du printemps arabe, en 2011 ; il n’est toujours pas retrouvé à ce jour.

Ces deux histoires, parmi de nombreuses autres, ont un point commun, le vol d’œuvres d’art et d’archéologie, pour une jouissance personnelle ou afin d’alimenter un marché noir lucratif. Celui-ci représenterait environ 10 milliards de dollars par an selon l’UNESCO, le marché de l’art licite ayant généré un peu plus de 50 milliards de dollars en 2020[1]. De la méconnaissance de la réglementation au pillage volontaire comme source de revenus, ces pratiques mettent en péril le patrimoine culturel mondial. Et l’augmentation de la demande comme la facilité des ventes sur internet encouragent les vols, les fouilles clandestines et le pillage de monuments anciens.

 

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Dessin et reproduction en plâtre d'une statuette de Néfertiti, et sa fiche de signalement INTERPOL. © C.C.

Une prise de conscience mondiale

Si la prise de conscience de la nécessité de protéger légalement le patrimoine culturel, dans le cadre des conflits armés, apparaît à la fin du XIXe siècle, il faut attendre 1954 pour voir un premier texte officiel sur ce sujet[2]. Cette année-là, l’UNESCO rédige une convention internationale, la Convention de la Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé. Elle reconnait « l’immunité des biens culturels » et prévoit ainsi de les protéger et d’assurer leur sauvegarde en tant que « patrimoine culturel de l’humanité entière ». 

La Campagne de Nubie, vaste opération de sauvetage de temples égyptiens suite à la construction du haut barrage d’Assouan, fait réaliser l’urgence de mettre en place une protection plus efficace. Ainsi, l’UNESCO établit la Convention de 1972 sur le patrimoine mondial, culturel et naturel, créant la Liste du patrimoine mondial de l’humanité. Elle prévoit un engagement de tous les pays signataire pour la préservation de leur patrimoine, pour l’éducation des populations à sa nécessaire protection, ainsi qu’un appui international pour les biens inscrits sur la Liste du patrimoine mondial en péril. Grâce à ces textes, les premières condamnations avec emprisonnement pour destruction du patrimoine mondial sont prononcées au début des années 2000.

Cependant, l’amplification des conflits armés depuis les années 1980, ainsi que l’instrumentalisation des destructions du patrimoine par les groupes extrémistes – les Bouddhas par les Talibans en 2001, Palmyre par Daech en 2015 pour ne citer que les exemples les plus médiatisés – ont poussé les institutions à aller encore plus loin. Le 24 mars 2017, le Conseil de sécurité des Nations Unis adopte à l’unanimité la résolution 2347, mobilisant ainsi les États membres « contre la destruction et le commerce illicite de biens culturels spoliés pendant les conflits armés ». Ainsi, ce texte prévoit la mise en place d’un réseau de refuges pour les biens culturels menacés, incite les États à instaurer « une large coopération policière et judiciaire », et crée un fonds international pour mener à bien ces missions.


Une coopération internationale pour des saisies records

Cette coopération entre les instances internationales et les autorités nationales a conduit ces dernières années à des saisies records de biens spoliés, ainsi qu’à de nombreuses arrestations. INTERPOL, Europol et l’Organisation mondiale des douanes (OMD) ont mené de vastes opérations sur les différents continents pour tenter de démanteler les réseaux de trafiquants[3]. En 2019, ce sont 19 000 objets archéologiques et d’art qui sont alors retrouvés, accompagnés de plus d’une centaine d’arrestations. En 2020, une opération de plusieurs mois a permis d’établir un nouveau record, avec plus de 56 400 objets saisis, des livres et des monnaies anciens, des peintures, des sculptures, des biens archéologiques… Des enquêtes sont en cours, afin de déterminer tous les acteurs impliqués dans ces trafics, avant que la question de restitution aux pays d’origine ne soit évoquée.

Des unités de coordination opérationnelles ont été mises sur pied par ces trois institutions, en réponse à l’intensification de ce trafic, et son ampleur mondiale. En effet, rares sont les pays qui ne sont pas concernés, soit en tant que pays source, possédant un riche patrimoine, soit comme plateforme de transfert et de transit, soit comme région à forte demande d’objets de ce type. L’opération de 2019 s’est ainsi déroulée sur 103 pays, celle de 2020 sur 31 États. Les opérations de contrôle ont lieu tout autant sur les frontières et les points de passage tels que les gares et les aéroports, que chez des particuliers, dans des maisons de ventes ou même dans des institutions culturelles.


De nouveaux projets de lutte

En parallèle de ces opérations policières et douanières, différents projets voient le jour, dans une volonté d’impliquer autant les acteurs culturels – les musées, les maisons de vente, les collectionneurs… – que le grand public, à la fois par la sensibilisation et la participation à la lutte. Voici deux exemples de ces programmes.
Le premier concerne les antiquités pharaoniques d’Égypte et du Soudan en particulier. Ce projet est lancé en 2018 par le Cultural Protection Fund du British Council, en partenariat avec le British Museum et les autorités égyptiennes et soudanaises. Nommé Circulation Artefacts (ou CircArt), il a consisté en la création d’une importante base de données regroupant tous les objets correspondant à son champ d’actions disponibles sur le marché de l’art – légal – ainsi que dans les collections privées, pour lutter contre le pillage et le trafic d’antiquités. Celle-ci regroupe déjà plus de 50 000 références – un chiffre qui devrait monter jusqu’à 80 000 – en rassemblant les informations de maisons de ventes aux enchères, de vendeurs, de collectionneurs, de musées et des agences gouvernementales. Le British Museum fournit également un support matériel et formateur à des unités opérationnelles en Égypte et au Soudan. Désormais en ligne depuis février 2021, la base de données est consultable sur simple inscription auprès du musée, et elle peut également être alimentée par tout un chacun. Ce sont déjà près de 1 200 objets potentiellement issus du trafic illégal qui ont été identifiés grâce à ce travail.
Le second exemple est celui de l’application mobile ID-Art lancée le 3 mai 2021 par INTERPOL, qui la présente comme « un outil à la fois de prévention et d’action ». Accessible par les autorités de tous les pays comme par le grand public, elle permet un accès à sa base de données sur les œuvres d’art volées. Il suffit ensuite de prendre une photographie de l’objet suspect et de la soumettre à la base pour savoir si celui-ci est recherché, grâce à un logiciel de reconnaissance d’image très performant. Il est également possible de documenter des collections privées en enregistrant les objets sous la norme internationale « Object ID », dressant ainsi une liste utile aux autorités en cas de vol. Enfin, l’application permet de créer des « fiches de site » pour documenter l’état de sites et de monuments, servant à la fois de preuve et de référence s’il est dégradé ou détruit. Les résultats ne se sont pas fait attendre, plusieurs œuvres volées ont déjà été retrouvées en Italie et aux Pays-Bas.

 

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Base de données et moteur de recherche dans l'application ID-Art. @ C.C.

 

Ces deux projets sont innovants par le fait qu’ils vont permettre au grand public de se sentir concerné et de s’impliquer dans la lutte contre ce marché noir, véritable trafic lucratif qui participe au financement du crime organisé[4]. Ainsi que le rappelle le Secrétaire général d’INTERPOL, Jürgen Stock, « la protection du patrimoine dans les conflits modernes ne peut être envisagée uniquement sous l’angle de la problématique culturelle ; il s’agit d’un impératif de sécurité ». Souhaitons donc à ces opérations de porter leurs fruits et qu’elles se multiplient, pour préserver notre patrimoine pour nous et les générations futures.

Chim Cholin

 

 

Pour aller plus loin :

- les sites d’INTERPOL et de l’UNESCO.


Notes :            

[1] Voir le Global Art Market Report. (

[2] Voir l’histoire de la législation internationale sur le patrimoine culturel par l’UNESCO ici.

[3] Les résultats de 2019 et 2020 sur le site d’INTERPOL

[4] Ces deux projets sont récents, ce sont surtout les polices nationales qui ont obtenus des résultats positifs pour le moment.

 

 

Vignette : La page d’accueil de l’application ID-Art. © C.C.
Image d’introduction : le Dolmen de la Combe de Bonne Fille, un site isolé vulnérable aux détecteurs de métaux. © C.C.

 

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